Quentin Tarantino a déjà obtenu la Palme d’or quand il s’attaque à son troisième film. Un tel palmarès ne peut qu’impressionner, d’autant que Pulp Fiction est immédiatement devenu un film culte : comment rebondir après un tel succès ? Jackie Brown est une très belle réponse, car ce film de gangsters, tout en creusant le sillon exploité par Quentin Tarantino, se distingue suffisamment de son prédécesseur pour ne pas tomber dans la redite. Un long-métrage en forme de chorale orchestrée de main de maître par le cinéaste, un puzzle passionnant qui n’a pas pris une ride.
Jackie Brown est une hôtesse de l’air un peu ratée. Opérant sur la compagnie qui a la pire réputation de toute l’Amérique du Nord, elle gagne très mal sa vie et arrondit ses fins de mois comme elle peut. Elle travaille notamment pour Ordell Robbie, un vendeur d’armes qui garde sa fortune au Mexique et fait appel à Jackie pour rapatrier en toute discrétion son argent obtenu illégalement. Tout se déroule sans accroc jusqu’au jour où deux policiers attendent Jackie dans le parking de l’aéroport, lui demandent d’ouvrir son sac et tombent sur 10 000 $ qu’elle doit ramener à Ordell. Une somme vraiment louche pour une hôtesse de l’air fauchée et qui attire inévitablement leur attention. Les policiers essaient de la faire parler pour obtenir le nom de la personne à qui cet argent appartient, mais ils n’obtiennent rien d’elle, du moins pas dans un premier temps. C’est que Jackie Brown a une petite idée derrière la tête : en manœuvrant correctement, elle espère doubler la police et Ordell et empocher la confortable somme restée au Mexique, soit un demi million de dollars. La partie n’est pas gagnée toutefois, entre un Ordell Robbie particulièrement méfiant et la police qui ne tient pas à laisser échapper une telle proie…
Jackie Brown ouvre sur un long travelling qui suit une femme habillée de bleu. Le spectateur ne le sait pas encore, mais il voit immédiatement le personnage principal du film, celui qui lui donne d’ailleurs son titre. Dans un premier temps, Quentin Tarantino s’amuse à détourner notre attention et part sur l’histoire d’Ordell Robbie, petit malfrat qui se fait un peu d’argent en vendant des armes. Il a ainsi réussi à économiser 500 000 $ qu’il garde au Mexique et il espère doubler cette somme avec la vente de quelques armes de plus. Pas de quoi sauter au plafond, mais cela suffit à ce personnage qui retrouve, juste au début du film, Louis, un vieil ami qui sort justement de prison. Jackie Brown va d’abord prendre son temps pour poser tous ces personnages et notamment montrer ce qu’Ordell réserve à ceux qui se font prendre par la police. Il aide un petit jeune avec qui il travaille pour vendre ses armes à sortir de prison pour mieux le tuer par la suite. Ainsi, quand Jackie se fait avoir par la police, c’est encore Ordell qui la sort de prison en payant sa caution et le spectateur s’attend immanquablement à une suite macabre et à la mort de l’hôtesse de l’air. Sauf que le plan parfaitement huilé mis en place par le malfrat ne fonctionne pas et Quentin Tarantino commence alors un tout autre film.
Sous ses aspects fragiles, Jackie Brown se révèle vite beaucoup plus retors. Si elle commence par essayer de survivre face à Ordell, elle devient ensuite plus ambitieuse en tentant de rouler à la fois la police et Ordell et récupérer le demi-million. L’affiche de Jackie Brown est explicite : il s’agit d’un jeu qui comporte six joueurs avec comme objectif la somme d’argent retenue au Mexique. Une fois la survie de son personnage principal assurée, Quentin Tarantino peut se pencher sur la partie la plus intéressante de son film : les manœuvres pour récupérer l’argent. Jackie va dire toute la vérité à la police, ou presque, tout en disant également presque toute la vérité à Ordell, si bien qu’elle fait croire aux deux qu’elle est en train de rouler l’autre camp. Une partie dangereuse, menée d’une main de maître par le scénario parfaitement écrit, mais aussi par un montage toujours audacieux. Si le cinéaste ne s’abandonne pas au puzzle chronologique dans Jackie Brown, il se permet de filmer la même scène sous trois angles différents et de nous la présenter trois fois de suite. Le spectateur est littéralement happé par ce jeu subtil et on espère évidemment que le plan de Jackie va réussir, tout en craignant en permanence pour elle. Le film est à l’image de son intrigue, terriblement malin et la réussite vient justement du plaisir que l’on a à suivre les personnages de Quentin Tarantino.
Si l’on devait résumer le travail de Quentin Tarantino à un seul élément, ce serait sans doute les dialogues. Tous ses films sont baignés par des dialogues fournis, souvent drôles, toujours parfaitement écrits et menés. Chez Tarantino, le dialogue est un combat et si c’est le plus flagrant peut-être dans le plus récent Boulevard de la Mort, on le retrouvait déjà dans Jackie Brown. Même s’ils sont apaisés, ils sont toujours jouissifs et campent des personnages hauts en couleur comme Quentin Tarantino sait si bien en filmer. Ces dialogues ne seraient rien sans de bons acteurs et le cinéaste a toujours su bien les choisir. Ici, on retrouve avec plaisir l’habitué Samuel L. Jackson qui se traine un look d’enfer avec ses cheveux longs et sa petite pousse au menton, il est tout simplement parfait pour ce rôle de malfrat ridicule, mais dangereux quand même. Robert De Niro à ses côtés est excellent avec sa moustache également un peu ridicule, et Pam Grier dans le rôle titre impose son calme et sa détermination dans une interprétation parfaitement crédible. Le casting est excellent, mais un film de Quentin Tarantino serait incomplet sans sa bande originale. Composée comme toujours de classiques et de tubes oubliés, celle de Jackie Brown fait à nouveau un tour du répertoire américain et en particulier du répertoire funk. Cette musique participe à l’ambiance du film, et c’est une vraie réussite également !
En trois films seulement, Quentin Tarantino avait déjà réussi à imposer une œuvre impressionnante. Jackie Brown est dans la continuité des deux précédents, bavard, référencé et surtout jouissif avec cette fois une histoire alambiquée autour d’un demi million de dollars à récupérer. Sans jamais perdre le spectateur, Quentin Tarantino déroule son intrigue sans jamais se perdre et il compose ainsi une œuvre riche, drôle et intense à la fois, un excellent film en somme.