Jusqu’à la garde, Xavier Legrand

Pour son premier long-métrage, Xavier Legrand choisit un sujet malheureusement bien trop courant : les violences conjugales. Jusqu’à la garde explore les effets dévastateurs d’un père violent dans une famille et aussi l’incapacité du système judiciaire à protéger la femme et les enfants qui subissent cette violence. Ce n’est pas un thème très réjouissant et l’approche très sociale du réalisateur n’est pas très vendeuse, mais vous auriez tort de vous arrêter à des préjugés. Malgré une économie de moyens, ou plutôt grâce à elle, le cinéaste génère une tension permanente d’une rare intensité. Jusqu’à la garde est un film difficile, prenant et intense, à ne surtout pas rater.

La première scène se déroule dans un bureau d’un palais de justice quelconque — le lieu n’est jamais explicite —, pendant l’audience d’une juge qui doit décider de la garde de Julien, onze ans. Ses parents se sont séparés en de mauvais termes, ils sont présents chacun avec leur avocat. La mère demande la garde exclusive des enfants, le père essaie d’obtenir une garde alternée. Que veut Julien ? L’enfant est absent, mais la juge lit sa déclaration qui est implacable contre son père, qu’il accuse de conduite violente et dont il a manifestement peur. Réponse de l’intéressé : c’est sa mère qui s’est immiscée, il a d’excellentes relations avec son enfant. Que faire ? Qui croire ? Chaque avocat s’exprime et joue sa partition, mettant en avant d’anciennes preuves de violence d’un côté, soulevant de l’autre que ces preuves sont ténues et qu’un enfant a toujours besoin de ses deux parents. Dans un tel cas, la justice préfère en effet maintenir les relations parentales, même si les enfants demandent à rester éloignés de l’un des parents, et sans vraiment tenir compte de ce qui suivra. Ce qui est exactement ce que montre Jusqu’à la garde, en déroulant ensuite l’enfer que vivent femme et enfants en l’absence de la justice. Non pas que le père soit physiquement violent, en tout cas pas tout de suite. C’est une relation beaucoup plus perverse qui se met en place, à base essentiellement de pressions psychologiques où Julien sert d’intermédiaire entre ses deux parents. Le père en abuse pour essayer de communiquer avec son ex-femme, son fils essaie de protéger sa mère autant qu’il peu, mais les tensions montent irrémédiablement. Et tout se fait dans le cadre serré des caméras de Xavier Legrand, qui symbolisent parfaitement l’isolement de la famille.

Le réalisateur n’a pas besoin d’une débauche de moyens pour créer un suspense. C’est même tout le contraire : l’économie de moyens est ce qui permet de générer les tensions dans Jusqu’à la garde. Il n’y a aucune musique par exemple, si ce n’est celle que l’on entend dans une scène, mais Xavier Legrand n’en a ajouté aucune. Il compte plutôt sur l’environnement sonore pour faire monter la tension, que ce soit une sonnerie de téléphone, ou bien le bruit d’un ascenseur dans un immeuble. Le silence prend parfois le dessus, mais c’est encore pire, on ressent alors le stress de ces personnages tellement habitués aux menaces qu’ils ne peuvent plus vivre sans la craindre et la percevoir partout. Les acteurs sont tous excellents pour faire ressentir cette peur viscérale, de Léa Drucker qui incarne parfaitement la mère au jeune Thomas Gioria, magistral dans le rôle de Julien. Dans le rôle du père, Denis Minochet est également impeccable, en incarnant cette violence sourde, mais suffisamment discrète pour échapper à la justice, au moins pendant un temps. L’acteur parvient bien à rendre la souffrance de son propre personnage et l’aveuglement qui en résulte, ce qui fait que l’on ne le rejette pas en bloc tout de suite. Ce n’est pas un monstre caricatural, c’est plus complexe que cela et la tension n’en est que plus forte. Pour autant, Jusqu’à la garde n’essaie pas d’excuser le père et le film le représente bien comme l’homme violent qu’il est. La mise en scène va dans la même sens, avec des cadres fixes souvent très rapprochés qui créent un sens constant de l’étouffement. C’est le cas dès la première séquence chez la juge, c’est ensuite encore très souvent le cas. On n’a aucune vue d’ensemble, juste des plans serrés sur un visage ou une partie d’une pièce seulement. On a l’impression d’être pris au piège et la tension n’en est que plus forte, ce qui est certainement le regard subjectif de Julien.

Jusqu’à la garde devrait être une leçon pour bon nombre de créateurs de blockbusters. Il n’est pas nécessaire de multiplier les actes de bravoure et d’utiliser une musique épique, une simple caméra fixe et quelques bruitages simples peuvent suffire. Et cette tension qui naît du quotidien s’avère au bout du compte encore plus forte et prenante, parce qu’elle est plus réaliste. Xavier Legrand a parfaitement rendu le quotidien de bon nombre de familles qui souffrent d’une violence pas toujours visible. Le cauchemar traversé par Julien et sa mère est poignant et d’une rare intensité et Jusqu’à la garde mérite absolument le détour, même s’il peut être difficile à regarder.