Homeland, Howard Gordon, Alex Gansa et Gideon Raff (Showtime)

D’abord série israélienne, Homeland a été rapidement adaptée pour la télévision américaine et c’est la série diffusée par Showtime qui s’est faite connaître. Les trois créateurs de cette version n’ont gardé de Hatufim qu’une idée de base : celle du retour compliqué d’un soldat, américain en l’occurence, après plusieurs années de captivité. Une idée intéressante, alors que la guerre au Moyen-Orient n’a jamais vraiment cessé depuis les attentats du 11 Septembre, mais une idée qui ne sert ici que de base. Homeland s’en libère après deux saisons — la durée également de la série israélienne, ce n’est probablement pas une coïncidence — et surtout cette déclinaison est d’abord centrée sur la CIA. Espionnage international, lutte contre le terrorisme, conflits internes et problèmes personnels : tous les ingrédients sont réunis pour faire une bonne série. De fait, malgré une troisième saison globalement ratée, Showtime a signé une excellente série, haletante et qui évite la majorité des clichés avec une vision réaliste sur des pays et situations très complexes.

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Comme la version israélienne, Homeland commence avec la libération d’un prisonnier de guerre. Après huit ans passés en captivité, le sergent Brody revient au pays comme un héros. Mais on s’en doute, une aussi longue période passée dans des situations épouvantables et dans un milieu totalement étranger laisse des marques, au sens propre comme au figuré. Entre les cicatrices des tortures et les troubles post-traumatiques, Nicholas Brody porte les marques de ses années d’emprisonnement et le retour est nécessairement difficile. La première saison de la série se consacre en grande partie à ce retour, d’autant plus complexe que sa famille s’était quelque peu détournée du soldat, laissé pour mort. Sa femme a été voir ailleurs, ses enfants qu’il n’a pas vu grandir ont trouvé un père de substitution ; bref, retrouver une place ne va pas être simple. C’est le premier enjeu de la série, mais c’est loin d’être le seul et ce n’est même pas le plus important. En effet, Homeland ne se contente pas de ce retour au pays, fût-il difficile : dès le pilote, Howard Gordon, Alex Gansa et Gideon Raff introduisent le véritable personnage principal. Carrie Matthison est un agent de la CIA qui apprend lors d’une mission au Moyen-Orient, qu’un prisonnier américain a été retourné par l’ennemi pour commettre un attentat contre les États-Unis. Quand elle apprend le retour de Brody, elle fait immédiatement le pont et pense que c’est lui, le prisonnier retourné.

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La bonne idée de la série, c’est que Carrie est le seul personnage convaincu de la culpabilité du sergent Brody. Tous les autres personnages et même les spectateurs sont laissés dans le noir pendant un moment, si bien qu’elle paraît complètement folle. Sa hiérarchie refuse d’ailleurs de la croire et elle se met à espionner la famille de son côté, sans aucune autorisation de la CIA. L’effet est réussi et Homeland se résume souvent à une opposition entre Carrie et le reste du monde, du moins pendant les deux premières saisons. Le personnage souffre en outre de problèmes psychologiques graves qui ont tendance à renforcer l’hypothèse de la folie, mais on ne sait jamais vraiment et le scénario prend un soin tout particulier à ne pas dévoiler trop d’informations trop rapidement. C’est malin, car le suspense est souvent très élevé autour de cette simple question : Brody est-il un vrai héros ou un traitre ? Naturellement, Homeland commence sur des bases simples, mais la situation se complique rapidement, avec des ramifications politiques qui viennent vite troubler la situation. Résultat, on ne s’ennuie jamais pendant les deux premières saisons et la série peut même se targuer d’avoir quelques « cliff-hangers » d’une intensité rare, et un premier épisode à couper le souffle dans la première saison. On avait rarement atteint de tels niveaux de suspense et certaines scènes sont extrêmement bien réalisées, mais il faut aussi saluer le travail des acteurs, tous excellents. Damian Lewis compose ainsi un Nicholas Brody convaincant, toujours dans le doute, mais on retiendra surtout le travail de Claire Danes, épatante en Carrie. Son entêtement et sa folie sont toujours parfaitement crédibles et la réussite de la série lui doit beaucoup.

