Les Huit Salopards, Quentin Tarantino

Pas de héros. Juste un groupe de méchants dans une pièce, se racontant tous des histoires qui peuvent être aussi bien vraies que fausses. Enfermons ces gars ensemble dans une pièce avec un blizzard à l’extérieur, donnons-leur des flingues, et voyons ce qui se passe.
— Quentin Tarantino

On retrouve bien là la malice légendaire du réalisateur, habitué de ces histoires souvent folles qui partent sur un « et si ». Pourtant, Les Huit Salopards n’est pas le film gratuit que l’on pouvait attendre et à bien des égards, c’est une œuvre dans la lignée directe de Django Unchained, avec le même regard sérieux d’un Quentin Tarantino qui semble avoir gagné en maturité. Son précédent long-métrage se déroulait quelques années avant la Guerre de Sécession, celui-ci se déroule quelques années après. On reste dans le genre du western et fidèle à sa réputation, le cinéaste multiplie les clins d’œil, à commencer par le choix technique de la pellicule 70 mm et d’un format ultra-large que l’on n’avait plus l’habitude de voir. Ne croyez pas pour autant que Les Huit Salopards se contente d’aligner les références et clins d’œil, comme cela pouvait être le cas sur certaines de ses productions antérieures. En prenant son temps et en allant sur le terrain du huis clos, Quentin Tarantino ne signe pas là son œuvre la plus accessible, mais sans conteste l’une des plus abouties.

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Dès le générique d’ouverture et son lettrage old-school, on se sent en terrain connu… mais Quentin Tarantino ne le fait que pour mieux surprendre. On attendrait un début rythmé sur une bande originale patchwork, comme le réalisateur sait mieux les faire que quiconque, on a un plan très lent qui part d’un Christ en croix et recule tout doucement pour révéler un paysage d’hiver. Les noms défilent sur une musique originale composée par Ennio Morricone et il ne se passe rien d’autre pendant de longues minutes, jusqu’au moment où l’on aperçoit, au loin, une diligence avancer. Cette scène d’ouverture est une note d’intention et de fait, Les Huit Salopards est un film qui prend son temps, à la fois pour poser ses personnages et pour développer son intrigue. Découpé en chapitres, le long-métrage commence par une longue séquence centrée uniquement sur cette diligence et ses occupants. L’occasion de découvrir la moitié des salopards promis par le titre, l’autre moitié étant à ce moment-là déjà en place dans le relai qui les attend un petit peu plus loin. Ce relai, sorte d’auberge qui fait aussi office de boutique, est le deuxième décor de ce huis clos presque complet, puisque sur près de trois heures, on ne sort quasiment jamais de la diligence dans un premier temps ou du relai dans un deuxième temps. Quentin Tarantino ne surprend pas avec cette histoire très structurée, découpée en chapitres et répartie équitablement sur deux lieux uniques, mais la mise en place très lente et les dialogues toujours aussi présents forment un ensemble moins accessible qu’en moyenne. Au fond, l’histoire se résume en quelques mots et il ne se passe pas grand-chose dans Les Huit Salopards. On parle de tout et de rien, il y a beaucoup d’anecdotes, mais l’intrigue en elle-même est ténue, et l’action réduite, même si elle est étirée dans le temps. Le montage n’hésite pas à en jouer d’ailleurs, en coupant l’une des scènes les plus importantes de tout le film en termes d’action, pour mieux prolonger le plaisir.

