L’Île aux chiens, Wes Anderson

Pour son deuxième film d’animation, Wes Anderson reprend une formule qui avait parfaitement fonctionné sur Fantastic Mr. Fox : stop-motion, une histoire à base d’animaux qui parlent et cet humour noir et pince sans rire qui est sa marque de fabrique. Pour autant, L’Île aux chiens impose très vite son originalité et il n’est absolument pas une redite. Bien au contraire, cette histoire de chiens exclus de la société et entassés sur une île de déchets au large d’une ville japonaise fictive est une œuvre avant tout politique. Wes Anderson change de cadre en s’inspirant de la culture japonaise pour mieux dénoncer l’intolérance de nos sociétés modernes et son dernier long-métrage trouve un écho particulièrement fort avec l’actualité. Loin d’être un film pour enfants simplet, L’Île aux chiens est une œuvre forte et souvent trop familière, une réussite à voir absolument.

D’entrée de jeu, L’Île aux chiens convoque le fascisme d’avant-guerre avec une réunion organisée par Kobayashi, le maire de Megasaki, ville imaginaire du Japon. L’époque n’est pas plus définie clairement que le lieu, mais on est en pleine dystopie, avec un décor qui évoque nettement le nazisme. Wes Anderson n’essaie pas de maquiller la référence, elle est explicite et assumée, notamment avec ces plans en contre-plongée qui projettent des ombres immenses derrière les personnages. Cette réunion vise à bannir les chiens, qui sont extrêmement nombreux dans la ville et qui souffrent d’une épidémie, une grippe canine qui pourrait se transmettre à l’homme, menace le maire. La machine à faire peur est en route et alors même qu’il n’y a aucune preuve d’un risque pour l’homme, alors même que le parti d’opposition, judicieusement nommé parti de la science, indique qu’un vaccin pourrait être facilement créé pour sauver les chiens, le public vote à l’extrême majorité en faveur du bannissement. Cette brève séquence est glaçante par sa proximité avec notre quotidien. Contre la science et les faits, la peur impose sa vision sans aucune preuve, en se basant sur des mensonges fabriqués de toute pièce, des fake news comme on dirait dans notre société. Aucun argument ne pourrait s’opposer à cette peur et au mouvement de foule et le maire n’a aucune peine à imposer son point de vue. Les chiens sont donc bannis, envoyés sans autre forme de cérémonie sur une île au large de la ville, un lieu qui sert de dépotoir immense pour tous ses déchets. Les animaux se retrouvent séparés de force de leurs maîtres dans cet environnement hostile, sans rien à manger et qui garde les traces de catastrophes passées. Un tsunami ici, une explosion nucléaire par là : Wes Anderson s’inspire en permanence de la réalité pour créer son univers qui est ainsi autant fantastique que réel.

Au milieu de ces montagnes de détritus, L’Île aux chiens suit un groupe d’animaux, quatre anciens chiens domestiques et un chien sauvage qui s’imagine en leader du groupe. Le scénario se construit autour d’un jeune garçon, Atari, qui s’enfuit de chez lui en volant un avion pour retrouver Spot, son chien. Atari est aussi le fils adoptif du maire et ce dernier va tout faire pour l’empêcher d’atteindre son objectif, tout en détournant continuellement la vérité en faisant des chiens qui l’entourent des bêtes sauvages et dangereuses, à éliminer le plus rapidement possible. Découpé en chapitres dans l’esprit d’un manga, l’histoire avance comme une découverte de l’île et une plongée dans son univers canin en quête de Spot. C’est une sorte d’aventure et n’importe quel autre réalisateur aurait pu en faire un énième film d’animation taillé pour les enfants, mais pas Wes Anderson. Le réalisateur conserve au contraire un ton très adulte à tous les niveaux. Sur la forme, les décors sont plutôt réalistes et surtout, les chiens ne sont pas mignons, ils sont au contraire sales, extrêmement maigres et souvent même blessés, presque de façon exagérée. Ajoutons les dialogues qui manient souvent un humour ironique pas toujours évident à comprendre et un fond qui est globalement très sombre, comme on l’expliquait plus tôt et on obtient un long-métrage bien plus adulte qu’enfantin. L’île aux chiens n’est pas sorti avec des restrictions et tout le monde peut en tirer quelque chose, mais le cinéaste ne cède pas à cette voie facile et il impose au contraire son univers si atypique. Cela passe aussi par les voix, une longue liste de stars et plusieurs habitués, dont l’incontournable Bill Murray, le choix du japonais à l’oral et à l’écrit ou encore l’excellente bande-originale. Alexandre Desplat est aux commandes et il a composé une musique à l’image du film, inspiré par les influences japonaises tout en trouvant sa propre voie.

Wes Anderson revendique ouvertement l’influence d’Akira Kurosawa, de la pratique de l’écriture du scénario en équipe jusqu’aux traits du maire qui s’inspirent de Toshirō Mifune, acteur fétiche du cinéaste japonais. Mais comme toujours chez le réalisateur américain, cette influence est la base pour un univers riche et très spécifique. L’Île aux chiens forme ainsi une expression singulière, avec une animation en stop-motion inventive et souvent sublime et une intrigue qui affronte de manière frontale les dérives de notre société. À l’arrivée, c’est une œuvre bien plus complexe qu’on ne pouvait l’imaginer, un long-métrage passionnant à ne surtout pas rater.