House of Cards est une série particulière à plus d’un titre. Produite par Netflix, un service de VOD et non une chaîne de télévision, sa première saison a été diffusée en un bloc et les deux premiers épisodes ont été réalisés par David Fincher. Ajoutons à cela un casting première classe et cette série politique suscite déjà l’intérêt de tout cinéphile. En suivant les pas d’un homme politique au cœur du gouvernement américain, House of Cards offre une plongée saisissante dans le monde politique. Réaliste, sans concession, elle est aussi extrêmement prenante et construit des personnages crédibles et attachant, ce qui est certainement le plus important pour une série réussie. Treize épisodes après, le jugement est sans appel : la première saison de la série créée par Beau Willimon est une réussite complète et House of Cards s’annonce comme une des meilleures séries de ces dernières années. À découvrir sans attendre !
Franck Underwood, « whip » du parlement est le personnage principal de la série. Dès les premières minutes, House of Cards introduit son originalité la plus frappante : ce personnage nous parle régulièrement. Très souvent, le personnage regarde directement la caméra et fait un aparté, comme au théâtre. Il livre le fond de sa pensée, explique sa stratégie ou bien donne son opinion sur tel ou tel personnage. Ce choix est surprenant, mais il devient très vite un point fort de la série. Franck Underwood est un manipulateur hors pair qui est prêt à tout pour parvenir à ses fins, quitte à mentir à tout le monde et même au président des États-Unis. Ces apartés sont une manière de mieux comprendre ce qui se passe : on connaît l’objectif du personnage et on sait ainsi que s’il dit l’inverse lors d’une discussion qui suit, c’est pour mettre en place sa stratégie. House of Cards est une série de dialogues, plus que d’action et les discussions sont nombreuses et souvent alambiquées. En raison de ses capacités à manipuler tous ceux qui l’entourent, le personnage de Franck Underwood n’est pas fixe, il évolue en permanence et peut, dans une même séquence, dire tout et son contraire. Connaître ses pensées lors de ces apartés, rares moments où l’on ne doute pas de la pensée du personnage, est un bon moyen de simplifier le scénario et de mieux suivre l’histoire. C’est aussi une très bonne façon de créer dès les premières minutes un lien très fort entre le héros de la série et les spectateurs. Ces discussions que les autres personnages ignorent totalement créent une complicité avec le spectateur qui se sent plus impliqué. Beau Willimon va jusqu’à en jouer en insistant dans certains épisodes sur cette complicité : il suffit que Franck Underwood regarde la caméra en haussant les épaules pour que l’on comprenne qu’il n’est pas d’accord, voire qu’il se moque des autres personnages.
Difficile de résumer l’histoire de House of Cards sans dévoiler des moments clés de la série. Sa diffusion en un bloc a permis aux scénaristes de se libérer de leurs habitudes : un épisode n’a pas besoin de se terminer sur une note spectaculaire, voire de se conclure avec un twist ravageur qui ne donne qu’une envie, voir l’épisode suivant. Il n’y a ainsi aucun retournement de situation aussi spectaculaire qu’incohérent dans la série, mais Beau Willimon n’en a pas oublié de maintenir un certain suspense, bien au contraire même. Dans le premier épisode, Franck Underwood apprend qu’il n’aura pas la place de Secrétaire d’État que le nouveau président américain lui avait promis en échange de son soutien. House of Cards démarre sur cet échec et surtout sur la promesse faite par le personnage à sa femme de se venger. Le récit commence ainsi sur un désir de vengeance et on voit Franck remuer ciel et terre pour nuire à celle qui a pris sa place. Cette première partie faite d’intrigues internes, mais aussi de manipulations avec le recours à une journaliste ambitieuse est passionnante, mais elle n’est qu’un début. Assez vite, l’histoire de vengeance cède la place à une suite plus complexe encore. Quand la première saison se termine, la vengeance n’est plus qu’un vague souvenir, mais les enjeux sont devenus bien plus importants. Et si les cliffhangers ont été évités pendant treize épisodes, les scénaristes se vengent à la fin de la saison avec un niveau de suspense assez insoutenable, mais on ne dira rien de plus. Ce que l’on peut dire en revanche, c’est que House of Cards bénéficie d’une écriture d’excellente tenue, qui prend le spectateur et lui donne envie de rester jusqu’à la fin. Chaque épisode dose parfaitement les différentes composantes de la série, si bien que l’on ne s’ennuie jamais. Cette première saison est une réussite complète sur ce point, espérons que les suivantes ne seront pas décevantes.
