On a rarement l’occasion de sortir d’une salle de cinéma en se disant que l’on a vu un film fondateur, qui signe une rupture technologique indéniable. Il y aura bien un avant et un après Gravity : la formule est trop souvent utilisée, mais elle résume bien ce sentiment que l’on a en sortant de ces 90 minutes passées dans l’espace. Comme Avatar en son temps, ce long-métrage repousse les limites technologiques et offre un spectacle d’une intensité jamais vue jusque-là. On n’a jamais vécu une telle histoire, aussi brève qu’intense, aussi époustouflante que réaliste. Ne ratez surtout pas Gravity et pour une fois, ne boudez pas la 3D, mais ne lisez rien à son sujet avant la séance. Allez voir le dernier film d’Alfonso Cuarón sans préjugés et revenez ensuite lire ce qui suit…
Le cinéaste commence par rappeler deux faits de base : dans l’espace, il n’y a rien et notamment rien pour transmettre le son. Non seulement la vie est impossible, mais il y règne un silence assourdissant. Par ailleurs, la température peut descendre jusqu’à 270° en dessous de zéro ou monter à des niveaux bien trop élevés là où les rayons du soleil sont présents. Deux informations purement scientifiques, avant d’introduire le sujet principal de Gravity : le vide de l’espace. Après une introduction musicale assourdissante, c’est le profond silence qui se fait entendre en quelque sorte et qui surprend le spectateur alors qu’il découvre la planète vue depuis l’espace. Alfonso Cuarón réintroduit alors doucement l’excellente musique composée par Steven Price, une bande originale qui commence sur des notes assez douces avant de rapidement prendre un accent beaucoup plus inquiétant. Difficile de parler du film sans tout dévoiler, mais le principe de départ est connu. Deux astronautes, dont une docteure venue donner un coup de main à la NASA (Sandra Bullock, éblouissante) et un astronaute proche de la retraite (George Clooney, impeccable), tentent d’installer un module supplémentaire sur un satellite. Pendant la mission, un autre satellite a explosé suite à une erreur humaine, mais il a entraîné dans sa destruction d’autres appareils autour de lui. La force de la gravité aidant, c’est un immense nuage de débris qui se forme autour de la planète et qui emporte, l’un après l’autre, tous les satellites positionnés autour de la Terre. Gravity n’a pas commencé depuis dix minutes quand ce nuage mortel s’abat sur l’expédition : ils n’ont pas le temps de se réfugier dans la navette qu’ils sont envoyés sans contrôle à une bonne distance. Faute de satellites, ils ne peuvent plus communiquer avec la terre et le long-métrage commence ainsi son sujet principal : la survie de deux astronautes en déperdition dans l’espace.
Gravity n’est pas de ces films qui commencent avec une histoire compliquée qui nécessite de longs synopsis. L’histoire de base racontée par Alfonso Cuarón est au contraire extrêmement simple, si simple même que l’on se demande bien comment tenir une heure et demie avec aussi peu d’éléments. D’autant que le parti-pris de respecter le silence de l’espace est gonflé et empêche quelques astuces scénaristiques systématiquement utilisées en science-fiction. Sans révéler toute l’histoire, la réponse du réalisateur qui co-écrit aussi le scénario est brillante. Avec extrêmement peu d’éléments, il parvient à construire un récit crédible et d’une intensité rare au cinéma. C’est bien simple, on est crispé à son fauteuil pendant toutes les 90 minutes, à se demander si les personnages vont s’en sortir et à craindre, avec eux, qu’un objet arrive à grande vitesse et mette instantanément fin à leur vie. Sans compter qu’il y a aussi le danger de la réserve d’oxygène, une idée courante, mais qui est ici remarquablement utilisée, sans en faire trop. Car Alfonso Cuarón n’est pas du genre à en faire trop uniquement pour épater la galerie, bien au contraire. Même si la musique stressante à souhait joue un rôle essentiel dans les émotions que provoque le long-métrage, Gravity repose sur une économie de moyens assez surprenante comparée à l’efficacité du résultat. Les premières minutes sont aussi les plus riches, avec la navette et surtout la présence rassurante de Houston, qui discute en permanence avec les astronautes. À partir du premier accident toutefois, l’isolement des deux seuls survivants est total : ils ne peuvent pas communiquer avec la planète et bien vite, ils ne peuvent plus communiquer eux-mêmes. Nonobstant la bande originale, la seule chose que l’on entend pendant plusieurs longues minutes, ce sont les voix des personnages, mais surtout leur souffle. Un souffle souvent rapide qui distille plus de stress que n’importe quel autre élément : les personnages sentent qu’ils partent à la dérive et qu’il n’y aura peut-être pas de retour, et on le ressent avec.
