Premier volet d’une saga de space-opéra épique, Hypérion est aussi un roman de science-fiction très atypique. Construit autour de six récits successifs, il mélange tant les genres qu’on aurait du mal à l’associer à un seul genre en particulier. Dan Simmons revendique d’ailleurs son style multiple, qui n’est qu’occasionnellement de la science-fiction, mais souvent bien plus de l’horreur, un thriller, un policier ou encore une fresque historique. Hypérion est tout cela à la fois, et c’est aussi une introduction à un univers de science-fiction à la fois radicalement différent et pourtant si familier. Publié à la fin des années 1980, ce roman a pourtant particulièrement bien compris le retour de la religion, centrale dès ce premier volet. Dan Simmons se contente d’introduire son univers et ses personnages et ce premier volume laisse avant tout des dizaines de questions ouvertes et qui seront refermées par la suite. En attendant, c’est une œuvre originale et passionnante que tout fan de science-fiction ne devrait ignorer.
Une des grandes forces d’Hypérion est de poser son univers comme acquis, sans jamais l’expliciter. Le lecteur est plongé au XXVIIIe siècle, dans un monde où la Terre a été engloutie dans un trou noir suite à une malencontreuse expérience scientifique. La planète était de toute façon de plus en plus inhabitable à cause de la pollution et l’humanité s’est dispersée dans l’univers. L’Hégémonie regroupe toutes les planètes occupées par l’homme et reliées entre elles par un système de portails, des « distrans » qui permettent de passer de l’une à l’autre instantanément. Tout cela n’est pas détaillé dans un premier temps, mais le romancier distille ses informations petit à petit, tout en lançant son intrigue dès les premières pages. Et d’ailleurs, même si on en apprend beaucoup dans ce livre, on ne comprend pas tout, parce que les personnages eux-mêmes ne savent pas tout. On sait que l’Hégémonie a choisi sept personnes pour faire un pèlerinage sacrificiel sur Hypérion, une petite planète située en bordure de l’organisation et qui reste globalement déconnectée du reste de l’univers. Sur cette planète, un étrange phénomène est resté jusque-là inexpliqué, les « Tombeaux du Temps », un espace qui semble évoluer dans le sens inverse de la chronologie, c’est-à-dire qu’ils viendraient du futur et seraient prêts à s’ouvrir. Plusieurs légendes circulent sur ce qui arrivera quand ce sera le cas, mais toutes évoquent le Gritche, une créature fantastique capable de massacrer l’humanité toute entière. L’Église gritcheque y voit une nécessaire Apocalypse, mais l’Hégémonie pense que les Extros, des humains qui ont fait sécession bien avant le début de la saga, veulent l’utiliser comme une arme dans la guerre qu’ils préparent l’humanité. Ce pèlerinage est une idée désespérée pour empêcher les tombeaux de s’ouvrir, ou bien empêcher le Gritche de mener à bien sa mission… nul ne sait exactement ce qu’il en est.
Et c’est très certainement le coup de génie de Dan Simmons : il n’essaie pas de s’expliquer, il préfère positionner ce premier roman à hauteur des personnages et les laisser parler. Ainsi, l’intrigue elle-même n’avance quasiment pas dans Hypérion, puisque les personnages avancent lentement sur le pèlerinage qui nécessite un déplacement sans moyen moderne et donc très lent. L’essentiel des pages est consacré, non pas à l’action directement, mais aux récits des pèlerins. Quand l’histoire commence, ils ne se connaissent pas et ne savent même pas pourquoi ils ont été choisis pour le voyage. Chacun à leur tour, ils vont raconter leur histoire et ce faisant, révéler leurs liens avec la planète d’Hypérion ou le Gritche. Il y a six récits successifs et chacun est comme un petit roman différent, une longue nouvelle qui emporte le lecteur dans un univers et dans un genre absolument différent. À chaque fois, Dan Simmons emploie un style différent, et chaque récit est même un genre différent. Enquête policière, récit historique, drame familial, journal religieux : à chaque fois que l’on découvre l’histoire d’un personnage, on plonge en même temps dans un univers totalement différent des autres, une unité quasiment indépendante. Hypérion est ainsi nettement plus riche et intéressant pour cette raison, même si cela peut dérouter un petit peu. À chaque fois, il faut « entrer » dans l’intrigue secondaire qui se déploie et inévitablement, certains plairont plus que d’autres. Mais ils restent tous intéressants par les liens qu’ils entretiennent avec la mystérieuse planète d’Hypérion et le Gritche, créature encore plus mystérieuse. Chaque pèlerin a sa manière est reliée à ce mystère que personne ne comprend vraiment. Quand le roman se termine, le lecteur ne sait pas plus ce qui se passe, il y a des mentions d’une guerre intergalactique en préparation, mais on ne sait encore quasiment rien à ce stade et on sent bien que ce n’est pas l’essentiel. C’est ça qui est déroutant dans ce roman qui appartient résolument au genre de la science-fiction, mais qui ne ressemble à aucun autre.
Que contiennent exactement les Tombeaux du Temps ? Quel est le rôle du Gritche dans cet univers ? Est-ce que l’Hégémonie va entrer dans une guerre totale contre les Extros ? À quoi va servir le pèlerinage ? Le lecteur est laissé à la fin d’Hypérion avec davantage de questions que de réponses. Quoi de mieux pour donner envie de lire la suite ? Dan Simmons démontre en tout cas avec ce premier volet qu’il a plus d’une corde à son arc et que Les Cantos d’Hypérion n’est pas une saga comme les autres. C’est passionnant et en terminant la dernière ligne du roman, on n’a qu’une hâte : découvrir la suite !