Le dernier album des islandais Sigur Rós, Með suð í eyrum við spilum endalaust (soit « Avec un bourdonnement dans les oreilles nous jouons inlassablement » d’après Wikipedia) avait beaucoup fait parler de lui, avant sa sortie, sur Internet. Il y a déjà de cela plusieurs mois, j’ai entendu des rumeurs : Sigur Rós n’était plus digne d’écoute, c’était devenu aussi mauvais que n’importe quel album de soupe commerciale pop.
Je suis un grand fan de Sigur Rós, depuis les tous débuts, quand il fallait acheter des CD importés d’Islande, quand le chanteur chantait même pas en Islandais mais dans sa propre langue, quand les albums laissaient voir des fœtus et aucun texte dessus, ni titre d’album, ni titres de chanson. Dès les premières écoutes de cet ovni musical, je m’en souviens très bien, j’avais été fasciné par cette musique quasi aquatique, très belle, un peu triste, rendue obscure par des paroles incompréhensibles (mais j’ai toujours privilégié la musique sur les paroles), bref, ce fut quasiment le coup de foudre (c’est aussi avec ce groupe que j’ai découvert le « Post-Rock » que j’ai largement découvert depuis). Depuis, aucun album, pas mêmeTakk, plus accessible et rock que les précédents, ne m’avait déçu. Depuis, aussi, je cherche désespérément à voir le groupe en concert. Bref, Sigur Rós fait parti des quelques groupes que je placerai dans un Top 5 (si je devais en faire un).
Premiers contacts avec l’album : le désarrois
De ce fait, l’idée que le nouvel album de Sigur Rós puisse être de la soupe commerciale me semblait totalement impensable. À l’époque, deux choses étaient disponibles : la pochette de l’album, et son premier titre.
La pochette (ci-dessus) était pour le moins intrigante. Le groupe, pour la première fois, posait sur la pochette de leur album, mais de dos, nus, et courant dans la nature. Peut-être étaient-ils naturistes et souhaitaient nous le montrer par ce biais… En tout cas, cela donnait immédiatement un côté étrange à la chose, un côté champêtre, ou alors un côté folk, mais pas du tout un côté Sigur Rós.
L’écoute du premier album ne faisait en effet que redoubler le trouble. Après quelques tambourins, des guitares montent — ce qui est normal pour du Sigur Ros, mais là point de guitares électriques jouées à l’archet, non, des guitares accoustiques ! — et surtout, on entend des « lalalala » chantés légèrement voire, disons-le, gaiement. Sigur Ros, de la musique joyeuse ??
Voilà qui avait de quoi troubler le fan que j’étais… Mais je suis trop fan pour en rester là.
Écoute approfondie : le bonheur complet
Depuis cette première approche, de l’eau a coulé sous les ponts, un concours a eu lieu, et surtout, j’ai écouté cet album en entier et à de nombreuses reprises, au même de très nombreuses reprises. Car, en fait, je le dis clairement, ce dernier album de Sigur Ros est bel et bien un album de Sigur Ros, et c’est un grand album, un très grand même.
Certes, il y a dans le lot des chansons presque simples et joyeuses. De courte durée (moins de 4 minutes), certaines chansons donneraient presque (presque, cela reste Sigur Ros) envie de danser, en tout cas, ça n’est pas aussi triste/noir que d’habitude. Certes, il y a même une chanson en anglais, la dernière. Mais il y a aussi des titres longs (plus de neuf minutes pour le plus long) et des titres dans la tonalité plus habituelle, tout en n’ayant jamais le sentiment que le groupe se répète car il reste une couleur particulière à cet album. J’ai souvent pensé que le second album était aquatique, le troisième placé sous le signe du vent et le quatrième de la terre. Si je suivais cette petite analyse personnelle, cet album serait placé sous un autre élément, pourquoi pas le feu… (bon, ça ne tient pas vraiment la route et une fois écrit, comment dire…)
Bref, après une bonne dizaine d’écoutes de l’album (au bas mot), je l’affirme, cette musique est un véritable bonheur. Il est un peu mélancolique, comme tous les albums du groupe, mais il est aussi plus léger, agréable à écouter, parfait pour ces vacances…
Qu’est-ce qu’une bonne musique ?