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Après deux saisons d’un haut niveau, l’intrigue autour du retour au pays de Brody était terminée et les créateurs de Homeland n’ont, manifestement, pas su trop quoi faire. Le succès étant au rendez-vous, la troisième saison a été diffusée un an après la précédente, mais ce n’était pas forcément la meilleure idée. Toute cette saison est largement inférieure au reste de la série, probablement parce que Howard Gordon, Alex Gansa et Gideon Raff ne savaient pas ce qu’ils devaient faire. Ils ont cherché à concilier les deux premières saisons en les relançant sur de nouvelles bases, mais cela ne fonctionne pas du tout. Le résultat est un assemblage hasardeux d’histoires qui n’ont pas grand-chose en commun et que l’on oublie d’un épisode à l’autre. Le sort de la famille Brody est, à cet égard, intéressant : alors qu’elle occupe une part importante des premiers épisodes, elle disparaît sans autre forme de cérémonie au milieu de la saison et on n’en entend plus jamais parler. Cette inconstance et ce manque de cohérence, qui faisait pourtant la force de Homeland, est vraiment gênante, mais la quatrième saison justifie l’effort pour regarder la troisième. Débarrassée du poids des débuts, cette saison est en effet d’un bien meilleur niveau et on retrouve ce suspense d’une intensité record dans quelques épisodes, surtout vers la fin. Par certains aspects, cette saison est encore meilleure que les deux premières et elle justifie à elle seule de regarder la série.

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Homeland souffre de ce creux de la troisième saison, mais ce n’est en aucun cas une raison suffisante pour bouder la série. Certes, les scénaristes ont raté le passage d’une histoire à l’autre, mais la quatrième saison la relance sur d’excellentes bases et on peut espérer que la suite confirme ce regain d’intérêt. Et puis les deux premières saisons, qui fonctionnent vraiment main dans la main, sont sans conteste excellentes et elles justifient, avec la quatrième saison, de voir l’ensemble. Les personnages créés par Howard Gordon, Alex Gansa et Gideon Raff sont crédibles et attachants — on doit au moins évoquer Saul Berenson, mentor de Carrie interprété par l’excellent Mandy Patinkin —, tandis que l’envers du décors de la CIA et ses intrigues de couloir est un cadre parfait pour que la série se développe. Homeland est l’anti-24 heures chrono et sa vision plus contrastée de la lutte contre le terrorisme est la bienvenue. Malgré ses défauts, cette série de Showtime reste une réussite, à voir !


Homeland, saison 5

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(8 janvier 2016)

Pour sa cinquième saison, Homeland change de contexte géographique et se déroule entièrement à Berlin et en Allemagne. Ce n’est pas le seul changement de cette suite, puisque Carrie ne travaille plus à la CIA cette fois, elle a trouvé un nouvel emploi et a fondé une nouvelle famille avec un Allemand. Pourtant, la lutte contre le terrorisme va vite la rattraper, on s’en doute bien, que ce soit avec ou contre l’agence. Tous ces changements renouvellent la série, d’autant qu’ils sont très bien maîtrisés et on apprécie la nouveauté. Il y a quelques facilités de scénario, notamment avec Peter, mais Homeland parvient toujours mieux que toute autre série à embrasser le présent. Les évènements se déroulent à Berlin, mais ils auraient pu tout aussi bien être à Paris et l’histoire se base même sur l’État islamique et le contexte syrien. De quoi faire froid dans le dos, mais aussi relancer la série sur de bonnes bases. Que peut-il bien se passer ensuite ? Difficile de le deviner, mais on a hâte de le découvrir…


Homeland, saison 6

(27 avril 2017)

