Encombré par sa technologie de pointe, Un jour dans la vie de Billy Lynn n’a pas vraiment eu la reconnaissance qu’il méritait. Certes, le dernier long-métrage d’Ang Lee est le premier à avoir été tourné à 120 images par seconde, cinq fois plus que la norme et un nouveau record mondial. Malheureusement, le cinéaste taïwanais était en avance sur son temps et cette débauche technologique a plutôt nui au projet, avec cinq salles dans le monde correctement équipées pour le diffuser exactement comme prévu. Tout le monde s’est focalisé sur ce point, oubliant un petit peu qu’il y avait un vrai film derrière et une vraie histoire. C’est dommage, car l’échec commercial du projet n’efface pas sa réussite. Un jour dans la vie de Billy Lynn ne ressemble pas à un film de guerre et c’est pourtant une œuvre majeure sur le stress post-traumatique des soldats américains envoyés en Irak et surtout une critique glaçante sur notre société de spectacle. Même si vous ne pouvez le voir qu’à 24 images par seconde, ne le ratez sous aucun prétexte.
Le titre français dévoile le dispositif : l’intégralité du long-métrage se déroule sur une journée, le dernier jour d’une longue tournée médiatique pour les Bravos. Depuis qu’un soldat, Billy Lynn, a héroïquement tenté de sauver son sergent face à une caméra, la compagnie est devenue un symbole de l’héroïsme des troupes américaines en Irak. Le sergent n’a pas survécu et l’armée américaine profite du rapatriement du corps pour organiser une tournée avec tous les autres soldats et ainsi montrer à la télévision ceux qui se battent. Un jour dans la vie de Billy Lynn ne cherche pas à le masquer. Dès les premières minutes, on comprend bien que ce n’est pas une partie de plaisir et que cette tournée est en fait longue et stressante pour ces soldats, qui n’attendent plus qu’une chose : qu’elle se termine, pour qu’ils puissent enfin partir. En près de deux heures de film, c’est l’un de ses messages et l’un des plus forts : pour ces soldats, le front et la guerre constituent un environnement plus enviable, plus proche de ce qu’ils qualifieraient de foyer. Non pas qu’ils risquent leur vie à passer à la télévision, mais Ang Lee présente un autre aspect de l’enfer, surtout lors de cette journée où les Bravos doivent parader à la mi-temps du Super Bowl. Comme chacun sait, c’est un événement médiatique extrêmement important aux États-Unis, la séquence la plus regardée à la télévision, les coupures pub les plus chères de l’année… C’est un énorme show comme les Américains savent si bien en faire et l’opportunité, pour l’armée, de surfer sur la vague du héros du moment. Les soldats sont excités à l’idée de rencontrer une star, mais aussi à l’annonce qu’un film pourrait leur être consacré avec à la clé un cachet tellement plus gros que leur salaire assez minable. Mais d’emblée, le réalisateur insiste sur le décalage entre les soldats et leur expérience du front, et les civils et ce qu’ils imaginent être l’expérience du front. Un jour dans la vie de Billy Lynn repose en partie sur cette idée et on retrouve constamment ce contraste, notamment parce que le montage alterne entre la journée et les souvenirs de la guerre. Mais davantage que le poids des images, c’est celui des mots qui frappe le plus ici.
Certes, les images sont importantes et la mort du sergent est l’occasion d’une séquence assez poignante, surtout parce que les caméras d’Ang Lee se posent longuement sur le visage de cet irakien tué à l’arme blanche par Billy. Néanmoins, cette violence directe n’est rien en comparaison de celle qui attend les soldats de retour dans leur pays. Celle-ci, plus subtile, est partout. Dans les questions des journalistes qui laissent entendre que de tuer un ennemi en combat rapproché est un privilège rare. Dans l’association douteuse proposée par un riche pétrolier texan entre son activité et la guerre menée au front. Dans le constat glacial du riche magnat qu’en deux semaines de tournée, l’intérêt médiatique pour les héros du front s’est déjà érodé et que le public a commencé à les oublier. Dans la médiatisation à outrance de soldats traumatisés par la guerre, à qui on demande de venir au milieu de feux d’artifice et de ne surtout pas bouger. Ou encore dans les milles faux-pas de tout un chacun, qui ne sait pas trop comment réagir ou qui pose des questions idiotes. Fondamentalement, Un jour dans la vie de Billy Lynn ne raconte pas seulement le malaise des soldats quand ils rentrent au foyer, leur sentiment qu’ils n’ont plus de place dans cette société et leur désir de repartir. Il y a tout cela et Ang Lee le montre très bien, mais il y a davantage encore. Il y a cette réalisation par le personnage principal que la guerre n’appartient jamais aux soldats sur le front. En apparence, ce sont eux qui la mènent. En réalité, ce sont les hommes qui restent au pays qui ont le contrôle et qui gèrent tout, de l’entrée en guerre jusqu’à son exposition médiatique. Ce n’est peut-être pas l’idée la plus révolutionnaire qui soit, mais on peut compter sur la mise en scène précise et très juste pour que le message passe parfaitement bien. Le long-métrage repose sur un procédé un petit peu artificiel – tout doit tenir dans quelques heures, dans un seul lieu –, mais le résultat est en général très bon et semble naturel. Il y a quelques exceptions à noter, en particulier toutes les scènes avec la fille, mais c’est une vraie réussite dans l’ensemble. Saluons au passage le talent du jeune acteur principal : c’était le premier film de Joe Alwyn et il est excellent, tout simplement.
Quand on regarde Un jour dans la vie de Billy Lynn, on oublie instantanément la technique. L’histoire inspirée d’un roman publié en 2012 est passionnante et Ang Lee en fait un excellent long-métrage. Il ne ressemble pas à un film de guerre et les flashbacks sont presque dispensables, mais c’est pourtant indéniablement un film sur la guerre et sur ses effets, ainsi qu’une œuvre politique sur la société du spectacle qui est la nôtre. La phrase à retenir de tout cela, c’est peut-être celle de l’opinion qui commence à se lasser : alors que des vies entières sont détruites, ces soldats sont mis sous le projecteur quelques jours et retournent ensuite dans l’ombre, loin des yeux et loin du cœur. Une pensée glaçante, qu’Un jour dans la vie de Billy Lynn met parfaitement en lumière. À voir.