Deux ans avant L’ivresse de l’argent, Im Sang-soo dressait déjà un portrait à glacer le sang de la haute bourgeoisie coréenne. En reprenant à sa sauce un film des années 1960, le cinéaste compose un film froid et implacable avec The Housemaid. L’histoire très classique d’une servante qui se laisse séduire par son patron est revue ici en un thriller réussi, même s’il est souvent un peu trop caricatural.
The Housemaid ouvre sur une scène de rue que l’on imagine banale en Corée. Im Sang-soo ne prend pas la peine de préciser le lieu exact, mais on imagine que l’on est au cœur de Séoul, la capitale. Qu’importe, on découvre la classe populaire qui s’active dans des restaurants et dans la rue, jusqu’au moment où ce quotidien est brutalement interrompu par un suicide. Une jeune femme saute du dernier étage d’un immeuble et termine, inerte, sur le pavé. Un premier regard pour le moins glaçant sur son pays, d’autant qu’à l’écran, l’image est dénaturée et les couleurs absentes. Cette introduction n’est pas là par hasard comme le spectateur le comprendra bien plus tard, mais en attendant l’intrigue principale se met en place quand Byung-shik vient rencontrer Euny pour l’embaucher. Cette jeune femme a postulé pour entrer comme servante dans une famille de la grande bourgeoisie et elle est embauchée. The Housemaid se rend alors dans la maison de la famille et ne la quittera plus vraiment pendant tout le reste du film.
Dans un premier temps, l’univers de The Housemaid est exclusivement féminin. Euny rencontre sa patronne, Hera, mais aussi la fille de la famille, Nami. Celle-ci étant très jeune, le travail consiste aussi à participer à son éducation et ces premières rencontres sont plutôt positives. Le ton change quand Hoon, le père de famille, rentre à la maison : Im Sang-soo a bien réussi à rendre cette atmosphère qui devient un petit peu plus pesante, surtout entre lui et la nouvelle servante. Dès les premières secondes, on comprend qu’il a des vues sur elle et on comprend tout aussi vite qu’il arrivera sans peine à ses fins. De fait, The Housemaid ne nous fait pas attendre trop longtemps et c’est à l’occasion d’une virée à la campagne qu’il approche, de nuit, la jeune femme, pour lui faire des avances. Euny n’hésite pas trop longtemps : même si elle commence par mettre un soutien-gorge pour protéger sa vertu, elle se laisse vite aller et obtempère sans discuter et même avec un plaisir évident quand il lui demande une fellation. La motivation de Hoon est évidente : sa femme est enceinte et très proche du terme et les relations sexuelles avec son mari sont limitées. La tension est forte, surtout que la servante n’est pas moche et on sent qu’il l’apprécie physiquement. Im Sang-soo est plus discret en revanche quant aux motivations de son personnage principal. Qu’espère-t-elle d’une telle relation ? Quand son patron lui donne un chèque après leur première relation, cette relation tarifée ne semble pas l’effrayer, au contraire même…
La séquence d’ouverture de The Housemaid ne ressemble pas vraiment au reste du film. Même si on retrouve l’esthétique de la froideur caractéristique du cinéaste avec une image privée de ses couleurs, le lieu et l’ambiance sont différents de ce qui va suivre. Quand Im Sang-soo pose ses caméras dans la maison bourgeoise de ses personnages, on retrouve en revanche cette ambiance si particulière que le cinéaste sait très bien rendre. Ses plans se posent, ils deviennent plus réfléchis et offrent un cadrage souvent géométrique, tandis que la caméra fait des mouvements amples et reposés. La musique bien sûr est une composante essentielle dans la création de cette ambiance et le fait que Hoon joue du piano ne doit rien au hasard, naturellement. Le cinéaste est bien parvenu à rendre la sensation de prison procurée par cette grande maison trop froide avec son marbre partout, ses meubles rétro et ce grand lustre en cristal. Quand Euny essaie de partir contre l’avis de ses patrons, elle est bien vite récupérée par deux gardes qui ne laissent aucune place au doute. L’ensemble est convaincant et il faut dire que The Housemaid est servi par de très bons acteurs. Jeon Do-Yeon interprète une servante indécise réussie, Lee Jung-jae est lui aussi efficace dans le rôle du père, mais c’est surtout Youn Yuh-jung que l’on retient. L’actrice est excellente dans son rôle de gouvernante, à mi-chemin entre la mamie sympa et la véritable sorcière.
Dans sa dernière partie, The Housemaid entre dans une séquence délirante où la femme et la belle-mère de Hoon font tout pour évincer la servante qui est tombée enceinte suite à son aventure. Le film change alors de ton et se tourne quasiment vers le thriller, avec une ambiance pesante tandis que les deux femmes agissent contre Euny. Elles essaient d’abord de la forcer à avorter en échange d’une grosse somme d’argent, mais la jeune femme assez indécise finit par décider de garder l’enfant. C’est alors sa vie qui est en jeu, avec de mystérieux et malencontreux accidents domestiques ou même des moyens plus radicaux. Cette partie n’est malheureusement la plus convaincante, la faute sans doute aux doutes trop présents qui entourent la servante. Le personnage imaginé par Im Sang-soo ne sait jamais exactement ce qu’elle veut : elle semble accepter avec plaisir la relation avec Hoon, mais plus par plaisir et par goût puisqu’elle dit très vite avoir conscience que c’est une relation sans lendemain. Par la suite, elle refuse au contraire l’argent et décide de garder l’argent et alors que la gouvernante la presse de partir au plus vite, elle reste contre toute attente. Ses réactions manquent de réalisme et elles perturbent quelque peu The Housemaid, même si le film est finalement sauvé par le portrait très dur de la belle-mère et de sa fille. Riches et puissantes, ces deux femmes traitent Euny comme une moins que rien et elles se permettent vraiment tout. Ce thème, qui sera central dans L’ivresse de l’argent, est déjà bien traité ici.
Im Sang-soo dresse un portrait à charge de la grande bourgeoisie coréenne qui s’avère assez impressionnant, même s’il n’est pas très mesuré. Certes, The Housemaid n’est pas très original sur le fond et il manque parfois de finesse, mais le film n’en reste pas moins très efficace. Pour ne rien gâcher, il est aussi très beau à regarder, une beauté froide et glaçante qui renforce encore l’effroi que peut susciter le film.