Indiana Jones et le Royaume du crâne de cristal, Steven Spielberg

Ça va être fantastique, vraiment sympa. Ça va être le meilleur volet de la saga. — George Lucas, avant le tournage du film.

La saga Indiana Jones avait marqué les années 1980 avec trois excellents blockbusters et un équilibre souvent parfait entre action, humour et mystère. L’histoire aurait pu s’arrêter là, mais le succès aidant, le projet d’offrir une suite à cette trilogie commence dès les années 1990. À la fois pour des différents artistiques et des raisons de calendrier, le projet a été maintes fois repoussé, pour finalement aboutir près de vingt ans après la sortie d’Indiana Jones et la Dernière Croisade. En apparence, rien ne change : George Lucas fournit toujours l’idée principale, Steven Spielberg réalise, Harrison Ford interprète et John Williams met en musique. Sauf que deux décennies ont passé, et forcément, tout a changé. L’acteur a vieilli, son personnage doit vieillir aussi et il faut imaginer un nouveau départ. Indiana Jones et le Royaume du crâne de cristal n’était pas un pari perdu d’avance, le quatrième volet de la saga aurait pu convaincre. Sauf que le long-métrage accumule les erreurs et rate tout ce qu’il entreprend… au point de devenir pénible à regarder. Un calvaire.

Les trois premiers Indiana Jones étaient inspirés par leur contexte historique, à savoir les années 1930. George Lucas et Steven Spielberg ont créé une saga à l’image des serial de cette époque, de petits films d’aventures qui enchaînaient les épisodes. Pour cette suite, vingt ans se sont écoulés dans la vraie vie et Harrison Ford, qui a dépassé la soixantaine, ne peut plus prétendre jouer le même rôle que par le passé. Par souci de réalisme, le nouveau scénario situe ainsi l’action dans les années 1950, vingt ans après les trois premiers films. Ce choix est très astucieux : il permet de justifier pourquoi le héros a vieilli de la manière la plus naturelle possible et il permet d’envisager une suite avec un nouveau héros, avec un épisode en forme de passage de flambeau. C’est précisément le plan et Indiana Jones et le Royaume du crâne de cristal introduit ainsi le fils d’Indy avec Mutt, un personnage qui aurait certainement poursuivi la saga, si le résultat avait été bon. Sauf que ce n’est pas le cas, et ce pour de multiples raisons. Pour commencer, parce que la saga change totalement de genre et maîtrise mal ce gros changement. La source d’inspiration a changé en même temps que l’époque : finis les serials des années 1930, place à la science-fiction de série B des années 1950. C’est cohérent avec la nouvelle décennie et sur le papier, c’était certainement une bonne idée à étudier… mais cela ne fonctionne pas du tout à l’arrivée. L’intrigue principale se construit autour de la citée mythique d’Eldorado, un univers que la saga n’avait pas encore embrassé et qui avait toute sa place en tant que monument de l’archéologie. Mais alors que ce point de départ était tout naturel, George Lucas a l’idée de lui greffer une histoire de SF à base d’êtres supérieurs venus sur Terre il y a quelques milliers d’années et de vaisseau spatial. Le concept ne fonctionne pas vraiment en théorie, c’est encore pire en pratique : la science-fiction survient brutalement à la fin du film, sans que l’on ne sache très bien pourquoi. Il n’y a aucune cohérence derrière tout cela et le côté mystique, presque magique, de la saga se perd totalement avec ces bestioles humanoïdes qui n’ont en plus aucune originalité. C’est ça le pire : Indiana Jones et le Royaume du crâne de cristal est un piètre film de science-fiction, non seulement parce que cela ne colle pas avec le reste de la saga et avec l’univers créé par les trois premiers films, mais aussi parce que c’est une SF paresseuse et déjà vue mille fois ailleurs, en mieux.

Si c’était le seul défaut du film, on pourrait peut-être pardonner George Lucas pour cette mauvaise idée et profiter d’un bon blockbuster d’action, comme à la grande époque, rythmé, impressionnant, drôle. Hélas, c’est loin d’être le seul et ce n’est même pas le plus gros défaut d’Indiana Jones et le Royaume du crâne de cristal. Il y a trop de problèmes pour les énumérer tous ici, mais de façon générale, Steven Spielberg et toute l’équipe semblent avoir oubliés ce qui faisait le succès de la saga. Jouer à nouveau sur la relation père/fils, pourquoi pas, mais fallait-il vraiment convoquer cette réunion familiale avec la mère en plus du fils ? Toutes les séquences avec la famille tombent dans une caricature grossière qui pourrait être drôle si elles n’étaient pas tournées au premier degré. Sans compter que le scénario tente de manière assez maladroite de nous faire croire que ce n’est pas le fils du héros : c’est tellement évident dès la première scène que cela en devient grossier. Ce fils, justement, est incarné par Shia LaBeouf et l’acteur est plutôt convaincant sur le plan physique. Son interprétation souvent hystérique ne colle pas du tout en revanche, mais il faut noter que ce n’est pas le seul. De manière générale, les acteurs sont tous mauvais ici, probablement parce qu’aucun ne croyait au projet. Harrison Ford a complètement perdu « son » Indiana Jones, il est souvent inexpressif et il semble souvent se demander ce qu’il fait là. Ne parlons pas de Cate Blanchett, catastrophique dans le rôle de la méchante soviétique avec son faux accent à couper au couteau. Il faut dire que les acteurs ne sont pas aidés par le scénario qui enchaîne les mauvaises idées et traine constamment en longueur. Le rythme est un gros problème dans Indiana Jones et le Royaume du crâne de cristal : il faut près de quarante minutes pour enfin quitter les États-Unis et arriver dans la jungle amazonienne, mais de manière globale, on s’ennuie ferme bien trop souvent. Steven Spielberg veut en mettre plein la vue et il en fait des tonnes, quitte à faire n’importe quoi. Il y a bien une ou deux bonnes idées — les fourmis, très bien utilisées —, mais on enchaîne en moyenne les mauvaises : la séquence Tarzan, les véhicules sur le bord de la falaise, l’exploration de l’Eldorado qui ressemble à un mauvais jeu vidéo… et mieux vaut taire l’explosion nucléaire et le frigo1. Pour couronner le tout, la bande-originale de John Williams manque cruellement d’inspiration et la réalisation est complètement gâchée par des effets spéciaux numériques régulièrement hideux. Pourtant, tout avait bien commencé : le réalisateur voulait minimiser les effets numériques pour rester proche de l’original. Le résultat est un massacre, avec des plans numériques partout, et souvent très moches. On pourrait dire qu’ils ont mal vieilli, mais déjà à la sortie, c’était une critique contre le film.

Indiana Jones et le Royaume du crâne de cristal n’est pas seulement un film raté et une trahison de l’esprit de la saga originale, c’est d’abord et avant tout un long-métrage ennuyeux et pénible à regarder. Pénible, parce que rien ne fonctionne correctement, tout est poussif et avance si lentement qu’on s’ennuie presque d’un bout à l’autre. Le pire, c’est que les acteurs en avaient manifestement conscience et ils donnent le sentiment de s’ennuyer autant que nous, ce qui renforce encore l’effet. Steven Spielberg est passé maître dans l’art du divertissement au cinéma, mais c’est un gros raté pour lui : Indiana Jones et le Royaume du crâne de cristal est un échec sur toute la ligne. Espérons que le cinquième volet prévu pour 2020 fera mieux : l’espoir est toujours permis, mais honnêtement, il est mince.


  1. Comment peut-on sérieusement filmer une telle scène ? L’imaginer, même ?