Adaptation d’une pièce de Robert Thomas, Huit Femmes se déroule en huis clos dans une grande maison bourgeoise où le mari est retrouvé mort en plein hiver. De l’épouse aux filles, en passant par la belle-mère, la sœur et les gouvernantes, huit femmes sont là et ce sont les seules qui peuvent avoir commis le crime. On pourrait être dans l’esprit d’un Agatha Christie, mais François Ozon en fait une comédie musicale bercée d’humour vache. À défaut d’être très moderne sur le fond ou très subtil sur la forme, Huit Femmes laisse à ses actrices tout loisir de déployer leurs talents, pour un résultat fort sympathique.
François Ozon n’essaie pas de masquer l’origine théâtrale de son film. Huit femmes est adapté d’une pièce de théâtre et la transposition au cinéma se fait sans effort particulier et même au contraire, avec une volonté de montrer l’artifice du décor. L’intégralité du film se déroule en huis clos dans la grande maison bourgeoise bloquée par la neige. L’essentiel se passe même dans une seule pièce, l’entrée ouverte sur le salon de la demeure. Il y a bien un plan ou deux dans la cuisine ou des chambres, mais on sent que le réalisateur a voulu se concentrer sur ce lieu unique, qui était aussi celui de la scène dans la pièce qu’il adapte. La caméra commence toutefois par l’extérieur, avec une scène qui respire bon le décor en carton, sans effort pour le maquiller. Une manière de prévenir les spectateurs qu’ils ne doivent pas s’attendre à une œuvre réaliste, ce qui est judicieux tant cette enquête mêlée de comédie musicale ne cherche absolument pas le réalisme. Tout commence quand Marcel, le maître des lieux qui n’apparaît jamais face à la caméra, est découvert avec un couteau dans le dos au petit matin. Sept, puis huit femmes, sont dans la maison et ce sont les seules qui peuvent l’avoir tué. À qui profite le crime ? On découvre petit à petit que le mort était riche et que toutes ces femmes profitaient de sa richesse d’une manière ou d’une autre. Sa femme, grande bourgeoise hautaine, mais aussi sa belle-mère qui vivait sous son toit depuis longtemps, plus encore sa belle-sœur jalouse de sa femme et secrètement amoureuse de lui. Même sa fille enceinte — mais pas mariée, un scandale dans cette France d’après guerre — en avait après lui, tout comme sa sœur qui venait lui réclamer de l’argent. Bref, tout le monde pourrait avoir commis le meurtre et Huit Femmes avance son enquête à grands coups de révélations et de… chansons. François Ozon fait chanter ses personnages, chaque actrice a droit à sa chanson et son moment, avec une chorégraphie résolument kitsch à chaque fois. Ajoutez à cela une photographie très saturée qui met en avant les couleurs vives des vêtements de chaque personnage et vous obtenez une sorte de bonbon pop qui ne se prend jamais trop au sérieux. Et c’est heureux, car le fond fait peur. Cette pièce des années 1960 respire la France d’antan avec tous ses travers, sur la place des femmes dans le couple comme sur les rangs sociaux — fallait-il vraiment une bonne des îles ? — et sur l’amour. Seule concession bienvenue, une ouverture à l’homosexualité qui apporte un vent de fraîcheur, sans pour autant effacer totalement les odeurs de rance dans ces dialogues et ces personnages.
Cela passerait sans doute nettement moins bien sans le casting impeccable réuni par François Ozon. Toutes ces actrices sont excellentes dans leur rôle respectif, mais on retiendra surtout les prestations de Catherine Deneuve, impériale en mère de famille et d’Isabelle Huppert géniale en tante irascible. Ce sont elles qui sauvent Huit Femmes et font de ce petit film une sucrerie fort agréable, à (re)voir au coin du feu.