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Quentin Tarantino est connu pour créer des films complets à partir d’une base assez légère, ce n’est pas une nouveauté. Les Huit Salopards revient à cet égard à une forme épurée que l’on avait un petit peu perdu avec ses dernières réalisations : par certains aspects, on retrouve la simplicité d’ensemble de Reservoir Dogs, son tout premier film, avec d’ailleurs le même constat. Ce n’est pas parce que l’intrigue se résume rapidement, que l’œuvre qui en découle est simple, voire simpliste. Ici encore, le cœur du long-métrage tient dans ses personnages et surtout leurs interactions : avant le tournage, le scénario a été lu en public par les acteurs, comme s’il s’agissait d’une pièce de théâtre, et ce sont bien les dialogues qui sont, à nouveau, la vraie star du projet. Sans aller aussi loin que Boulevard de la mort qui pouvait se résumer à ses dialogues, la huitième réalisation de Quentin Tarantino est encore très bavarde et une très grande partie du plaisir vient simplement en écoutant les personnages et en suivant leurs échanges. Dès le départ, quand John Ruth « le Bourreau » (Kurt Russel, impeccable dans ce rôle) rencontre le major Marquis Warren (Samuel L. Jackson, excellent comme toujours et surtout enfin dans un registre différent), on reconnaît cette virtuosité d’écriture si caractéristique. La tension entre les deux hommes est palpable et les échanges succulents, et la suite ne va qu’en s’améliorant. Quand les huit salopards sont réunis et enfermés dans la demeure fragile, coincés par le blizzard, on retrouve bien ce qui fait la force du cinéaste. Certes, on peut regretter que Tim Roth, dans le rôle d’Oswaldo Mobray, se contente d’imiter la prestation de Christopher Waltz, mais cela ne suffit pas à gâcher le plaisir éprouvé pendant toute cette partie, pleine d’échanges souvent échauffés et de rebondissements. Il faut dire que tous ces personnages sont suspectés d’être de mèche contre l’un des autres personnages et c’est une enquête en bonne et due forme qui se met en place.

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Même si Quentin Tarantino fait encore une fois la part belle aux dialogues, il n’oublie pas son amour pour l’action violente et même carrément gore. Chacun de ses films est marqué au moins par une séquence sanguinolente et sur ce point, Django Unchained avait fait fort avec la fusillade finale. Mais ce n’est rien à côté du niveau atteint par Les Huit Salopards, non pas que ce long-métrage contienne plus de morts ou de sangs que la moyenne, mais cette fois, le cinéaste a adopté une vision très réaliste de la violence. De la même manière que l’on ressent très bien avec les personnages la vigueur de l’hiver nord-américain, les divers blessures infligées tout au long de la dernière partie sont d’un réalisme presque insupportable. On a des flaques de sang qui ne jaillissent plus dans tous les sens comme dans Kill Bill, mais qui réagissent comme de la véritable hémoglobine. On a même des bouts de chair parfaitement représentés, voire des bouts de cervelles sur la tête d’un autre personnage. Bref, la violence n’est pas nouvelle chez Tarantino, mais à ce degré de réalisme, peut-être bien que si. Et ce réalisme dit quelque chose d’intéressant et de plus profond sur la maturité du projet. On rigole à plusieurs reprises pendant le film, certains dialogues sont truculents et les personnages frôlent avec la caricature : il y a de nombreuses occasions de rire. Et en même temps, Les Huit Salopards est peut-être le film le plus sérieux du réalisateur, avec une forme de nihilisme que l’on n’attendait pas forcément. Il n’y a aucun personnage positif, ni d’innocents d’ailleurs, à quelques exceptions près, vite évacuées par le scénario. Le projet est entièrement construit sur des salopards et même si on s’attache peut-être plus à certains d’entre eux, on ne peut pas dire qu’il y en ait un pour rattraper l’autre. Même le personnage de Marquis n’est pas le héros que l’on pense au départ, à la fois parce qu’il n’arrête pas de mentir et parce que c’est, lui aussi, un beau salopard, comme on l’apprend vite. Django Unchained célébrait encore une certaine idée de l’Amérique, mais ici, on a l’impression que Quentin Tarantino nous montre qu’elle n’est qu’une illusion et que la seule issue possible est le bain de sang.

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C’est peut-être pour cette raison, au fond, que la violence est plus frappante dans ce long-métrage que dans les sept précédents de Quentin Tarantino. Non pas parce qu’elle est montrée différemment, mais plutôt parce que le contexte est totalement dénué d’une lueur d’espoir. On s’amuse encore avec Les Huit Salopards, mais le travail du cinéaste a gagné en maturité, à la fois sur la technique et sur le fond. Le scénario prend son temps sur près de trois heures, sans action trépidante et avec des dialogues toujours aussi riches et parfaitement écrits, si bien que le long-métrage se suit toujours très facilement. Mais le côté gratuit de bon nombre des premiers films du réalisateur a totalement disparu et cette nouvelle réalisation est plus sombre qu’il n’y paraît. Quoi qu’il en soit, Les Huit Salopards est une réussite, à découvrir sur le plus grand écran que vous pourrez trouver !