Les meilleures séries se distinguent du lot par leurs personnages. Celle de Beau Willimon ne fait pas exception : tous les personnages de House of Cards, des plus réguliers aux plus secondaires, sont réussis. On a déjà longuement parlé de Franck Underwood, politicien cynique et talentueux, mais on pourrait aussi évoquer la journaliste Zoé Barnes qui est tout aussi cynique, ou encore le personnage de Claire Underwood, la femme du politique qui a un rôle très complexe dans son couple et même dans la carrière de son mari. David Fincher, qui a lancé la série en tournant les deux premiers épisodes et qui a produit le reste, a déclaré que tous les acteurs étaient ses premiers choix, et on peut dire que le cinéaste ne s’est pas trompé. Kevin Spacey est tout simplement parfait dans son rôle de politicien prêt à tout, un rôle qui semble avoir été créé pour lui tant il lui va comme un gant. À ses côtés, Robin Wright dans le rôle de sa femme et Kate Mara dans celui de la journaliste sont excellentes, Michael Kelly interprète un très bon Doug, l’homme de main de Franck Underwood… bref, il n’y a aucune fausse note dans le casting. Avec David Fincher pour la superviser, House of Cards ne pouvait décevoir sur le plan technique et ce n’est effectivement pas le cas. Filmée comme du cinéma, elle fait mieux que bon nombre de longs-métrages aux budgets pourtant beaucoup plus conséquents. On apprécie tout particulièrement la photographie assez chaude qui donne à l’ensemble un côté presque rétro très plaisant. Et que serait une bonne série sans son générique ? Celui de House of Cards est excellent avec ses plans de Washington sur une musique de Jeff Beal. De manière générale, la bande originale de la série est soignée, un bon point également.
Difficile de ne pas s’enthousiasmer pour cette nouvelle série. Avec seulement treize épisodes au compteur, House of Cards est encore jeune et s’il est trop tôt pour s’exprimer sur la série dans son ensemble, cette première saison est incontestablement une réussite. David Fincher impose un style soigné, les personnages sont parfaitement écrits et crédibles et ce récit politique réaliste et sans concession est passionnant. C’est un sans faute pour Beau Willimon, un sans faute qui donne envie d’en voir plus. Espérons que la deuxième saison et les suivantes soient du même niveau…
House of Cards, saison 4
(12 mars 2016)
Les deux premières saisons de House of Cards étaient vraiment excellentes, pour une bonne raison : Frank Underwood rêvait de devenir Président des États-Unis, et il fait tout pour parvenir à ce stade. À la fin de la deuxième saison, son rêve se réalise enfin et la saison suivante se concentre sur les difficultés du couple présidentiel à la Maison-Blanche. Il y avait encore de très bons moments, mais il faut reconnaître que la série de Beau Willimon montrait quelques signes de faiblesse, comme si, une fois au pouvoir, le personnage principal perdait de son intérêt. On avait de quoi s’inquiéter pour la suite, mais fort heureusement, la quatrième saison redresse la barre et parvient à atteindre le niveau des débuts, si elle ne les dépasse même pas à plusieurs reprises…
Il faut dire que les treize derniers épisodes se concentrent à nouveau sur une prise de pouvoir, ou plutôt sur un maintien au pouvoir. La saison se déroule juste avant les élections présidentielles et Frank doit se battre pour être élu, pour la première fois de sa carrière, et rester ainsi à la tête du pays. Mais les oppositions sont nombreuses, dans le camp adverse bien sûr, avec un candidat républicain jeune et moderne qui lui fait beaucoup de mal, mais aussi dans son propre camp, où il doit affronter une autre candidate démocrate et surtout… sa femme. Les relations entre Frank et Claire Underwood sont un moteur de l’action depuis le début, mais House of Cards en fait un élément central de cette saison. Quand elle commence, la Première Dame menace de quitter son mari, mais en outre de se présenter contre lui à la présidence. Le couple se déchire pendant plusieurs épisodes et il faut un drame pour que la situation change et que le duo infernal que l’on a découvert en 2013 refasse surface. Sans trop en dire, cette saison enchaîne les épisodes particulièrement intenses et ne laisse jamais de temps pour se reposer, ce qui est certainement le signe de sa réussite.