Si le dernier album de Sigur Ros est léger, il n’en n’est pas moins complexe, au bon sens du terme. En l’écoutant, je me disais : voilà de la bonne musique, c’est-à-dire une musique à la fois simple au premier abord, mais complexe à l’écoute. Cet album, on l’appréhende rapidement, on « accroche » rapidement à la musique. Mais après 10 écoutes, je le découvre encore, je l’écoute différemment, bref je ne l’ai pas épuisé et son écoute est aussi agréable qu’à la première fois. Ça n’a rien à voir avec la musique française en règle générale qui s’épuise très rapidement, à mon avis parce que cette musique se base bien trop sur les paroles et pas assez sur la musique elle-même.
D’autres albums récents me font ce même effet. Je pense en particulier au dernier album de Bashung,Bleu Pétrole, que j’ai très abondamment écouté, et dont je n’arrive pas à me lasser, je pense parce que je n’arrive pas à l’épuiser. Je pense aussi au dernier album de Christophe, Aimer ce que nous sommes. Comme quoi, je donne immédiatement deux albums de chanson française en guise d’exemple… Mais justement, ces deux albums de « chanson française » sont différents par leur approche de la musique. C’est peut-être moins flagrant avec le dernier album de Bashung — bien plus simple d’approche que le précédent, mais tout aussi intéressant voire complexe — mais avec l’album de Christophe, cela se sent bien. Loin des chansons à texte comme Cabrel en fait depuis sa plus tendre enfance et avec une régularité qui force le respect, le dernier album de Christophe est d’abord et avant tout une ambiance. L’architecture du disque est formée d’une série de sons, pas de paroles et ce disque s’écoute autant qu’il se regarde, à condition de l’écouter dans de bonnes conditions techniques…
Pour ne pas en rester aux exemples français, je pense aussi aux derniers albums de Radiohead et Portishead, tous deux d’excellents albums, tous deux — et tout particulièrement celui de Radiohead qui semblerait quasiment simpliste à côté des précédents — se découvrant écoutes après écoutes.
En écoutant ces quelques albums, je me disais : finalement, n’est-ce pas ça de la bonne musique, et même l’excellente musique, allez, on tente, le chef d’œuvre ? Une musique évidente, non pas au sens où la musique produite au kilomètre l’est — car celle-ci n’est évidente que parce qu’elle reproduit à l’infini les mêmes schémas — mais évidente au sens où elle n’aurait pu être autrement, où elle aurait atteint une sorte de perfection dans la forme. Et je suis tenté de penser que cette perfection est liée à une certaine simplicité. Je ne sais plus qui a dit que la perfection était atteinte quand il n’y avait plus rien à enlever (Flaubert ?) : je suis assez d’accord avec cela… Accompagnant cette simplicité, il y a aussi une certaine transparence dans la perfection. Le chef d’œuvre, dans l’art, est peut-être une œuvre comprise immédiatement par tous, comme si elle n’avait pas besoin d’être expliquée.
Bon, je m’emporte et m’éloigne de mon sujet. Car, à dire vrai, je n’ai aucune idée de ce qu’est la bonne musique en soi. Tout juste ai-je une idée de ce qu’est la bonne musique pour moi, et c’est déjà pas mal.
Et, définitivement, Sigur Ros fait partie de cette catégorie ! 😉
Bonus : le DVD de Sigur Ros
Un petit mot en guise de conclusion sur le DVD de Sigur Ros, Heima. Comme son nom l’indique, ce DVD est issu de la tournée réalisée chez eux, en Islande. Après une tournée internationale, ils ont en effet fait plusieurs concerts improvistes dans toute l’Islande, dans de très nombreux villages voire même dans la nature.
Mais ce DVD est bien plus qu’un concert filmé de bout en bout. Déjà parce qu’il mêle des vrais concerts en salle et des concerts acoustiques au milieu de nulle part ou encore des sessions d’enregistrement en studio, mais aussi, et surtout, parce que ce DVD montre l’Islande et fait parler le groupe. Des DVD musicaux, j’en ai vu des dizaines, mais je crois pouvoir dire que celui-ci gagne le sommet immédiatement. Je pense vraiment que c’est le meilleur que j’ai vu : la musique est techniquement excellente (DTS qui va très bien) et bien sûr très bonne sur le fond. Elle s’accorde parfaitement avec les images et le tout forme une unité assez remarquable. On se laisse porter par ce DVD finalement très onirique et c’est un bonheur de tous les instants.
Non vraiment, une excellente surprise que ce DVD, à voir absolument si vous aimez Sigur Ros !
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