Damien Chazelle avait impressionné en 2014 avec Whiplash, une plongée magnifique et terrifiante dans l’univers du jazz et son perfectionnisme. Deux ans plus tard, il revient avec un tout autre sujet et un tout autre genre, même si le jazz reste toujours au cœur de l’expérience. La La Land est une comédie musicale qui va chercher explicitement dans l’histoire du genre et sa grande époque à Hollywood ou ailleurs. De la musique — souvent du jazz — et des chorégraphies hautes en couleur : on pourrait croire que l’on est revenu dans les années 1950. L’hommage est appuyé et assumé et en même temps, Damien Chazelle ne se contente pas de copier Chantons sous la pluie sans apporter quelque chose. La La Land parvient à surprendre, ce qui explique d’ailleurs qu’il doit être visionné sans rien lire à son sujet. C’est aussi une pastille nostalgique qui fait plaisir par son insouciance et sa bonne humeur. À ne pas rater !
Les comédies musicales sont largement passées de mode et c’est un genre un petit peu désuet que l’on ne voit plus aussi souvent dans les salles. C’est pourquoi la première scène de La La Land sert d’avertissement à l’intention du spectateur. Elle se déroule sur une autoroute des environs de Los Angeles, on est en hiver, mais la température sous le soleil de plomb approche les 30°. Un énorme bouchon bloque des centaines de voitures et la caméra évolue entre les véhicules, s’arrêtant à chaque fenêtre pour écouter l’ambiance. Ici, on écoute du rap, là, on chantonne un classique… quand soudain une femme sort et se met à chanter au milieu de l’autoroute. Loin de surprendre ses voisins, elle lance un mouvement et bientôt tout le monde sort de sa voiture et se met à danser et chanter. Damien Chazelle prépare ses spectateurs et crée au passage une scène complètement dingue, un plan-séquence de six minutes où la caméra virevolte entre les danseurs et les voitures. Le résultat est difficile à décrire, il faut le voir pour le croire, mais cette introduction est bluffante en plus de donner un ton général à l’œuvre. La La Land n’est pas un drame social réaliste, son créateur nous plonge d’emblée dans un univers où la banalité du quotidien (en l’occurrence, un bouchon à Los Angeles) est teinté par des couleurs très vives. Cette séquence devrait être parfaite pour calibrer un écran, elle est aussi une excellente entrée en matière qui permet d’accepter que des personnages passent des dialogues classiques aux chansons l’air de rien. La musique a été composée entièrement pour le film, ce qui ne l’empêche pas de regarder largement vers le passé : l’excellente bande-originale composée essentiellement par Justin Hurwitz pioche ostensiblement dans les ambiances des films musicaux qui ont aussi servi de référence à Damien Chazelle. L’ensemble est très cohérent et surtout très bien mené, avec des morceaux qui restent en tête longtemps après. Par ailleurs, on retrouve bien le passionné de musique qui était déjà évident dans Whiplash et le personnage de Sebastian est sans doute une incarnation du réalisateur quand il explique à Mia ce qu’est vraiment le jazz. Une déclaration d’amour à un genre désuet qui est la bienvenue.
La La Land n’est pas qu’un enchaînement de chansons et de numéros de danse, c’est aussi une histoire, même si elle n’est pas très originale. « La La Land », c’est le nom que l’on donne à Los Angeles pour désigner le quartier de Hollywood. Et sans surprise, le scénario suit Mia, une jeune femme qui espère percer comme actrice dans ce milieu extrêmement concurrentiel. C’est un sujet classique, pour ne pas dire commun, mais on sent très vite qu’il n’est là que pour offrir une base à la comédie musicale que Damien Chazelle voulait écrire. C’est un archétype, tout comme le couple que son héroïne forme avec Seb, pianiste fan de jazz qui rêve d’ouvrir son propre club dans un lieu mythique de la ville. Deux rêveurs qui essaient d’accomplir leurs rêves, une histoire d’amour qui n’aura pas la palme de l’originalité… même si elle réserve quelques surprises. Sans trop en dire, La La Land parvient à surprendre, surtout par sa fin beaucoup moins joyeuse qu’on ne pouvait l’imaginer. C’est un choix presque audacieux étant donnée l’ambiance colorée et naïve portée au début du film. C’est en tout cas une bonne manière d’apporter une touche de modernité au genre : là où l’âge d’or de la comédie musicale n’aurait pas imaginé autre chose qu’un happy-end guimauve, Damien Chazelle tente une voie moins lumineuse. Plus profonde et plus touchante aussi et le séquence finale reste elle aussi en mémoire bien après la séance. Emma Stone et Ryan Gosling sont parfaits dans leurs rôles respectifs et ils ressemblent un petit peu à l’archétype du couple hollywoodien d’après-guerre, ce qui est très certainement l’effet recherché. Ils chantent leurs chansons, ils dansent, il joue du piano : leur investissement est sensible et le long-métrage est également techniquement très convaincant. Outre les acteurs et la bande-originale, il faut saluer le travail du réalisateur qui parvient à offrir une mise en scène souvent très impressionnante. Il multiplie les séquences sans coupures, fait naviguer sa caméra au sein de scènes toujours complexes et Damien Chazelle a cette bonne idée sur la lumière. À plusieurs reprises, il « éteint » entièrement une scène pour mettre en valeur un ou deux personnages, en général ses héros. Mais il ne le fait pas avec une astuce numérique, c’est tout le plateau qui est plongé presque dans le noir et on voit encore les autres acteurs ou figurants autour. Ce n’est pas compliqué, mais le rendu est excellent.
S’il a commencé avec Whiplash, c’est parce que personne ne voulait financer son premier projet. Damien Chazelle a commencé par écrire le scénario de La La Land, mais il n’a jamais accepté les concessions demandées par Hollywood pour ce projet. Après avoir obtenu la reconnaissance critique et publique, il a pu réaliser sa comédie musicale comme il l’entendait, avec la fameuse scène d’ouverture et avec du jazz en guise de bande-originale. Un pari audacieux, même si parier sur la nostalgie est une valeur sûre désormais. Il faut bien reconnaître que La La Land n’est pas très original et on peut sans doute revenir aux classiques qui ont inspiré le réalisateur. Malgré tout, Damien Chazelle ne se contente pas de copier sans moderniser. Et par les temps qui courent, deux heures de musique et de danse ne feront de mal à personne…