Huit ans avant le premier volet de la saga Pirates des Caraïbes qui a propulsé le genre sur le devant de la scène, L’Île aux Pirates a été un échec retentissant qui a contribué au contraire à enterrer les films de pirates. Le long-métrage réalisé par le Suédois Renny Harlin était un projet international de grande envergure et un bide total au box-office, au point qu’il a longtemps tenu la palme du plus grand échec de Hollywood. Autant dire que cette grosse production n’est pas très engageante et en regardant le film, on comprend vite pourquoi. Dans l’ensemble, L’Île aux Pirates est une super production qui n’a pas grand-chose à envier aux blockbusters actuels sur le plan technique, mais qui souffre de personnages et surtout d’une direction d’acteurs médiocre qui plombent le projet. Son scénario classique et bien mené, ses séquences d’action convaincantes… le projet peut encore divertir, mais il faut bien reconnaître qu’il se fera bien vite oublier.
Comprendre l’échec de L’Île aux Pirates n’est pas difficile. Il suffit, pour commencer, de compter le nombre de scénaristes associés au projet : pas moins de six, alors même que l’histoire racontée par Renny Harlin pourrait difficilement être plus simple. Cette accumulation trahit les difficultés du long-métrage, avant même les tournages. L’actrice qui tient le rôle principal a été engagée dès le départ et Geena Davis est aussi l’épouse du réalisateur, ce qui n’a peut-être rien arrangé. Mais face à elle, il devait y avoir Michael Douglas, avant que l’acteur ne refuse le rôle et laisse la production en grande difficulté, peu de temps avant le tournage. C’est finalement Matthew Modine qui prend le relai, mais quand les premiers plans sont tournés, le script n’est même pas terminé et c’est Renny Harlin lui-même qui doit mettre la main au porte-monnaie pour embaucher de nouveaux scénaristes et terminer le travail. Ajoutons à cela de grosses difficultés sur les scènes de tournage elles-mêmes et on aboutit à un travail exténuant qui n’a certainement pas favorisé l’émergence d’un chef d’œuvre. De fait, on voit bien dès le départ que les acteurs ne sont pas à leurs aises. Matthew Modine se dépatouille comme il peut avec le rôle de William Shaw, mais il n’est jamais tout à fait dans le personnage. C’est la même chose pour Geena Davis, obligée de rester à cause du contrat qu’elle avait signée, mais on sent que c’est un petit peu à contrecœur et même si elle se débrouille très bien dans toutes les scènes d’action — où l’actrice s’est passée autant que possible de doublures —, elle est assez moyenne dès qu’elle doit parler. Le pire revient peut-être à Franck Langella qui incarne Dawg Brown, le grand méchant qui manque de charisme et ne parvient jamais à susciter la crainte, sans doute en partie à cause de son attitude trop propre, mais aussi de l’acteur qui n’est jamais vraiment dans le jeu.
Tout n’est pas à jeter pour autant. Ronny Harlin n’a jamais réalisé de chef-d’œuvre, mais le cinéaste a signé plusieurs films d’action convaincants dans les années 1990, à commencer par le deuxième épisode de la saga Die Hard. C’est un bon technicien et il le prouve à plusieurs reprises avec L’Île aux Pirates : le film contient trois séquences d’action qui impressionnent et qui n’ont pas trop vieilli, d’autant que l’on a encore affaire à une œuvre totalement dépourvue d’effets spéciaux numériques. C’est du cinéma à l’ancienne, avec de vrais décors reconstitués — la ville de Port Royal fait ainsi l’objet d’un immense décor — et d’explosions réalistes. De même, toutes les cascades sont effectuées sans l’aide d’ordinateurs et cela paye : la séquence dans le bar, un moment mythique dans les films de pirates, est une chorégraphie classique parfaitement rythmée et entraînante. La série d’explosions de la ville, alors que les héros fuient sur le carrosse, est là aussi une réussite, tandis que la bataille navale vers la fin est longue et prenante jusqu’au bout. On « voit » par moment les piscines utilisées et le choix de tourner dans la baie de Ha Long pose un gros problème, tant ce décor asiatique est connu et empêche le spectateur de croire que l’on est dans les Antilles du XVIIe siècle. Mais on sent que de l’argent a été dépensé et la bande originale très conventionnelle — on pense beaucoup à John Williams — accompagne parfaitement l’action. Sur le plan technique, L’Île aux Pirates s’en sort assez bien, même si l’on regrette le choix beaucoup trop systématique des ralentis : tant de scènes semblent avancer au ralenti, c’est inutile et une véritable gêne.
L’Île aux Pirates avait tout pour donner un film de genre revisité, un blockbuster époustouflant, amusant et surtout divertissant, bref, un long-métrage de la trempe d’un Pirate des Caraïbes. Malheureusement, le projet a été entaché très tôt de multiples problèmes et les défauts accumulés se retrouvent dans le résultat final. Les scènes d’action ont beau être bluffantes par moments, elles ne font pas un film et Renny Harlin a du mal à tenir l’ensemble comme il le faudrait. Les acteurs n’y croient pas et cela se voit aussi… bref, ce n’est pas un très bon film. Si vous aimez les histoires traditionnelles à base de piraterie et de chasse au trésor, L’Île aux Pirates mérite malgré tout d’être vu, mais on le réservera aux fans du genre.