Kingdom of Heaven, Ridley Scott

Cinq ans après Gladiator, Ridley Scott ne revient pas directement au péplum, mais c’est tout comme. Kingdom of Heaven est une énorme production, un film en costumes et un blockbuster plein de scènes impressionnantes qui culminent avec le siège de Jérusalem. Cette histoire d’un chevalier français parti en Terre Sainte pendant les Croisades est aussi un pari plus courageux qu’il n’en a l’air. Le cinéaste n’a pas cherché le réalisme à tout prix, mais a préféré au contraire offrir un éclairage contemporain à son scénario inspirée d’une histoire vraie du XIIᵉ siècle. À l’arrivée, Kingdom of Heaven s’est transformé en plaidoyer pour la tolérance entre les mondes chrétien et musulman, ce qui est assez inattendu si tôt après le 11 Septembre. Qu’en reste-t-il dix ans plus tard ? Une épopée de plus de trois heures1 qui est parfois un petit peu longue, mais qui n’en est pas moins très bien réalisée et passionnante.

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Le scénario de Kingdom of Heaven repose presque uniquement sur des personnages historiques qui ont vraiment existé. Ridley Scott tenait à réaliser un film sur les Croisades et c’est aussi lui qui a choisi l’époque : les années 1180 qui coïncident avec la fin du règne de Beaudoin IV de Jérusalem et avec lui, de la paix précaire maintenue entre les Chrétiens et les Musulmans, menés à cette époque par Saladin. Le cinéaste trouvait que la paix offrait un contexte plus intéressant et on ne peut que lui donner raison. Le contexte historique du film passionne bien plus que si l’on n’avait qu’une longue guerre, d’autant que le scénario ménage ainsi une belle part aux questions politiques. Tous ses personnages ont vraiment existé, jusqu’au héros, Balian d’Ibelin, mais cela ne veut pas dire que les scénaristes en sont restés strictement à ce que l’histoire a retenu d’eux. De fait, Kingdom of Heaven n’hésite pas à prendre d’importantes libertés, à commencer par la langue, comme souvent : dans ce Moyen-Orient plein de Français et d’Arabes, tout le monde parle un anglais parfait2. Mais de manière plus profonde, la réalité historique est triturée pour la faire correspondre au message du réalisateur. En effet, la vision des forces en présence et de leurs relations est beaucoup trop moderne pour ne pas être anachronique et on sait que les personnages historiques n’étaient pas autant tolérants pour les uns, ou au contraire contre le camp adverse pour les autres. Ridley Scott veut montrer que la paix serait possible, si ce n’est que, d’un côté comme de l’autre, on a des extrémistes qui poussent à la guerre. Au passage, il écorne beaucoup plus les Chrétiens, présentés comme des brutes sanguinaires et stupides qui justifient tous leurs actes au nom de leur dieu, plutôt que les Musulmans, plus mesurés et rationnels dans l’ensemble. Une tendance audacieuse pour un film américain et que l’on peut saluer : Kingdom of Heaven évite le piège de l’américano-centrisme et c’est assez agréable, même si cela explique sans doute l’échec commercial du film dans son pays, et son succès à l’inverse en Europe et au Moyen-Orient.

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Avec ce message de tolérance en permanence sous-jacent, le long-métrage est aussi beaucoup plus politique que prévu. On aurait pu avoir un film dominé par l’action, mais les intrigues de cours prennent en fait de la place, plus qu’on l’escomptait, moins qu’on aurait aimé. Ridley Scott prend son temps pour introduire les personnages des deux bords et pour montrer la sagesse du roi de Jérusalem, qui est déjà sur le point de mourir de la peste quand le film commence, et de celui de Damas. Kingdom of Heaven établit très clairement les deux forces en présence et montrent des extrémistes des deux côtés, ceux qui veulent la guerre à tout prix et qui finissent par l’avoir. Tout mène ainsi au grand final épique, le siège de Jérusalem défendu par le héros et la défaite des Chrétiens négociée par Balian, mais tout ceci, la politique comme la guerre, est concurrencé par une autre branche du scénario : une histoire d’amour. Inventée de toute pièce, la romance entre Balian et Sybille, la sœur du roi Beaudoin, permet d’ajouter la dose d’histoire d’amour nécessaire à toute production hollywoodienne digne de ce nom. De fait, elle occupe une bonne part du film, mais il faut noter que le cinéaste parvient bien à doser chaque composante de Kingdom of Heaven. Au moins dans la version longue, on a un temps pour tout et même si votre goût personnel vous porte plus, qui sur l’histoire d’amour, qui sur la guerre, qui sur la politique, vous vous y retrouverez toujours. Qu’importe dès lors si la réalité historique n’est parfois qu’un vague prétexte, le divertissement est bien au rendez-vous et force est de constater, à nouveau, que Ridley Scott n’est un manchot pour mettre en scène des séquences gigantesques. Tourné uniquement avec des décors naturels ou de studio, le film a bien vieilli et reste toujours aussi impressionnant, dix ans plus tard. On n’est pas au niveau d’épique de la saga du Seigneur des Anneaux, mais on est déjà à un niveau très élevé et le résultat est très convaincant. Le cinéaste a également su s’entourer de bons acteurs et il y a un grand nombre de têtes connues dans ce film, à commencer par celle d’Orlando Bloom, qui venait juste de devenir célèbre grâce à sa participation dans Les Pirates des Caraïbes. Il se débrouille plutôt bien dans ce rôle, même s’il reste au fond assez proche du statut de jeune premier et ne fait encore rien pour s’en sortir. À ses côtés, Eva Green est parfaite en princesse Sybille séductrice et tous les seconds rôles sont bien servis. L’ensemble forme un casting solide et convaincant, à défaut de faire des étincelles.

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C’est d’ailleurs le même bilan général : Kingdom of Heaven est un blockbuster solide, un film d’action étonnamment plus politique que la moyenne et adouci par une histoire d’amour qui trouve bien sa place. Ridley Scott ne signe pas un chef d’œuvre, mais c’est une réussite, visuellement bluffante et passionnante sur le fond. Qu’importe si sa vision des Croisades n’est pas très proche de la réalité historique : elle est divertissante et intéressante. Un film historique solide, que l’on (re)voit avec plaisir !


  1. Dans la version Director’s Cut qui est probablement la seule qui vaille la peine d’être vue. La version sortie au cinéma a été raccourcie de 45 minutes et cela n’a pas aidé le film. 
  2. C’est un classique, inutile de s’appesantir sur ce « problème » du cinéma hollywoodien. Mais c’est encore plus étrange ici, parce que l’on entend parler français ou arabe par moment. Comment, dès lors, justifier le choix de l’anglais ?