Vingt-six ans et une carrière déjà impressionnante… à quoi bon le relever encore une fois ? Xavier Dolan n’a pas fini de nous surprendre et pour son sixième long-métrage, il choisit d’adapter à nouveau une pièce de théâtre. Rien à voir toutefois avec le thriller poisseux de Tom à la ferme, le jeune cinéaste s’attaque cette fois à une pièce écrite par Jean-Luc Lagarce en 1990. Quelques années avant sa mort, le dramaturge imaginait alors le retour d’un jeune homme d’une trentaine d’années dans sa famille, douze ans après être parti, pour annoncer sa mort prochaine et certaine. Juste la fin du monde était une œuvre extrêmement personnelle, on l’imagine sans peine, pour cet auteur qui souffrait lui-même du sida. Aucun rapport a priori avec la situation personnelle de Xavier Dolan et le réalisateur reste plus éloigné que par le passé de l’autobiographie, mais on le sent malgré tout très impliqué. Et le résultat est un film plutôt bref et intense, très maniéré comme toujours, en permanence à la limite de l’hystérie ridicule, mais qui se maintient du bon côté grâce à ses interprètes exceptionnels. Les détracteurs détesteront, mais si le cinéma du Québécois ne vous laisse pas indifférent, ne ratez surtout pas Juste la fin du monde !
Xavier Dolan aime occuper toute la scène sonore de ses films avec une musique qui prend le dessus et écrase le reste. C’est sa marque de fabrique et il ne se prive pas de le faire à nouveau avec Juste la fin du monde qui oscille entre morceaux pop et une bande-originale lyrique composée par Gabriel Yared. Mais pour la toute première scène, il a su mettre la musique en sourdine pour ne laisser qu’une seule chose : la voix envoutante de Gaspard Ulliel. L’acteur incarne Louis, un dramaturge de 34 ans qui a laissé sa famille douze ans auparavant pour fuir et vivre sa vie le plus loin possible. Il n’est jamais revenu pendant tout ce temps, tout au plus a-t-il donné des signes de vie en envoyant de temps en temps des cartes postales, mais cette fois, il revient. Et cette pièce adaptée au cinéma commence avec un monologue déjà poignant où Louis explique tranquillement qu’il revient, parce qu’il va mourir et parce qu’il veut annoncer à sa famille qu’il va mourir. C’est dit très simplement, avec une voix posée et grave et avec cette scène très simple, Xavier Dolan impose son style et aussi une ambiance qui ne quittera ensuite jamais son dernier long-métrage. La musique prend ensuite le dessus, tout comme les effets de style un petit peu trop voyants, comme toujours chez lui — cette fois, c’est du flou qu’il use et abuse, mais c’est souvent si magnifique qu’on lui pardonne —, mais son personnage principal arrive bien vite dans sa famille et le drame peut se mettre en place. Juste la fin du monde n’essaie pas de masquer son origine théâtrale, bien au contraire, le film la célèbre en reprenant un maximum de dialogues de la pièce. On retrouve aussi le même découpage bien visible en scènes, avec en général des dialogues entre deux personnages et quelques moments clés pour chacun d’entre eux. Comme toutes les transpositions d’œuvres de théâtre au cinéma, il faut un petit temps d’adaptation, mais on oublie bien vite cette origine, pour mieux se concentrer sur l’intrigue et les personnages.
Comme la pièce originale probablement, Juste la fin du monde repose essentiellement sur l’opposition entre Louis et sa famille. Tout oppose ce jeune homme réservé, très discret, qui ne dit jamais plus de deux ou trois mots à la suite et qui se contente bien souvent d’un petit sourire énigmatique, et sa mère, son frère et sa sœur. Ces trois personnages sont constamment dans l’hystérie et la colère, ils passent leur temps à s’engueuler et à crier, ou alors à parler pour ne rien dire ou bien pour répéter le même souvenir en boucle. Xavier Dolan se concentre naturellement sur cette opposition et dirige les quatre acteurs de manière diamétralement opposée. En face de Gaspard Ulliel, Nathalie Baye, Vincent Cassel et Léa Seydoux composent, chacun à leur manière, trois personnages à la limite permanente de la folie. Ils se hurlent dessus, ils parlent de manière incohérente et ils sont insupportables, autant pour Louis que pour les spectateurs d’ailleurs. Ils en font des caisses et le film serait lourdement déséquilibré s’il n’y avait pas deux autres personnages, diamétralement opposé. Un mot encore pour saluer l’acteur principal, parfait de mutisme gêné, excellent dans la honte teintée de regret et en même temps, frappant par son envie si visible de fuir à nouveau. Quand Juste la fin du monde touche à sa fin, on a l’impression de connaître et de comprendre cet homme qui semble né dans la même famille et même s’il reste jusqu’au bout un être entouré de mystères, on pourrait jurer qu’on le connaît comme sa propre famille. Xavier Dolan fait tout son possible pour accentuer le mystère, allant jusqu’à faire douter de sa sexualité dans une scène de flashback très trouble, mais il lui suffit de quelques regards, d’un montage précis et d’une musique pour nous faire comprendre tout ce qu’il y a à comprendre. C’est aussi ce qui explique l’importance de Catherine, interprétée avec une justesse incroyable par Marion Cotillard : la belle-sœur de Louis est discrète, elle a du mal à s’exprimer et elle est écrasée par son mari. En un sens, elle est comme ce fils qui revient après 12 ans et c’est pourquoi elle le comprend si bien. Dès leur première rencontre, leurs regards suffisent à prouver qu’ils sont sur la même longueur d’ondes et plus tard, quand elle laisse échapper une question sur le temps qu’il lui reste, on comprend qu’elle sait pour la maladie. Et en cela aussi, elle est unique dans la famille.
Juste la fin du monde est à l’image de son créateur, agaçant et en même temps touchant et brillant. Agaçant, parce que les plans trop rapprochés, le jeu constant et souvent exagéré sur le flou ainsi qu’une musique envahissante frôlent très souvent avec la limite du cliché kitsch et ce sont des effets un petit peu faciles. Touchant, car ces personnages le sont tous, que ce soit Louis qui ne peut pas se rapprocher de cette famille qui lui a toujours été étrangère ou sa famille justement, qui aimerait tant se rapprocher de lui et surtout le comprendre. Brillant, ne serait-ce que par cette dernière scène d’une intensité folle, comme on en voit rarement au cinéma et qui vous laisse abasourdi en sortant de la salle. Xavier Dolan est tout cela depuis le début, mais on distingue aussi de plus en plus les signes d’un cinéma plus mature et plus sûr de lui. C’était déjà très net dans l’excellent Mommy, c’est aussi le cas avec Juste la fin du monde, mais dans un tout autre genre.