Homeland ne se fixe jamais très longtemps sur un contexte ou un cadre. Les deux premières saisons formaient un bloc cohérent, la troisième était encore liée de façon maladroite à ces débuts, mais depuis, chaque saison change totalement la situation. Et après l’Allemagne de la saison 5, place aux États-Unis. Pour la première fois, les scénaristes placent Carrie Matthison dans son propre pays et ils ont aussi essayé de varier les enjeux pour éviter la répétition. Le Moyen-Orient est davantage une menace en arrière-plan que le cœur des enjeux, l’État Islamique est évoqué à un moment donné… néanmoins la cible n’est plus la même. Pour ces douze nouveaux épisodes, la série de Showtime s’intéresse pour la première fois à la politique et à son cœur, avec l’arrivée d’un nouveau président qui remet en cause les services secrets. Difficile de ne pas y voir une allusion à l’actualité, même si la Présidente de Homeland n’a pas grand-chose à voir avec l’actuel. Il n’empêche que le scénario a bien géré le changement de genre et le virage politique est très bien négocié, c’est réaliste et toujours plein de suspense, un bon cru à nouveau.

Showtime a parfaitement réussi à passer d’une mini-série de deux saisons à une série désormais à six saisons et qui reste passionnante. Homeland n’a plus rien à voir avec son point de départ et c’est tant mieux : la série a trouvé un nouveau souffle en changeant de contexte et les trois dernières saisons ont été particulièrement réussies. Cette fois, la fin de la saison laisse entendre que la suivante pourrait rester dans la veine actuelle, ce qui ne serait pas une mauvaise chose. Homeland s’accorde bien à la politique et il y aurait encore beaucoup à faire sur le thème de la désinformation. Vivement la suite !


Homeland, saison 7

(24 février 2019)

Homeland a changé plusieurs fois de contextes, mais la saison 7 suit directement la précédente, elle se déroule dans la foulée et se concentre à nouveau sur les risques domestiques, à l’intérieur des États-Unis. Alors que tout le monde s’oppose à la présidente Keane, qui semble rongée par la paranoïa et son désir de revanche, Saul suspecte que les Russes manipulent l’actualité pour troubler le régime américain et pourquoi pas renverser la démocratie. Comme on pouvait s’y attendre à la fin de la saison précédente, la désinformation est au cœur des enjeux et la situation est toujours plus complexe et opaque. Pour les scénaristes, c’est l’occasion d’utiliser les points forts de Homeland tout en trouvant de nouvelles idées pour éviter les répétitions et cette septième saison est excellente.

À la toute fin de la sixième saison, la nouvelle présidente des États-Unis qui venait de survivre à un attentat décidait de lancer une vraie purge, à la fois contre l’armée américaine et les services de renseignement. Elle est persuadée qu’ils sont tous coupables ou a minima complices et elle fait emprisonner 200 personnes, dont Saul Berenson. Quand Homeland reprend, Carrie fait tout pour essayer de les libérer et elle est dans le camp des anti-Keane. C’est le point de départ d’une saison plus complexe qu’il n’y paraît, qui traite autant de problèmes à l’intérieur du pays qu’à l’internationale, avec l’influence de la Russie qui plane sur toute la deuxième moitié de la saison. Howard Gordon, Alex Gansa et Gideon Raff offrent toujours une bonne dose d’espionnage et quelques séquences d’action dignes de Jason Bourne, mais ce qui est surtout intéressant dans cette saison, c’est la place prise par la politique. On suit les pas de Carrie Mathison, évidemment, mais aussi ceux d’Elizabeth Keane dans la Maison-Blanche. Les intrigues politiques sont bien représentées, en particulier le jeu entre la présidente et Brett O’Keefe et sur la vérité contre les fake news. C’est bien écrit et prenant, et cette saison de Homeland ressemble par certains aspects à un House of Cards qui n’aurait pas mal tourné. Elizabeth Marvel incarne une présidente complexe, tourmentée par son désir de vengeance et en même temps très saine : voilà un personnage bien écrit et très bien interprété, qui apporte beaucoup à la saison.

