Hippocrate, Thomas Lilti (Canal+)

Vous aviez aimé Hippocrate au cinéma ? Vous aimerez Hippocrate à la télévision ! Thomas Lilti voulait réaliser une série télévisée dès le départ, mais il n’a pu faire qu’un long-métrage. Quatre ans après et le succès du film aidant, Canal+ a signé avec lui pour lui permettre de créer la série envisagée dès le départ. Le nom n’a pas changé, le cadre non plus et l’idée est la même. Cette première saison se déroule dans un hôpital où des internes doivent composer avec le manque de moyens évidents et tenter de sauver des vies malgré leur expérience limitée et l’absence d’aides. Même si le point de départ est identique, Hippocrate ne répète pas ce que l’on avait vu dans le long-métrage et les huit premiers épisodes créent des personnages nettement plus riches et intéressants que dans le film. Très documentée et bien écrite, la série de Thomas Lilti est passionnante.

La série commence avec l’arrivée d’Alyson dans l’hôpital public parisien qui l’accueille pour son premier stage en tant qu’interne. La jeune femme va faire son stage dans le service de médecine interne de l’établissement en compagnie de deux autres internes, Chloé qui termine ses études et Hugo, un autre interne qui débute comme elle. Elle découvre en arrivant que tous les médecins titulaires en charge du service sont absents. La veille, un malade est mort d’un virus inconnu et par mesure de sécurité, tous ceux qui étaient présents ce jour-là sont mis en quarantaine. Cette mise à l’écart n’est censée durer que 24 heures à la base, mais elle est rapidement étendue jusqu’à nouvel ordre. Hippocrate se construit autour de cette absence : faute de titulaires, et alors que l’hôpital n’a pas les moyens d’embaucher des remplaçants rapidement, les trois internes doivent se débrouiller seuls. Un médecin légiste vient en renfort pour les aider, mais à part Chloé, ils sont tous débutants, pleins de connaissances théoriques, mais avec très peu de pratique. Et pour autant, le service ne ferme pas ses portes, il y a des malades à traiter et de nouveaux arrivants qui s’installent dans les lits tous les jours. À chaque fois, c’est un nouveau défi qui se pose pour ces débutants, qui sont souvent désemparés face à une maladie ou un malade qu’ils ne comprennent pas. Et pour ne rien arranger, les conflits internes à l’établissement sont constants, les autres services ne veulent pas assister la médecine interne et tout le monde se tire dans les pattes au lieu d’essayer de faire avancer les choses dans le bon sens pour les patients.

C’est à nouveau un tableau assez noir que dresse Thomas Lilti de l’hôpital. Cet ancien médecin connaît très bien ce domaine, il s’est énormément documenté et, comme le film avant lui, Hippocrate a parfois des allures de docu-fiction. Les problèmes de financement sont évoqués, tout comme la gestion très politique de la crise, mais on découvre aussi la vie des internes, les bizutages et les nuits d’angoisse lors des gardes, la fatigue répétée tous les jours et aussi le stress constant. Un stress aggravé par les décisions prises chaque jour, qui peuvent parfois coûter la vie d’un patient. C’est très intense et le réalisateur a parfaitement réussi à rendre cette intensité palpable. Dans chaque épisode, plusieurs scènes sont ainsi très fortes, la tension est admirablement communiquée et on a l’impression d’être avec les personnages, en train d’essayer de sauver une vie ou face à un dilemme médical. La réalisation parvient bien à présenter cette intensité, mais la série doit beaucoup à ses acteurs. Les quatre acteurs principaux sont tous excellents, avec une mention spéciale à Louise Bourgoin qui compose une Chloé impeccable. Alice Belaïdi est excellente elle aussi dans le rôle d’Alyson, interne débutante qui doute constamment de ses capacités, et Hugo, interne « fils de » qui multiplie les gaffes, est très bien incarné par Zacharie Chasseriaud. Il n’y a aucun faux pas, les acteurs sont tous bien dirigés et leurs personnages sont suffisamment intéressants pour maintenir l’intérêt jusqu’au bout. Cette première saison est même un petit peu trop légère, les huit épisodes passent trop vite et on aurait aimé en voir plus. Cela tombe bien, Hippocrate devrait avoir une deuxième saison, mais la série aurait sans doute bénéficié d’un format légèrement plus généreux, avec dix épisodes par exemple.

