Imitation Game, Morten Tyldum

Alan Turing n’est peut-être pas aussi méconnu que ce que l’affiche d’Imitation Game voudrait faire croire1, mais il n’en reste pas moins que cet homme qui a joué un rôle clé dans la Seconde guerre mondiale méritait bien un film. C’est donc chose faite avec ce biopic signé Morten Tyldum, réalisateur norvégien à peu près inconnu jusque-là. Pendant près de deux heures, on nous raconte la vie de ce jeune mathématicien brillant qui a été le premier à découvrir un moyen de déchiffrer les échanges Nazis et ainsi de raccourcir considérablement la guerre en offrant aux Alliés un avantage décisif. Le film s’intéresse plus particulièrement aux années passées à Bletchley Park et à la cryptanalyse d’Enigma, la machine qui servait à encoder et décoder les messages allemands. Imitation Game n’évite pas les écueils du genre, mais le long-métrage de Morten Tyldum est loin d’être déplaisant pour autant. Ce résumé « pour les nuls » du travail d’Alan Turing se suit avec plaisir, les touches d’humour sont inattendues, tout autant que la place accordée à l’homosexualité réprimée de son sujet. Tout compte fait, c’est une bonne surprise.

Imitation game tyldum

Si Imitation Game se concentre sur les années de guerre, le film ouvre dans les années 1950 et prouve ainsi d’entrée de jeu qu’il peut s’intéresser à toute la vie d’Alan Turing. Le scénario commence ainsi autour d’une enquête policière qui n’a, à dire vrai, pas tellement d’importance, si ce n’est pour mettre en place la narration. Le mathématicien raconte au policier son histoire pendant la guerre et on retourne ainsi au tournant des années 1940. Alan Turing postule à Bletchley Park, le lieu où l’armée britannique intercepte tous les messages radios envoyés par l’ennemi et surtout tente de les déchiffrer. Il n’a même pas 30 ans, mais l’universitaire a déjà tout du génie et Morten Tyldum le montre très bien en faisant de son personnage historique un asocial qui ne perçoit la cryptanalyse d’Enigma que sous la forme d’un jeu de mathématique. Son entretien d’embauche est l’occasion d’une scène étonnamment drôle qui donne le ton : Imitation Game n’est pas plombé par un traitement strictement au premier degré, le film choisit au contraire d’introduire un petit peu de distance avec ses personnages et ses situations. Un choix surprenant et plutôt bien vu, et tant pis si la véracité historique en prend un coup. L’Alan Turing composé par un Benedict Cumberbatch d’ailleurs en pleine forme n’a peut-être pas grand-chose à voir avec le personnage historique, mais qu’importe, la version de fiction gagne en légèreté. Le film se met ensuite en place autour de la lutte pour déchiffrer la configuration Enigma du jour avant qu’il ne soit trop tard, les Allemands modifiant tous les jours leur chiffrement. Une course contre la montre vertigineuse, puisque l’on apprend très vite que cette machine à crypter en partie mécanique et en partie électrique repose sur pas moins de 159 milliards de milliards de combinaisons différentes. Autant dire que la Grande-Bretagne ne pouvait pas mettre suffisamment d’hommes pour trouver la bonne configuration en quelques heures et c’est ainsi que l’idée du premier ordinateur est née.

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Morte Tyldum simplifie considérablement l’histoire réelle pour son film, ce que l’on peut comprendre aisément. Dans Imitation Game, les Polonais ne servent plus qu’à apporter la machine Enigma obtenue par erreur à la fin des années 1930, là où en réalité, ils ont été les premiers à imaginer la méthode perfectionnée par la suite par Alan Turing. Dans le film, le mathématicien n’est entouré que de quelques personnes, là où le service de cryptanalyse de Bletchley Park était constitué de dizaines et de dizaines de personnes. On pourrait aussi évoquer la relation avec Joan Clarke, le rôle exagéré de Turing que ce soit pour créer sa machine ou dans l’issue de la Seconde Guerre mondiale — le film laisse penser qu’il a contribué, seul, à la victoire des Alliés, ce qui est évidemment faux, même si le fait d’avoir cassé Enigma a été décisif. Les explications techniques autour de « Christopher », le nom donné par le personnage à la machine qui était en fait surnommée « la bombe » sont elles aussi considérablement simplifiées, tout comme les détails sur la découverte des premières clés de chiffrement. Tout cela est assez logique, Imitation Game ne dure même pas deux heures après tout, et le scénario fait un plutôt bon travail de vulgarisation. Si vous ne connaissez rien à Enigma, vous trouverez sûrement cette histoire passionnante et la reconstitution historique est de bonne qualité (si l’on oublie les plans de bombardement qui montrent vite leur limite technique). Tout ceci est assez convenu et on s’y attendait, contrairement à la place accordée à l’homosexualité d’Alan Turing. On pourrait reprocher l’absence de présence visuelle de cette homosexualité, mais il est indéniable que c’est un thème au cœur du film de Morten Tyldum. Il revient régulièrement sur la table pendant la guerre, c’est l’essentiel des séquences d’après-guerre et c’est même encore le sujet au cœur des flashbacks dans l’adolescence du mathématicien, avec son premier amour de jeunesse, peut-être son seul vrai amour. Imitation Game prend clairement parti contre la société britannique qui l’a condamné à la castration chimique et le film ne laisse aucune place au doute quant à sa mort, qualifiée ici de suicide. La réalité est peut-être plus complexe, mais ce n’est pas très grave encore une fois : le plus intéressant, c’est que le film s’engage sur cet angle, c’était assez inattendu.

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Imitation Game ne vous plaira certainement pas si vous êtes allergique aux biopic, aux reconstitutions historiques et aux autres films tirés d’une histoire vraie. Il faut dire que Morien Tyldum ne fait guère d’efforts pour éviter les clichés et le long-métrage n’en manque pas, avec quelques passages obligés un peu pénibles. Mais pas de quoi entacher un ensemble très plaisant au fond : les acteurs principaux sont tous très bien, la reconstitution convaincante et on suit avec beaucoup de plaisir et d’intérêt la carrière de ce génie. Assister à la naissance du premier calculateur automatique, l’ancêtre de l’ordinateur moderne, est quelque chose d’exceptionnel et Imitation Game en donne un bon aperçu. À défaut d’être un grand film, un bon divertissement !


  1. Il semble que le mathématicien génial soit assez peu connu outre-Atlantique. En Europe et notamment en France, on le connaît plutôt bien, au moins de réputation.