Une double infiltration, l’un venu de la mafia pour infiltrer la police, l’autre de la police pour espionner les agissements de la triade hong-kongaise. L’histoire déployée dans Infernal Affairs n’est pas extrêmement originale, mais elle a frappé les esprits par la double opération concomitante : il y a deux taupes, une dans chaque camp, et Andrew Lau et Alan Mak filment une course contre la montre pour savoir qui va découvrir le premier qui est l’infiltré d’en face. Une excellente piste qui a inspiré Martin Scorsese : quatre ans après la sortie de ce thriller à Hong-Kong, Les Infiltrés était un remake d’Infernal Affairs, mais adapté à un contexte américain. Ici, on est au cœur de l’Asie, avec sa langue et ses habitudes, mais au fond le résultat est très proche de ce que l’on connaît, si bien que l’on est immédiatement plongé dans cette double enquête. Le premier volet de ce qui deviendra une trilogie peut surprendre nos regards occidentaux par sa surenchère stylistique, mais c’est un thriller solide, qui reste toujours aussi intense : un classique du genre, à découvrir !
Martin Scorsese a tiré de ce long-métrage une fresque épique de deux heures trente. Andrew Lau et Alan Mak sont, en comparaison, beaucoup plus raisonnables : leur version originale ne dure qu’une heure quarante et la même histoire est racontée plus brièvement. Infernal Affairs ne perd ainsi pas de temps, en commençant par la présentation des deux personnages principaux, Yan et le futur inspecteur Lau. Ils sont quasiment en même temps dans l’école de police, mais seul le premier veut vraiment devenir policier et il est si bon que ses supérieurs le repèrent et lui proposent un travail difficile. Il doit accepté d’être viré de l’école pour infiltrer la mafia locale. Personne ne le saura, sauf deux personnes dans tout le département et cette mission qui n’était censée qu’être temporaire, dure toujours dix ans après. Lau, quant à lui, a d’abord été recruté par monsieur Hon, l’une des têtes de la Triade hong-kongaise. Comme une poignée d’autres jeunes, ils sont payés par le mafieux pour suivre la formation de la police et y faire carrière, servir de taupe pendant toute leur vie pour protéger leurs intérêts. Le scénario établit rapidement ces bases pour mieux se concentrer sur la confrontation finale entre Hon et l’inspecteur Wong, le dernier dans la police à connaître l’identité de la taupe qui a infiltré la mafia. Et à travers elle, c’est évidemment la confrontation des deux infiltrés qui se jouent : tous deux essaient de découvrir l’identité de l’autre en premier, pour ne pas se faire dénoncer et pour faire gagner son camp.
Au-delà de l’intrigue et de sa résolution, au-delà de savoir qui identifiera qui en premier, Infernal Affairs suit le parcours atypique de deux hommes qui ne sont pas vraiment à leur place. Les deux réalisateurs ont très bien su rendre les réactions très différentes de leurs deux personnages principaux. L’inspecteur Lau est à l’aise avec son rôle de taupe pour la mafia dans la police, il prend très vite du grade et devient l’une des figures d’autorité, intégrant même la police des polices1, une place parfaitement indiquée pour découvrir la taupe… c’est-à-dire lui-même. Face à lui, Yan a beaucoup plus de mal avec son infiltration dans le monde de la mafia : à l’occasion de l’une des scènes où il rencontre son supérieur, il exprime sa volonté d’arrêter après près de dix ans à infiltrer plusieurs mouvements pour la police. Il n’arrive pas à dormir, il a souvent rendez-vous avec une psychologue, seul endroit où il trouve la paix. Andrew Lau et Alan Mak dresse ainsi deux portraits opposés, et c’est surtout cette opposition entre les deux personnages qui intéressent les cinéastes. Andy Lau et Tony Leung Chiu-wai sont parfaitement convaincants dans ces rôles principaux et le long-métrage parvient bien à les opposer, tout en créant une crainte pour leur survie. La version de Martin Scorsese était plus intense et surtout plus réaliste, loin de la stylisation parfois outrancière de l’original hong-kongais, mais cela ne veut pas dire qu’elle n’est nécessairement supérieure, simplement différente. La comparaison d’une scène clé des deux films (attention, spoilers) dans cette vidéo est un bon résumé du traitement très différents des deux films. Infernal Affairs n’hésite pas à en faire trop avec sa bande-originale très audible, avec ses ralentis et ses flashbacks très appuyés. Ce n’est pas forcément ce que l’on a l’habitude de voir, mais c’est une proposition cohérente et solide.
Entre le classicisme occidental de Martin Scorsese et le grain de folie d’Andrew Law et Alan Mak qui nous semble souvent outrancier, c’est affaire de goût. En revanche, on tient dans les deux cas un thriller solide, qui ne brille pas par son originalité, mais qui est largement renouvelé par cette idée d’avoir, non pas une, mais deux taupes en même temps. Infernal Affairs ne s’attarde pas sur les détails et concentre le récit en un long-métrage intense et passionnant, la preuve que l’idée de base était bonne. À partir de cette base, les deux réalisateurs ont créé une trilogie encore plus ample, mais cette entrée en matière est déjà une réussite.
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- « Internal Affairs » en anglais, d’où le jeu de mot du titre occidental… ↩