Pour la première fois dans sa longue carrière, Martin Scorsese s’intéresse aux enfants avec son dernier film. Hugo Cabret est même « le grand film de Noël » si l’on en croit son affiche, tandis que la bande-annonce laissait attendre une énième variation dans l’esprit de Narnia. Voilà qui nous emmène bien loin de Shutter Island, le précédent film du cinéaste. Et pour cause : si Hugo Cabret contient bien quelques attributs du film pour enfants, il ne s’agit en aucun cas d’un film uniquement pour les enfants. Martin Scorsese signe d’abord un hommage émouvant au cinéma des origines et en particulier à celui de Georges Méliès. Un film parfois bancal, mais passionnant, à ne pas rater.
Hugo Cabret est un jeune garçon qui vit à Paris dans la gare de l’Ouest, ex-gare Montparnasse, dans les années 1930. Ses deux parents sont morts, son oncle censé l’avoir pris en charge a disparu et faute de mieux, Hugo continue de remonter régulièrement toutes les horloges de la gare. Avant de mourir, son père, horloger, avait ramené un mystérieux automate. Très abîmé, mais pas perdu pour autant, Hugo s’échine à réparer ce robot avec l’espoir de trouver un message de son père. Pour cela, il a besoin de pièces qu’il « emprunte » dans une boutique de jouets de la galerie marchande de la gare. Le commerçant finit par le repérer et l’embauche finalement pour l’aider quand il découvre que le jeune garçon connaît son automate. Le passé qu’il avait jusque-là profondément enfoui va brutalement ressurgir…
Hugo Cabret a tout du conte de Noël à commencer par un petit garçon orphelin, mais la tête pleine de rêve, en guise de héros. Hugo a perdu sa mère puis son père, il reste seul, bien trop seul et il rêve de pouvoir les retrouver. Cet automate sur lequel il a travaillé avec son père avant sa mort devient sa seule occupation. Restaurer ses fonctions dans l’espoir d’obtenir un message post-mortem : Hugo ne pense plus qu’à cela. Le décor est aussi celui du conte : la gare, lieu gigantesque et plein de dangers, offre aussi au jeune héros du film un terrain de jeu phénoménal. La caméra de Martin Scorsese virevolte en suivant Hugo dans les longs couloirs pleins de rouages et de vapeurs qui constituent son quotidien. De fait, Hugo Cabret sort assez peu de cette gare qui sert de décor à l’ensemble des scènes qui le tirent vers le conte de Noël. On y découvre une galerie de personnages qui ont tous les archétypes du conte avec, bien sûr, le terrible méchant. L’ogre ici prend la forme d’un policier et de son terrible chien, toujours à l’affut d’un enfant abandonné à envoyer à l’orphelinat, ce qu’il fait avec un plaisir sadique non dissimulé. On trouve aussi pêle-mêle un gros vendeur de journaux qui courtise une femme chic, une jolie vendeuse de fleurs, un impressionnant vendeur de livres… et une jeune fille. Isabella est la fille adoptive de Papa George, le propriétaire de la boutique de jouets. Entre elle et Hugo, c’est indéniablement le coup de foudre et les deux vont rapidement devenir inséparables. Ajoutons à cela une touche de mystère avec l’automate et on a tous les ingrédients en main pour un film pour enfants assez banal.
Sauf que le dernier film de Martin Scorsese est bien plus que cela. Hugo Cabret est d’abord un hommage au cinéma des origines, celui des Frères Lumières bien sûr, mais surtout celui de Georges Méliès. Le Papa Georges bougon de la boutique de jouet est en fait Georges Méliès, cinéaste totalement oublié dans le contexte du film, mais véritable star au début du XXe siècle. Cet homme a inventé rien de moins que le cinéma de fiction : quand il découvre le cinéma, à la fin des années 1890, il ne s’agissait alors que de filmer des scènes du quotidien, comme un train qui entre en gare. Méliès a une idée de génie : utiliser ce moyen pour raconter une histoire. Dans le studio qu’il construit de toutes pièces dans la banlieue parisienne, il va raconter des histoires totalement folles comme ce voyage lunaire inspiré par Jules Vernes dans Le Voyage dans la Lune. Hugo Cabret rend hommage à ce cinéaste en mettant en scène sa redécouverte après une longue traversée du désert. Plus que la contribution de Georges Méliès au cinéma, Martin Scorsese s’intéresse en effet à son oubli. Avec la Première Guerre mondiale, les goûts ont changé et le cinéma surréaliste de Méliès ne plait plus et disparaît en quelques années. Avec lui, c’est son créateur qui disparaît en se faisant passer pour mort, et c’est l’œuvre qui est détruite ou brulée. Une disparition d’une œuvre fondamentale qui est ici réhabilitée à sa manière par Martin Scorsese que l’on retrouve volontiers en Hugo : on l’imagine, gamin, à découvrir le cinéma de Méliès et rêver d’en faire lui aussi. C’est cet aspect-là, assez inattendu, qui passionne dans Hugo Cabret, beaucoup plus que le côté conte pour enfants. S’il pêche par moments par trop de didactisme, il reste fascinant et donne envie de (re)découvrir toute l’œuvre de Georges Méliès.
Pour présenter le pionnier du cinéma de fiction, mais aussi l’inventeur des effets spéciaux, Martin Scorsese a l’astucieuse idée de choisir les techniques les plus modernes. Hugo Cabret devait ainsi nécessairement être un film en 3D, ne serait-ce que pour reconstruire des scènes de films de George Méliès. Le plus moderne rejoint ainsi le plus archaïque, et le résultat est très efficace. Même si l’apport de la 3D est toujours un peu discutable, cette technique ajoutant un peu de profondeur à certains plans sans pour autant s’avérer indispensable, son choix s’imposait. Pour le reste, Martin Scorsese reproduit un Paris de la Belle époque fantasmé, plus proche du conte que de la reproduction historique, ce qui convient parfaitement au ton du film. Tous les plans à l’intérieur des murs de la gare sont extrêmement bien réalisés tandis que la scène d’anthologie de l’accident du train, reproduction d’une scène qui a vraiment eu lieu, s’avère efficace. Là encore, l’utilisation de la 3D sur cette scène mise en parallèle avec le tout premier film de l’histoire est intéressante : les spectateurs du film des Frères Lumières ont été effrayés par l’image du train arrivant sur eux alors que les spectateurs sont aujourd’hui habitués aux images qui sortent de l’écran.
Vendu comme un film pour enfants, Hugo Cabret est bien plus que cela. Soyez en prévenus d’ailleurs, vos enfants risquent d’être déçus par un hommage qu’ils ne comprendront pas. Les plus grands regretteront plutôt les scènes pour enfants dans la gare qui donnent au film un côté assez bancal, mais tout ce qui concerne Georges Méliès est vraiment passionnant. On aimerait d’ailleurs en voir plus, tant les reproductions des films originaux sont réussies, mais cela ne conviendrait pas au public visé. Dommage, mais le dernier film de Martin Scorsese reste fascinant et tous les amoureux du cinéma ne peuvent pas se permettre de le rater !