Existe-t-il film plus maudit que La porte du paradis ? Lancé après l’énorme succès de Voyage au bout de l’enfer, il offre à Michael Cimino les conditions idéales pour réaliser le long-métrage qu’il a envie, puisqu’à cette époque où les réalisateurs ont les pleins pouvoirs à Hollywood, les producteurs cèdent à toutes les exigences du jeune réalisateur. Perfectionniste, ce dernier fait exploser le budget initial et sa troisième réalisation coûte finalement vingt fois plus cher que prévu… pour un énorme ratage dans les salles. La critique est unanime contre La porte du paradis, le film long, violent et sombre ne convainc pas et personne ne va le voir. Cet accident industriel provoque directement la faillite d’United Artist qui avait fait confiance à Michael Cimino qui doit, quant à lui, oublier toute idée de carrière. Trente ans plus tard, ce film mal-aimé à sa sortie est considéré tout aussi unanimement, mais comme un chef d’œuvre cette fois. De fait, cet anti-western implacable doublé d’un drame à base de triangle amoureux est un très beau film et une excellente leçon d’histoire. À ne pas rater dans sa version restaurée actuellement en salles…
La porte du paradis, c’est une histoire d’amour autour de trois personnages. Autour d’Ella, une prostituée d’origine française installée dans le Wyoming, Averill et Nate. Le premier est le shérif fédéral des environs : la quarantaine, il est très riche et couvre la jeune femme de cadeaux, mais n’ose pas aller plus loin et la demander en mariage. Nate est plus jeune, mais sans le sou : ami d’Averill, il lutte contre les voleurs de bétail et veut obtenir la main de la jeune prostituée. Michael Cimino construit son film autour de ce triangle amoureux, avec des enjeux caractéristiques de cette situation pour savoir qui, d’Averill ou de Nate, partira avec la femme aimée. De son côté, Ella aimerait bien pouvoir aimer les deux hommes à égalité, mais semble privilégier le shérif. Est-ce par pur intérêt ou véritablement par amour ? Le film ne le dit pas vraiment, même si les fastueux cadeaux d’Averill font leur effet. Ce personnage est, en tout cas, extrêmement convaincant et la performance de la jeune Isabelle Huppert : l’actrice totalement inconnue aux États-Unis est rayonnante dans son rôle de prostituée française. Quand, par la suite, La porte du paradis ménage plus de place à son intrigue historique, le combat mené par les deux hommes pour Ella reste central. Un conflit est sur le point d’éclater là où se déroule l’action et ils essaient tous les deux de protéger celle qu’ils aiment, l’un en la poussant à partir seule, l’autre en l’épousant. Sans trop en révéler sur la fin, on peut dire que cette intrigue amoureuse reste centrale et jusqu’au dernier plan, le souvenir d’Ella reste présent.
Si ce triangle amoureux est important au point de prendre la première place sur l’affiche par la mention des deux acteurs principaux, ce n’est pas l’essentiel pour Michael Cimino. À l’origine, son film devait s’appeler The Johnson County War, ce qui ne doit rien au hasard. Cette guerre du comté de Johnson, c’est le nom d’un conflit qui a vraiment eu lieu dans le Wyoming, à la fin du XIXe siècle. En fait de guerre, il s’agit de la lutte d’un groupement de riches propriétaires terriens contre des voleurs de bétail. Cette époque est celle de la deuxième vague d’immigration américaine : les premiers colons ont gagné leur vie en profitant de l’immense espace américain comme ils l’entendaient et ces riches propriétaires de ranch et d’immenses troupeaux de bétail voient d’un très mauvais œil l’arrivée de nouveaux migrants. Venus d’Europe de l’Est et d’Allemagne essentiellement, ils ne parlent pas un mot d’anglais et ils viennent occuper un morceau de terre qu’on leur a promis. Problème, cette terre était jusque-là exploitée par les premiers colons et le conflit était inévitable, d’autant que les nouveaux venus peinent à produire ce qu’ils ont besoin pour vivre et ils volent pour survivre. Le conflit dégénère au point que les propriétaires constituent une armée officieuse composée d’une cinquantaine d’hommes chargés de tuer 125 personnes. La porte du paradis est tout entier tourné vers cet épisode sombre de l’histoire américaine qui débouche sur un champ de bataille où les corps des migrants — femmes et enfants y compris — se mêlent à ceux des mercenaires venus les tuer. Un véritable massacre que Michael Cimino filme de manière brutale et frontale, sans filtre.
Au début de La porte du paradis déjà, une scène de mise à mort impressionne et pose le contexte. Pour le compte des riches propriétaires, Nate vient tuer un migrant qui tente, un peu en vain, de découper une vache qu’il vient de voler en se cachant avec des draps. Il est tué d’un coup de fusil à bout portant et ses viscères se confondent avec celles de l’animal. Michael Cimino ne filme un western qu’en apparence : on retrouve les grandes plaines de l’Ouest américain, le bétail et les cow-boys à cheval chargés de les gérer, on retrouve aussi le train à vapeur, les bars, la vie difficile et la violence entre les hommes. Tout est là, mais La porte du paradis est bien plus un anti-western, tant l’image qu’il renvoie de la construction am%