Nouvelle adaptation du « maître de l’espionnage » John le Carré, Un homme très recherché nous plonge à nouveau dans les profondeurs de l’espionnage et de l’anti-terrorisme post-11 Septembre. Le sujet n’a rien d’original en apparence, mais ce n’est qu’une apparence. Si la lutte contre le terrorisme religieux est bien présente, elle ne l’est qu’en toile de fond et ce n’est pas ce qui intéresse d’abord Anton Corbijn. Le sujet du cinéaste est ailleurs, ce qui rend le projet beaucoup plus intéressant : Un homme très recherché fouille les luttes de pouvoir entre agences de surveillance et entre pays. Des luttes totalement stupides, mais si humaines à la fois, qui offrent au long-métrage la hauteur nécessaire pour renouveler le genre. Un très bon film d’espionnage, loin des figures imposées du genre.
Un homme très recherché commence dans un esprit très proche de celui de La Taupe, excellent film d’espionnage qui adaptait déjà un roman de John Le Carré. Dans les deux cas, le spectateur est plongé dans un univers qu’il ne connaît pas, et le dépaysement est complet. Pourtant, là où Thomas Alfredson jouait en permanence sur le trouble et entretenait le doute jusqu’au bout, Anton Corbijn déploie un récit beaucoup plus simple à suivre, mais pas forcément moins complexe pour autant. On suit les pas d’Issa, un jeune tchétchène qui a fui son pays et les tortures russes pour débarquer à Hambourg. Il sait que son père a laissé une fortune dans une banque de la ville et qu’il peut récupéré l’argent, mais il est d’emblée suspect d’être un terroriste potentiel. Sa conversion à l’Islam et sa pratique radicale de la religion le rendent forcément encore plus suspect, et les services secrets allemands le surveillent de près. Un homme très recherché présente rapidement sa spécificité : alors que la plupart des films d’espionnage se cantonnent à une équipe — les services secrets d’un pays en général —, ce film multiplie les espions. Il y a d’abord Günther Bachmann et son équipe, une branche obscure des services de renseignement qui n’existe pas officiellement et qui respecte vaguement la loi pour obtenir des résultats. Cette équipe est celle que l’on suit principalement et son objectif est de suivre discrètement le nouveau-venu, mais de le laisser vivre sa vie pour essayer de traquer des cibles plus importantes autour d’al-Qaïda. Cette équipe n’est pas seule toutefois, et le scénario à la base du film d’Anton Corbijn ne tarde pas à dévoiler les autres forces en présence. Les services de renseignement allemands officiels tout d’abord, ne font pas vraiment confiance à cette équipe qui semble vouloir leur prendre du travail et ils aimeraient bien agir sans plus attendre. Et puis, il y a aussi les Américains qui sont toujours là, à surveiller, intervenir parfois, donner leur avis et leur autorisation toujours.
Plus que de la lutte contre le terrorisme islamique, le vrai sujet d’Un homme très recherché est précisément là, entre chaque agence, dans les luttes de pouvoir qui sont le plus souvent des luttes d’égos. Le patron des renseignements hait manifestement Günther, qui n’est pas toujours très commode de son côté, et son seul objectif semble être de lui nuire. Qu’importe si l’intérêt de la nation est en jeu, il semble tout faire pour bloquer son concurrent, mais aussi pour amener des résultats. Anton Corbijn dresse un portrait peu flatteur de nos sociétés dirigées par l’impératif du résultat. Tous doivent apporter des preuves, et si possibles présenter des coupables pour satisfaire le monde politique et les médias. Ce besoin de résultats gangrène un métier qui a besoin de temps : les méthodes de Günther impliquent de trouver des sources et d’instaurer une relation de confiance pour remonter lentement, mais sûrement, dans la chaîne des réseaux terroristes. Il a ainsi réussi à convaincre le fils d’un imam très écouté et qui est suspecté, malgré son message d’apaisement et de tolérance, d’être lié au réseau terroriste et de la financer à travers ses ONG. Plutôt que de l’interroger, voire le torturer, pour obtenir ses réponses, il devient son confident, presque un deuxième père, et c’est très efficace. Le spectateur est dans une position très inconfortable : suivant les espions de Günther, il sait que le mouvement fait de réels progrès, mais Un homme très recherché laisse planer la menace d’une intervention externe du début à la fin. Le suspense est bien dosé et Anton Corbijn sait nous tenir en haleine avec cette histoire qui ne laisse aucun doute sur les implications des cibles par rapport au terrorisme, mais qui laisse penser jusqu’à la dernière seconde que tout pourrait être remis en cause à cause des égos des uns ou des autres. Alors même que le film commence en rappelant que les attentats de New York ont été permis notamment à cause de ces conflits entre agences et pays, ce long-métrage montre précisément que les hommes chargés de contrer le terrorisme n’ont pas retenu la leçon et répètent les erreurs du passé. À cet égard, la fin que l’on se gardera bien de révéler, est d’une frustration sans borne.
Philip Seymour Hoffman signe ici l’une de ses dernières prestations, dans un rôle qui lui convenait à merveille. L’acteur est tout simplement excellent dans ce rôle d’espion fatigué, alcoolique et un peu sale. Loin de l’espion façon James Bond, il représente bien le côté crasseux du métier, où l’on ne peut pas s’en sortir sans se salir les mains. Le reste du casting est très bon, même si on peut regretter la faute de goût sur la langue. Un homme très recherché se déroule en Allemagne et essentiellement avec des Allemands qui parlent un Américain parfait. C’est dommage, mais Anton Corbijn parvient à nous le faire oublier et son dernier film est une réussite. Pendant deux heures, on est tendus non pas pour savoir si les espions vont déjouer leurs ennemis, mais s’ils pourront accomplir leur mission sans être gênés par d’autres espions pourtant du même camp. Un angle original qui renouvelle le genre : Un homme très recherché est film divertissant et très plaisant.