Quand cette quatrième saison se termine, on n’a qu’une envie : voir la suite ! Beau Willimon a retrouvé l’essence des deux premières saisons en se concentrant sur des élections, et surtout sur une période difficile pour les deux personnages. C’est bien ça, la leçon de cette saison : House of Cards excelle quand elle fait face à l’adversité. Avec le passé noir du couple présidentiel qui commence à remonter à la surface, on se demande bien comment les Underwood vont s’en sortir… vivement la saison 5.
House of Cards, saison 5
(11 juin 2017)
La quatrième saison laissait le couple Underwood dans la difficulté, alors que la réélection de Francis en tant que président et l’élection de Claire en tant que vice-présidente étaient compromises par les scandales et par un candidat républicain très populaire. La saison suivante reprend sur les chapeaux de roue, mais toujours avant l’élection présidentielle. House of Cards reste ainsi sur la même lancée et en cette année électorale aux États-Unis, les scénaristes ont manifestement essayé de s’inspirer de la réalité, ou du moins de ne pas se laisser dépasser par elle. C’est pourquoi les treize nouveaux épisodes sont sortis en retard par rapport au planning habituel, c’est pourquoi aussi l’élection présidentielle reste encore une fois au cœur des enjeux. L’enjeu reste central : comment mettre en scène un président capable du pire quand les États-Unis ont élu Donald Trump ? En essayant de coller à la réalité américaine, cette saison est parfois un petit peu trop réaliste pour son propre bien et elle tourne parfois en rond, mais c’est pour mieux se relancer à la fin.
Comment regarder cette saison sans penser à la vraie élection présidentielle et à la victoire de Trump ? Les scénaristes ont été inspirés par la réalité à de multiples reprises et à tous les niveaux, que ce soit en montrant comment les deux candidats exploitent la peur du terrorisme à la compte, quitte à la provoquer artificiellement au plus près des élections ; ou bien en associant la femme du candidat comme vice-présidente, une manière d’évoquer le rôle trouble de la famille de Donald Trump dans son administration. Pour autant, House of Cards suit sa propre voie et déploie une intrigue différente et probablement encore plus terrifiante que la réalité… du moins, il faut l’espérer. Pour garder le pouvoir, les deux Underwood sont prêts à tout, y compris tuer, politiquement ou parfois au sens premier du terme, comme ils l’ont déjà fait par le passé. Les intrigues politiques se multiplient à bon rythme, mais la série de Beau Willimon souffre à nouveau du problème déjà rencontré dans la troisième saison. Une fois au pouvoir, le couple présidentiel est moins passionnant et la série se contente souvent de reproduire des schémas déjà vus de trahison et de machineries. Le scénario va peut-être aussi un petit peu trop loin, notamment dans ses manipulations grossières de l’opinion, et il y a comme un creux au cours de cette saison.