Au fond, la plus grande réussite de Gravity est peut-être de donner l’impression aux spectateurs qu’ils ne sont pas seulement spectateurs, mais aussi acteurs. Alfonso Cuarón joue avec sa caméra pour montrer au maximum le point de vue du ou des personnages d’une scène. On a rarement de plans d’ensemble où l’on pourrait mieux comprendre la situation, la caméra est le plus souvent au niveau du visage du personnage et le cinéaste excelle à manier l’objectif pour être au plus près de l’action. L’une des séquences les plus réussies de Gravity consiste justement en un long plan-séquence où la caméra avance doucement vers un personnage jusqu’à son casque, avant de passer la vitre et se loger finalement à la place de ses yeux. Le film joue alors autant sur la vue que sur l’ouïe, avec une ambiance sonore qui change du tout au tout. Sur le plan technique, le long-métrage n’a de toute manière pas à rougir et c’est indéniablement une claque côté technologie. La 3D semble avoir été inventée uniquement pour ce film, elle est utilisée pour renforcer l’effet de profondeur et de réalisme et le résultat est brillant, tout simplement. Gravity mérite d’être vu uniquement pour le plaisir de se déplacer sans gravité comme les personnages et on a vraiment l’impression d’y être, au point d’avoir un peu de mal à marcher droit pour sortir de la salle. La performance est d’autant plus spectaculaire que le tournage est novateur : Alfonso Cuarón et ses équipes ont inventé de nouvelles techniques pour rendre parfaitement les mouvements dans l’espace. Quand on sait que les acteurs ont tourné uniquement avec leur visage dans les séquences spatiales, quand on sait aussi qu’ils sont le plus souvent seuls à l’écran, il faut à nouveau saluer leur travail. George Clooney est très bien dans son rôle de séducteur et de guide, mais on retiendra surtout la performance vraiment impressionnante de Sandra Bullock. Difficile, par moment, de ne pas la prendre pour une véritable astronaute tant elle semble parfaitement à l’aise dans cet environnement. Notons aussi, une dernière fois, la puissance extraordinaire de la bande originale de Steven Price qui est pour beaucoup dans la réussite de Gravity en étant un personnage à part entière et l’un des moteurs du suspense dans le long-métrage. Si vous aimez les musiques d’ambiance inquiétantes, ne passez pas à côté.
Contrairement au travail de James Cameron, Gravity n’appartient pas vraiment à l’univers de la science-fiction, même si le film se déroule dans un futur que l’on imagine très proche. Alfonso Cuarón signe ce qui est peut-être le premier vrai film spatial, un long-métrage dans l’immensité spatiale, mais aussi une sorte de huis clos. Claustrophobiques s’abstenir : pendant une heure trente, le spectateur est pris par un spectacle d’une intensité rare. On craint vraiment constamment pour la vie des personnages et le cinéaste a parfaitement dosé le suspense pour tenir en haleine pendant toute la durée du spectacle. C’est une réussite et on sort de Gravity un peu choqué par ce que l’on vient de voir, mais avec une seule envie : retourner dans l’espace avec Alfonso Cuarón. Une expérience de cinéma à ne rater sous aucun prétexte, en 3D et si possible en IMAX pour en profiter au maximum…