Le sujet de Habemus Papam n’était guère engageant, même si l’idée ne manquait pas de sel : un Pape fraichement élu… qui refuse d’assumer son rôle de chef de l’Église catholique. On pouvait craindre le pire avec une confrontation entre la religion et la psychanalyse, mais Nanni Moretti en a fait un film plutôt léger, du moins en apparence. Un film drôle et profond à la fois, à ne pas rater.
Le Pape est mort, vive le Pape ! Habemus Papam commence avec un deuil, celui d’un Pape, mais aussi celui de toute l’Église catholique. Cette dernière ne pouvant rester sans tête, elle convoque immédiatement tous les cardinaux en conclave pour désigner un nouveau Pape. Enfermés dans le Vatican, les cardinaux peinent à s’entendre, mais à force de tractations, un nom sort enfin de l’urne. Melville a été choisi par ses pairs, ou plutôt par dieu. Déjà, on sent poindre l’inquiétude dans son regard, mais l’homme accepte la mission confiée. Au moment de monter sur le balcon pour se montrer au monde, il craque : il ne se sent pas d’adresser un discours aux milliers de fidèles qui l’attendent. Le Vatican n’avait jamais prévu ce cas de figure : un Pape qui refuse d’assumer ses fonctions. Face à l’ampleur de la crise, l’Église est prête à tout, même convoquer un brillant psychanalyste pour tenter de débloquer l’homme, puisque la foi ne semble plus suffire…
À la manière du Discours d’un Roi, Habemus Papam commence par un film de guérison. Le Pape est malade, non pas physiquement puisque la machine corporelle fonctionne parfaitement, mais le mental ne suit pas. Les cardinaux ne savent pas gérer ce malade : l’un essaie la formule de « Dieu t’a choisi, il t’a donné la force qui va avec pour supporter la fonction », mais l’explication ne convient visiblement pas. Ils ont alors l’idée d’appeler un psychanalyste de renom, malgré leur défiance pour cette profession qui remet en cause tant de leurs préceptes. Pis, le psychanalyste en question est un mécréant qui se moque bien de la croyance de ces cardinaux. Qu’à cela ne tienne, il se lance dans l’analyse, mais échoue vite. Les réponses ne sont pas plus satisfaisantes que celles apportées par la religion et le Pape fuit le Vatican pour se promener, anonyme, dans les rues de Rome en quête de réponses. Ainsi, Habemus Papam commence peut-être comme un film de guérison, mais il bifurque vite. Le psychanalyste reste bloqué dans le Vatican, mais il s’occupe des autres cardinaux et organise avec eux… un tournoi de volley assez surréaliste. Le Pape quant à lui erre un peu au hasard dans la capitale italienne, il croise une autre psychanalyste qui ne l’aide pas plus et une troupe de théâtre qui lui fait regretter de ne pas avoir suivi ce rêve de jeunesse avec plus d’opiniâtreté. Nanni Moretti fait ainsi évoluer son film vers quelque chose d’assez inattendu, sans prévenir. Habemus Papam devient assez léger par moment, souvent burlesque dans sa façon de montrer le Vatican et ses archaïsmes, mélancolique aussi, surtout dans les scènes extérieures.
Léger et simple, Habemus Papam l’est indéniablement, mais uniquement en surface. Derrière cet habit, Nanni Moretti pose des questions plus profondes qu’elles n’en ont l’air. Le conflit titanesque et attendu entre religion et psychanalyse ne vient jamais. Le cinéaste italien n’est pas vraiment porté sur la religion, cela se sent, mais il n’oppose pas d’une part une religion qui serait archaïque et néfaste à la psychanalyse qui serait au contraire le comble de la modernité et la réponse à tout. Les deux sont en fait renvoyées dos à dos : si la religion ne soulage pas Melville, la psychanalyse ne fait pas mieux. On pouvait avoir encore des doutes après le premier rendez-vous, très amusant avec ses sujets interdits et la cour de cardinaux qui se rapprochent pour ne rien rater, mais le second rendez-vous se fait dans des conditions idéales et il ne sert pourtant à rien. Habemus Papam s’avère finalement très critique sur cette discipline qui semble incapable de fournir autre chose que des réponses préformatées et sans intérêt. Le psychanalyste dans l’affaire ne semble bon qu’à organiser un tournoi de volley, alors que les cardinaux sont plus ouverts qu’on aurait pu le penser. Si la religion est centrale pour eux et s’ils peuvent parfois être aveuglés par elle (ils sont incapables d’admettre qu’un Pape pourrait déprimer), ils ont accepté la présence du psychanalyste, ils acceptent de l’écouter et sont prêts à faire des concessions. Ces hommes d’Église provoquent plus la compassion, ils ne connaissent pas vraiment la vie et ils sont comme des gamins avec un ballon. S’ils refusent de l’admettre, ils sont tous plus ou moins en dépression et ce regard porté par Nanni Moretti n’est pas caricatural et anticlérical, il est tout simplement juste et humain. La religion est pour eux un cadre bien pratique qui leur permet de ne pas avoir à choisir, mais Habemus Papam parvient bien à souligner la faiblesse de ce cadre et la précarité de leur situation. La scène de l’élection est à cet égard à la fois très drôle et terrible : aucun cardinal ne veut de ce pouvoir encombrant.
Nanni Moretti n’a pas fait dans l’extravagance. Son film est au contraire techniquement assez sage et classique : Habemus Papam est un film plutôt sobre, à l’exception d’une musique parfois un peu trop présente. Cette sobriété d’ensemble est une bonne chose, elle évite au film de se détourner de son sujet et de ses personnages. La galerie proposée par le cinéaste est assez fascinante : les cardinaux sont tous très réussis dans ce mélange de modestie liée à leur statut et à leur foi, et en même temps une humanité irrésistible qui en fait des êtres humains passionnés, qui aiment jouer et qui n’aiment pas perdre. Le porte-parole du Vatican, dans un autre genre (le genre mielleux qui ne dit rien, mais avec le sourire), est tout aussi excellent et Nanni Moretti campe un psychanalyste convaincant. Le meilleur reste néanmoins Michel Piccoli, excellent en Pape qui doute : on ne voit jamais l’acteur, toujours l’homme dans toute sa complexité. L’émotion au rendez-vous, notamment quand il va, anonyme, sous le balcon du Vatican et qu’il partage un bref instant ce que les fidèles attendent de lui.
Nanni Moretti aurait pu opposer psychanalyse et religion dans un film bavard et ennuyeux. Il aurait pu moquer l’Église catholique, il y avait de quoi faire avec ces cardinaux qui se comportent en écoliers et qui refusent de prendre leurs responsabilités. Habemus Papam est néanmoins beaucoup plus complexe, et c’est tant mieux : le film est à la fois drôle, émouvant, léger et profond. Il renvoie dos à dos religion et psychanalyse avec une galerie de personnages très humains. Un film beaucoup plus subtil qu’il n’y paraît, sans être complexe, un film à voir sans hésiter.