Depuis la mort de Steve Jobs, à l’automne 2011, les grands studios américains préparent leurs biopics. Le fondateur d’Apple a contribué à changer en profondeur notre quotidien et il fascine et déchaîne les passions, du côté de ses fans autant que de ses détracteurs. Alors que les films « officiels » prennent toujours plus de retard, iSteve a pris tout le monde de court. Ce projet ne vient pas de Hollywood, mais… d’Internet. Le site Funny or Die bien connu outre-Atlantique pour ses vidéos parodiques a réalisé un film complet, un biopic humoristique imaginé, écrit et tourné en quelques jours. Un pari audacieux pour ce site habitué aux petits clips de quelques minutes. À l’heure des bilans, iSteve s’en sort honorablement, mais le film n’est pas aussi drôle et gonflé qu’escompté.
Écrit en trois jours, tourné en cinq, iSteve ne promettait pas une qualité digne d’un grand film hollywoodien, mais Ryan Perez parvient à s’en sortir très honorablement. Dès la première scène qui se déroule la veille d’un keynote, ces fameuses conférences qui permettent à Apple de présenter un nouveau produit, on est pris dans l’ambiance et le Steve Jobs de cinéma parvient à convaincre. Justin Long n’a jamais réussi à s’imposer comme un grand acteur tout au long de sa carrière remplie essentiellement de navets, mais il n’est pas trop mauvais, grimé en patron d’Apple des années 2000, calvitie naissante et barbe grise. Cette introduction au cœur d’un keynote n’est, on s’en doute, qu’un prétexte à ouvrir le film : s’adressant directement aux spectateurs, le personnage principal commence à raconter son histoire. iSteve remonte alors jusqu’à la jeunesse de celui qui n’a pas encore fondé Apple : Steve Jobs a 19 ans, il vient d’abandonner les études et il part en Inde pour donner un sens à sa vie. Ryan Perez le filme avec un hindou et imagine qu’il trouve dans cette rencontre tout ce qu’il faut pour imaginer l’Apple I, premier ordinateur de l’entreprise. La suite est connue, on découvre Steve Wozniak et la collaboration des deux hommes permet de créer deux ordinateurs à succès, jusqu’au Macintosh sorti en 1984, l’éviction d’Apple par John Sculley qu’il vient d’embaucher comme PDG et enfin le retour à la fin des années 1990, l’iPod et l’iPhone. Sans être du grand cinéma, iSteve tient la route et ses concepteurs ne manquent pas d’idées pour exploiter au maximum leurs tout petits moyens. Malgré le peu de temps de tournage et de préparation, Ryan Perez peut utiliser de nombreux décors et le résultat n’est pas honteux, même si son statut de film diffusé sur Internet incite évidemment à un peu de clémence.
iSteve est censé être un biopic, certes, mais un biopic parodique. En présentant son film, Bryan Perez indiquait : « c’est très idiot. Mais c’est un regard complet sur sa vie. » De fait, son film est historiquement largement faux, avec des oublis à la pelle, d’énormes raccourcis et des dizaines et des dizaines d’erreurs. Qu’importe, puisqu’il s’agit d’une parodie, on peut tout pardonner à iSteve et on peut même reconnaître que certaines idées sont plutôt bien vues, parodie ou non. Ainsi, l’opposition entre Steve Jobs et Bill Gates résumée à une lutte pour une femme est amusante et fonctionne vraiment bien, même si elle laisse de côté tout un pan important de l’histoire d’Apple et Microsoft. Bryan Perez est allé jusqu’à inventer des situations pour son film, tandis que sa vision des principaux acteurs du bout d’histoire de l’informatique rassemblé ici est souvent très drôle. Steve Wozniak, très bien interprété par Jorge Garcia, en geek mal dans sa peau et timide à en être malade est excellent. John Sculley en faux patron de Pepsi et agent double à la solde de Commodore est également une excellente idée et sa rencontre avec Steve Jobs dans les toilettes est très amusante. Embaucher Justin Long pour interpréter le patron d’Apple mène au passage à une scène cocasse où celui qui a interprété le Mac pendant des années devient le réalisateur de la campagne « Get a Mac ». iSteve contient ainsi d’excellentes idées — d’autres beaucoup moins bonnes, il faut dire, à commencer par une séquence vraiment ridicule de cybersexe, voire gênante pour cette scène de suicide collectif chez Commodore —, mais qui n’effacent pas une ambiance générale très sérieuse. Pour une parodie, ce court long-métrage ne va pas très loin et n’ose peut-être pas assez. Par moment, on croirait vraiment regarder un biopic tout à fait sérieux, ce qui est assez troublant. Dommage que Bryan Perez et les équipes de Funny or Die ne soient pas allés plus loin, iSteve aurait pu être beaucoup plus drôle. En l’état, les fans s’amuseront des références aux faits réels et de la relecture parfois totalement absurde des épisodes de l’histoire d’Apple, mais le film ne devrait pas toucher un public beaucoup plus large.
Bilan contrasté pour cet iSteve qui s’avère finalement moins loufoque qu’escompté. Ryan Perez a fait un excellent travail en tournant un long-métrage qui tient la route avec uniquement des bouts de ficelle, les acteurs sont tous assez bons et le scénario propose quelques moments vraiment drôles. Reste que la parodie n’a sans doute pas été poussée assez loin : on sourit souvent, on rit rarement, alors que l’histoire de Steve Jobs aurait pu fournir des idées bien plus déjantées encore. Dommage, mais si vous maîtrisez bien l’anglais, iSteve mérite d’être regardé sur le site de Funny or Die, d’autant que c’est totalement gratuit.
Mise à jour août 2013 : malheureusement, le film n’est plus disponible en streaming, il faut acheter le DVD sur Amazon aux États-Unis pour une dizaine d’euros, frais de port compris.