Le bilan est déjà très positif, mais Homeland ne serait rien sans son personnage principal, Carrie. Et dans cette septième saison, celle qui n’est plus censée être une espionne pour la CIA est encore meilleure qu’avant, entre complots russes et besoins maternels. Claire Danes a toujours été un point fort de la série de Showtime, mais elle atteint de nouveaux sommets ici, alors que son personnage souffre encore une fois de la bipolarité. Est-elle folle comme tout le monde le laisse entendre, ou bien a-t-elle raison ? La question avait déjà été posée dans les saisons précédentes, c’était même le moteur de la première, mais elle est encore particulièrement bien exploitée ici. Et puis au milieu de tout cela, il y a sa fille, qu’elle aime plus que tout au monde, mais dont elle ne peut pas s’occuper. Comment être mère et dans les renseignements secrets ?

Loin des réponses faciles, Homeland offre une réponse juste et poignante. On sait déjà que la huitième saison sera la dernière et c’est sans doute la bonne chose pour éviter la saison de trop. Mais autant dire qu’après ces douze épisodes d’une rare intensité et passionnants de bout en bout, on a hâte de voir cette fin !


Homeland, saison 8

(11 novembre 2020)

Ultime saison pour Homeland, une série qui a vécu bien plus longtemps qu’on pouvait l’imaginer pour un remake d’une série de deux saisons seulement. Howard Gordon, Alex Gansa et Gideon Raff ont parfaitement su gérer l’après et ouvrir leur adaptation à d’autres horizons. Au fil des saisons et surtout portée par l’excellent personnage de Carrie, la création de Showtime s’est imposée comme une référence et les douze épisodes qui composent cette huitième saison ne viennent pas contredire cette bonne tendance de fond. Même s’il y a quelques éléments un petit peu plus faibles ici ou là, il faut saluer l’excellent travail d’écriture, surtout pour les personnages qui bénéficient tous d’une psychologie particulièrement soignée et c’est à nouveau le cas jusqu’au bout.

La septième saison se terminait sur un coup dur pour Carrie, emprisonnée par les Russes et sommée de déballer tous ses secrets et surtout ses contacts. Elle était finalement libérée dans un état psychologique extrêmement dégradé et la huitième reprend quelques mois plus tard. L’espionne est suspectée d’avoir changé de camp, un écho intéressant aux deux premières saisons et au parcours de Brody. Fort heureusement, Homeland ne s’attarde pas trop sur cette piste évidente, et préfère renvoyer son héroïne en Afghanistan, à Kaboul que la série avait déjà eu l’occasion d’explorer. Dans cette fiction proche de notre réalité, un accord pour la paix est sur le point d’être trouvé entre les États-Unis, le gouvernement afghan et surtout les Talibans, prêts à cesser leur combat. Carrie est envoyée sur place pour participer à cet effort, lever les derniers blocages et obtenir une paix historique… qui sera plus compliquée qu’escompté à obtenir. Depuis l’élection de Donald Trump, les séries ont du mal à suivre la cadence en matière de folie, mais cette huitième saison trouve la parade avec une autre idée pour secouer la démocratie américaine. La série de Showtime parvient à garder le réalisme à peu près intact, même s’il y a quelques détails un petit peu forcés, à l’image de cette relation entre Carrie et un officier du GRU russe. Les scénaristes vont parfois trop loin dans cette relation, même si elle apporte beaucoup sur le plan personnel. C’est d’ailleurs cet aspect qui prend le dessus dans le tout dernier épisode qui, sans trop en dire, est une vraie réussite. La relation entre Carrie et Saul, construite patiemment sur l’espace de huit saisons, atteint alors des sommets et les deux acteurs n’ont quasiment plus besoin de parler pour exprimer toutes leurs émotions.

Une très belle fin, pour une série qui a su se maintenir jusqu’au bout, malgré quelques passages à vide. Homeland a su dépasser la petite intrigue initiale du soldat américain qui a changé de camp pour se transformer en une vaste plongée au cœur de la CIA et de ses opérations au Moyen-Orient. Un sujet complexe, toujours très bien traité, avec subtilité et un réalisme global. Mais surtout, la création de Howard Gordon, Alex Gansa et Gideon Raff a tenu la distance grâce à ses personnages et ses acteurs. Sans Carrie, brillamment interprétée par Claire Danes, Homeland n’aurait sans doute pas dépassé ses deux premières saisons. En tout cas, elle n’aurait certainement pas marqué autant qu’elle l’a fait au fil de ces années.