Happy Feet, George Miller

Si son nom est d’abord associé à celui de la saga Mad Max, George Miller est aussi un réalisateur qui a signé plusieurs films « pour les enfants », puisqu’il est à l’origine des deux Babe, mais aussi des deux Happy Feet. Après avoir raconté la vie d’un cochon, c’est aux manchots que s’intéresse cette fois le cinéaste australien, dans un film d’animation extrêmement conventionnel, en tout cas en apparence. Des animaux qui parlent et qui dansent, un héros à l’écart qui retrouve sa place dans le groupe… on a vu des dizaines de longs-métrage similaires au cours des deux dernières décennies. Pourtant, George Miller n’est pas venu simplement donner son nom à un projet existant, c’est lui qui a porté ce film, construit au fil des années à partir d’une idée qui lui serait venue pendant le tournage de Mad Max 2 : Le défi, vingt-cinq ans auparavant. De fait, Happy Feet sort du lot avec quelques idées assez radicales, marque de fabrique du cinéaste. Du rôle des humains à la place accordée à la morale, cette comédie musicale convainc toutes les générations et s’impose comme une vraie réussite.

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La passion de George Miller pour les manchots empereur lui vient à l’origine des documentaires animaliers et le cinéaste adopte la même approche, quasiment scientifique, pour son film d’animation. Certes, les personnages de Happy Feet parlent et ils se comportent parfois un petit peu comme des humains, mais ce sont les seules maigres concessions à l’anthropomorphisme qui est souvent la norme dans ce genre de films. Déjà, ces animaux ne parlent qu’entre eux et surtout, ne se comprennent qu’entre eux : quand ils croisent des humains, ces derniers n’entendent que des cris de manchots. Ensuite, même si certains mouvements, en particulier dans les scènes de danse, sont très fortement inspirés par les hommes, les animateurs ont fait tout leur possible pour maintenir leur animalité. Leurs ailes, par exemple, ne sont pas converties maladroitement en bras, elles restent des ailes et les chorégraphies sont adaptées en fonction. Par ailleurs, le long-métrage approche quasiment du documentaire quand il s’agit de filmer le groupe entier : les démarches, les habitudes quant à la reproduction ou à la pêche, mais aussi tous les aspects sociaux relevés chez les manchots, comme la monogamie, le rassemblement de milliers d’espèce pour survivre à l’hiver glacial dans ces régions ou encore l’utilisation de cris pour qu’un couple se reconnaisse. Ces informations ont été exploitées dans le scénario, si bien qu’il n’y a rien de gratuit dans Happy Feet. Bien sûr qu’il s’agit d’une comédie musicale, puisque les couples se forment en chantant, ce n’est pas le délire du réalisateur qui a eu cette idée par hasard. On peut aussi noter que l’on voit d’autres espèces, avec notamment des manchots d’Adélie, plus petits et aux habitudes différentes — eux, créent des nids avec des cailloux, alors que les manchots empereurs mâles couvent les œufs entre leurs pattes —, mais aussi des oiseaux correctement nommés Skua puisque c’est l’espèce représentée1, ou encore des éléphants de mer. À chaque fois, la même précision est apportée, si bien que l’on a un rendu proche du réalisme, quelque chose d’assez rare au fond, dans les films d’animation animaliers.

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Au-delà de son réalisme, Happy Feet est porté par un scénario susceptible de passionner autant les plus jeunes que les adultes. Le film suit le parcours de Mumble, un manchot différent de tous les autres, puisqu’il est incapable de chanter. Il excelle à l’art des claquettes, quelque chose qui n’a jamais été vu jusque-là dans la colonie, et cette différence le sépare du reste du groupe, à tel point qu’il finira par être banni par les anciens qui le dirigent. S’il ne peut pas chanter en effet, comment espère-t-il trouver une compagne pour perpétuer l’espèce ? Loin des siens, le personnage se fait des amis chez les manchots d’Adélie où son talent est considéré à sa juste valeur et il part en quête pour retrouver le poisson qui n’arrive plus à eux. Toute la fin de Happy Feet est ainsi portée par une dimension écologique, avec la présence des êtres humains, qualifiés d’extra-terrestres par ces animaux qui n’en ont jamais vus, et leur rôle avec la pèche intensive. George Miller n’évoque pas le réchauffement climatique, mais le message reste là, tout comme ce que l’on peut lire comme une critique très claire des zoos, où Mumble passe à un moment donné. Toute cette trame n’est pas très originale en soi, mais le traitement l’est plus : encore une fois, c’est le réalisme qui prime ici, avec la présence humaine qui ne prend d’abord que la forme de déchets qui polluent l’Antarctique, puis qui reste toujours distante, derrière une vitre ou sur la falaise au lointain. Il n’est pas question de mêler les deux univers et le réalisateur reste avant tout avec les animaux. Ce qui ne l’empêche pas de déployer des questions morales aussi fortes qu’universelles, de l’exclusion de la différence à la peur de l’étranger, avec une belle pique contre la religion et ses représentants. Happy Feet pose son message de tolérance avec détermination et il faut reconnaître que le scénario est très bien mené. Et surtout, on ne retrouve absolument pas le ton un petit peu débile qu’emploient certains films dédiés aux enfants : ici, le message est porté directement, sans détour, et c’est très bien vu.

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Happy Feet est aussi une comédie musicale, avec un impressionnant pot-pourri de chansons populaires en guise de bande originale. Ce choix est non seulement logique dans le contexte des manchots empereurs, mais il donne aussi au film son rythme et sa bonne humeur. Carton plein pour George Miller, qui ne se contente pas de signer un film d’animation banal et un petit peu feignant, mais qui propose au contraire une œuvre assez radicale et nettement plus réussie que la moyenne. Fun et instructif, Happy Feet n’a pas vieilli et se regarde avec toujours autant de plaisir, dix ans après sa sortie.


  1. Skua est leur nom commun en anglais, en français on parle plutôt de Labbe