On pouvait craindre que Thomas Lilti se contente d’augmenter la durée de son film pour en faire une série, mais Hippocrate est finalement assez différente du long-métrage. Le cadre et le sujet sont peut-être identiques, mais le traitement est différent, tout comme l’ambiance. Le réalisateur prend davantage le temps de poser ses personnages et de construire des psychologies plus approfondies. L’ensemble est parfaitement construit et on a vraiment envie d’en voir plus. En somme, c’est une belle réussite pour Canal+ et on espère que la deuxième saison sera au même niveau. En attendant de pouvoir le vérifier, Hippocrate mérite largement d’être vue.


Hippocrate, saison 2

(11 avril 2021)

Après une première saison réussie, on attendait la suite de Hippocrate avec impatience. Il a fallu patienter pour enfin voir arriver huit nouveaux épisodes, mais l’attente est amplement récompensée. Thomas Lilti a trouvé comment offrir une suite convaincante à sa série ; mieux, cette deuxième saison parvient à dépasser la première en intensité et elle est encore plus saisissante. Peut-être est-ce l’effet de l’actualité, esquissée dans le dernier épisode avec l’apparition de la pandémie1, mais cette plongée dans les couloirs d’un hôpital public, avec le manque de moyens et l’improvisation constante en guise de norme, est un cri de détresse puissant. Dur, mais essentiel.

Thomas Lilti aime bien trouver un grain de sable pour bloquer l’engrenage pas toujours fluide de son hôpital fictif. Après la mystérieuse maladie qui touchait tous les médecins de la saison 1, c’est une inondation dans les urgences qui est le point de départ. Face à la catastrophe et en attendant un retour à la normale, les urgences s’installent en médecine interne, où Hugo, Alyson et Chloé continuent leur internat. Brutalement, leur monde change et il faut faire face à l’afflux constant de malades et blessés, gérer chaque cas le plus vite possible et sauver des vies si c’est encore possible au milieu. Hippocrate introduit un nouveau personnage avec le docteur Brun, le responsable des urgences délicieusement joué par Bouli Lanners. Pour le reste, le casting ne change pas en profondeur et même Arben, qui avait fui à la fin de la première saison quand la direction de l’hôpital avait découvert qu’il n’avait pas de diplôme de médecine, fait son retour. C’est d’ailleurs l’une des moins bonnes idées de la saison, les scénaristes tentent de créer un faux suspense autour de son retour, comme s’ils avaient besoin de tension supplémentaire. En effet, la série continue de porter une atmosphère pleine de stress, d’autant plus dans ce contexte d’urgences dégradées, où des internes doivent gérer des patients en deux ou trois minutes seulement. Ils n’ont jamais rien le temps de faire, il faut aller vite et tant pis si on se trompe. Pire, ils enchaînent des gardes d’une durée ahurissante, jusqu’à 72 heures presque interrompues pour un autre interne, qui en oublie complètement une patiente dans un placard à balais. Implacable, Thomas Lilti filme ce quotidien impossible et décortique toutes les conséquences du manque de moyens. Il manque des caméras pour surveiller les patients, des ordinateurs pour enregistrer les dossiers, des lits, de la place pour une salle d’attente… et ne parlons pas des manques médicaux, de la psychiatrie jamais gérée, des malades qu’on ne peut pas prendre en charge faute de temps. Les problèmes s’accumulent, les corps et esprits fatiguent et les fautes sont inévitables.

Ce constat, déjà fait dans la saison précédente, est encore plus glaçant quand on pense à l’effet de la pandémie. Même sans cela, l’hôpital parvient à peine à garder la tête hors de l’eau. Comment envisager que les médecins pourront soigner les malades si eux-mêmes ne peuvent pas rester en bonne santé ? Comment peut-on considérer qu’une garde de plusieurs jours entrecoupée d’une heure ou deux de « repos » peut suffire à faire un bon travail ? Hippocrate dresse un portrait terrifiant de notre système de santé et même si la série de Canal+ est bel et bien de la fiction, elle semble n’avoir jamais été aussi proche du documentaire. La fin est d’autant plus cruelle et terrible.


  1. Pourquoi se contenter de cette allusion, d’ailleurs ? Même si le scénario imaginé pour cette nouvelle saison est redoutable d’efficacité, la série aurait pu s’approprier l’actualité et la placer au cœur de ses intrigues. On a quand même le sentiment que Hippocrate est passé à côté de quelque chose…