Néanmoins, le final explosif renverse la table et place Claire Underwood au cœur des enjeux, ce qui relance l’intérêt. House of Cards n’a probablement pas dit son dernier mot et la sixième saison pourrait être un grand cru si elle va bien dans la direction que l’on croit discerner à la fin. En outre, même si certains épisodes sont un petit peu inférieurs cette année, la série reste excellente en termes de mise en forme — la patte de David Fincher reste toujours bien visible — et surtout de jeu d’acteurs. Kevin Spacey et Robin Wright sont toujours aussi impressionnants et House of Cards mériterait le détour juste pour eux.
House of Cards, saison 6
(9 novembre 2018)
La première série de Netflix a commencé brillamment et connu des hauts et des bas par la suite, notamment lorsque le couple Underwood avait enfin atteint ce qu’il voulait. À la fin de la cinquième saison, House of Cards relançait pourtant l’intérêt du spectateur avec un coup de théâtre et, enfin, l’arrivée de Claire Underwood sur le devant de la scène. De manière assez étrange, la fiction a été rattrapée par la réalité. Kevin Spacey, star de la série depuis le début, a été évincé sans autre forme de procès par le service de streaming après des accusations de harcèlement sexuel. Le tournage de la saison avait déjà commencé, mais qu’à cela ne tienne, Netflix a tout jeté, l’acteur a aussi perdu son rôle de producteur et une nouvelle saison a été réécrite, avec uniquement Robin Wright sous les lumières.
L’idée avait déjà été lancée par la saison précédente, et elle était excellente. Mais entre le plan original qui imaginait un affrontement entre les deux Underwood et ce que l’on a finalement obtenu, il y a un monde. Dans cette nouvelle réalité, Frank est assassiné dans les quelques mois qui séparent les deux saisons et même s’il hante toute la saison, on ne le verra, ni l’entendra plus jamais. Il ne peut plus être l’ennemi évidemment, et il a fallu trouver un autre opposant. On sent que le travail n’a pas été fait sereinement, voire que les scénaristes ont travaillé dans l’urgence, parce que la famille Shepperd qui sort (presque) de nulle part et qui complote contre la Présidente des États-Unis n’est pas une très bonne idée. Loin de la subtilité des meilleurs moments créés par Beau Willimon, les huit épisodes de cette ultime saison font au contraire dans les intrigues faciles et rarement crédibles. Tout est trop gros, les manipulations d’opinion des uns et des autres, toute l’intrigue autour du terrorisme et de la Russie, la désinformation permanente, les morts qui s’accumulent comme si de rien n’était. On a constamment du mal à y croire, si bien que l’on finit par se désintéresser de tout. Et c’est dommage, parce que tout n’est pas à jeter dans cette saison, bien au contraire même. Robin Wright est parfaite dans ce rôle qu’elle habite depuis cinq ans maintenant, elle excelle à jouer sur les contrastes entre fragilité apparente et sévérité implacable. Dommage que House of Cards cède parfois aux clichés sur l’émotion plus féminine, mais dans l’ensemble, l’actrice est impeccable et les défauts concernant son personnage sont plutôt à chercher dans le scénario que son interprétation.
Au bout du compte, fallait-il vraiment sortir une sixième saison ? House of Cards n’aurait-elle pas dû mourir en même temps que son personnage principal ? D’un côté, on est tenté de dire non, parce que la promesse de l’arrivée au pouvoir de Claire Underwood était particulièrement intéressante et même excitante. D’un autre, en voyant le résultat, on se dit que c’est dommage de terminer ainsi, avec cette étrange saison qui peine à décoller. Le tout dernier épisode se termine avec un coup de théâtre qui n’est pas très réaliste, mais surtout qui ne mènera a priori à rien… un choix très étrange de la part des scénaristes. Au bout du compte, Beau Willimon aura signé une grande série, au moins pour ses deux premières saisons et pour l’excellente quatrième saison, ce n’est déjà pas si mal.