Hippocrate nous plonge sans cérémonie dans l’univers d’un interne en médecine. Dès le premier plan, on suit les pas de Benjamin, un jeune de 23 ans qui fait ses premiers pas comme docteur, et dès le départ, les choses ne sont pas toujours faciles. Thomas Lilti présente un univers hospitalier plus vrai que nature et, à bien des égards, son deuxième long-métrage pourrait être un documentaire. Aussi bien documenté soit-il, Hippocrate reste un film de fiction et plus particulièrement une comédie, teintée de drame, mais une comédie malgré tout. Le résultat est tout à fait réussi : le film est très drôle, il est aussi prenant et passionnant et même s’il devrait décourager quelques médecins en herbe, son réalisateur offre aussi un très bel hommage à ce métier impossible, et pourtant si indispensable.
On le disait en préambule, Hippocrate attaque de manière assez abrupte. Avant même le générique, on suit les pas de Benjamin dans les sous-sols de l’hôpital où il doit débuter, comme interne. Le jeune homme est manifestement perdu dans ces longs couloirs abimés et assez glauques, et il manque de se faire écraser par un convoi de poubelles qui déboule à toute allure. Thomas Lilti ne présente pas cette première scène sur le ton du drame, bien au contraire. Déjà, le côté humoristique est évident et cette scène d’ouverture qui montre bien l’immensité de l’hôpital, mais aussi le fait que l’interne y est abandonné, seul, est assez amusante. Hippocrate n’abandonne jamais cette dualité, avec à la fois des scènes dramatiques, voire tragiques — la mort rode toujours dans les couloirs hospitaliers —, mais aussi de nombreuses occasions de rire, ou au moins de sourire. Au passage, on découvre ce quotidien étonnant, où un jeune interne de 23 ans a entre ses mains la vie d’une petite vingtaine de patients, un quotidien aussi ponctué de passages à l’internat, où l’ambiance des campus étudiants reste bien présent, jusqu’aux bizutages qui sont si célèbres dans ce domaine. L’ensemble est criant de vérité et c’est une plongée fascinante dans cet univers que l’on ne connaît pas forcément, avec humour, mais sans tomber dans le film à sketch. Hippocrate est porté par un scénario qui eclipse même en partie Benjamin en guise de personnage principal. En effet, Thomas Lilti semble faire du jeune interne le héros de son film, mais les choses deviennent vite plus compliquées. Certes on suit ce personnage d’un bout à l’autre et le temps du film est l’occasion de suivre son développement, du jeune interne qui pense tout savoir au docteur qui a atteint la maturité à travers plusieurs épreuves pour certaines très difficiles à traverser. Hippocrate s’intéresse aussi au parcours d’Abdel, un jeune médecin algérien venu en France dans l’espoir d’être titularisé et de pouvoir faire venir sa famille restée au pays.
Le scénario oppose ces deux personnages qui sont dans la même galère, mais qui n’ont pas eu la même chance au départ. Alors que Benjamin est protégé par son père, à la tête du service où il travaille, Abdel est constamment menacé par son statut. L’hôpital l’emploie pour une bouchée de pain et son futur professionnel en France est conditionné par son travail exemplaire, et surtout discret. Pourtant, ce jeune médecin passionné par son travail oublie de rester discret en s’opposant vite à sa supérieure hiérarchique sur le sort d’une patiente en fin de vie. Hippocrate commence sur un ton comique assuré et il ne l’oublie pas, mais le film ménage peu à peu une place à une thématique sociale assumée. Thomas Lilti évoque les problèmes actuels de l’hôpital, en France, mais pas seulement : soigner coûte cher, mais ne rapporte rien et à une époque de réduction budgétaire, les équipes souffrent le plus. Diminution du personnel, moyens techniques limités, appareils de mauvaise qualité, mauvais entretien… le film montre bien que les équipes de médecins et d’infirmiers souffrent de toutes ces coupes budgétaires. Pression face à des patients toujours plus nombreux à gérer, les erreurs se multiplient forcément et la hiérarchie n’est pas là pour soutenir les équipes. Sans être un film social revendicatif, Hippocrate n’évite aucune question difficile et le long-métrage dresse un bilan à la fois terrifiant — on rogne sur le dos de ceux qui doivent sauver nos vies —, sans pour autant tomber dans le misérabilisme facile. C’est plutôt un regard sans concession sur cet univers totalement indispensable, mais un peu délaissé par la société. Le scénario ne donne pas des bons et mauvais points, il n’enjolive pas la situation, mais ne la noircit pas pour autant. Ces hommes et femmes sacrifient leur vie sociale et leur vie familiale, ce que Thomas Lilti illustre avec beaucoup de finesse — on apprend au détour d’une conversation que les parents de Benjamin sont séparés, mais c’est hors champ —, leur métier est difficile, mais il peut aussi être valorisant quand une vie est sauvée, ou au moins quand ils ont pu faciliter la fin d’une autre vie. Après avoir vu Hippocrate, les futurs médecins se poseront sans doute quelques questions sur leur choix professionnel, mais ce film est aussi un magnifique hommage qui fait envie : ces hommes et ces femmes sacrifient tout, mais ce n’est pas vain.
Thomas Lilti peut compter sur ses deux acteurs principaux pour réussir sa comédie dramatique. Vincent Lacoste est épatant dans son rôle de jeune interne qui doit affronter un choix de carrière difficile, mais qui doit aussi se confronter au poids parfois important de son père. Reda Kateb est lui aussi parfait dans ce rôle de médecin étranger poussé par une passion incontestable pour la médecine, quitte à faire les mauvais choix de carrière. La réussite de Hippocrate leur doit incontestablement beaucoup, mais il faut aussi saluer le travail d’écriture du scénario qui s’éloigne des caricatures du genre, pour constituer des dialogues toujours réalistes et très bien écrits. Ce deuxième long-métrage est une réussite pour Thomas Lilti et on a hâte de voir ce que le cinéaste nous réserve à l’avenir…