La Vida Loca, Christian Poveda

La Vida Loca est un documentaire franco-hispanico-mexicain réalisé par feu Christian Poveda. Feu, car celui qui a partagé pendant plusieurs mois le quotidien de gangs armés au Salvador s’est vu gentiment remercié par ces mêmes gangs juste avant la sortie du film d’une balle dans la tête. Eh oui, on ne rigole pas avec les Maras. En voyant le film en tout cas, on se dit qu’ils ne sont pas bien malins d’avoir descendu un homme pas vraiment dangereux. C’est aussi très énervant quand on voit le travail de cet homme (bon, et évidemment, c’est une perte immense pour la famille, ne l’oublions pas).

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Christian Poveda a infiltré des tueurs pendant de longs mois. Il a posé son matériel pendant un an dans la banlieue de San Salvador, au cœur des quartiers contrôlés par les Maras, soient des gangs armés et organisés comme les gangs des ghettos américains. Ces Maras sont jeunes, très jeunes : la moyenne ne doit pas dépasser les 17/18 ans tant ils tombent comme des mouches dès le plus jeune âge. Ce sont essentiellement des jeunes hommes parfois encore prépubères, mais aussi quelques femmes tout aussi jeunes. Autour gravitent bien quelques personnes plus âgées, les parents notamment, mais ils semblent totalement impuissants face à ce qui arrive, ou peut-être que cela leur convient, on ne sait pas trop. La seule vraie présence adulte est celle de la force de l’État, police, armée ou juges qui tentent, bien vainement d’ailleurs, d’arrêter les gangs et le bain de sang permanent qu’ils occasionnent.

La Vida Loca prend le parti de ne suivre qu’un gang (la 18) et d’être vraiment au cœur du gang. Ainsi, on ne verra jamais les combats externes qui opposent les gangs par exemple, pas plus de toute façon que l’on verra le gang adverse. Quand on évoque une plongée dans le milieu, ça n’est pas qu’une image. Christian Poveda a su gagner la confiance des chefs de la 18, il avait aussi celle de la police, et il a partagé le quotidien des hommes et femmes du gang seul, sans protection aucune. Il a réussi à gagner leur confiance, et cela se voit, la caméra se fait totalement oublier. Le réalisateur n’intervient jamais et évite l’action directe : on voit les morts, on ne voit jamais les meurtriers ou l’action proprement dite. C’est sans doute faute d’images, mais c’est bien vu, tant cela rend toutes ces morts totalement stupides et sans aucun sens.

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Une des grandes caractéristiques des Maras en effet, est que la lutte entre gangs ne repose sur rien, même pas vraiment une lutte de territoire. Chaque gang marque définitivement ses membres de tatouages parfois impressionnants, et chaque gang affronte l’autre jusqu’à la mort par principe. Comme souvent, le gang fonctionne en circuit fermé : y naître, c’est avoir la certitude de finir malfrat. Même les meilleures volontés du monde ne permettent pas de se débarrasser des marques et de la force d’attraction du gang qui régit tout dans le quartier, jusqu’à la boulangerie. Du coup, des garçons ultra violents côtoient des enfants en bas âge, et des jeunes femmes, et les jouets pour enfants sont rangés près des armes, en tout cas on peut le supposer puisque l’on ne voit aucune arme de tout le film (certainement pour protéger ceux qui ont accepté d’être filmés.

Sur le plan technique, ce documentaire est très sec, froid même. C’est le résultat d’un choix de montage très malin. La vie des Maras est montrée comme une succession de fusillades, d’enterrements ou autres descentes de police, que quelques moments de vie normale ne parviennent pas à compenser. Le film s’ouvre sur un enterrement, et on sent d’emblée que ça ne sera pas le dernier. La Vida Loca nous montre le quotidien de personnes qui essaient de s’en sortir malgré la violence extrême et permanente. On suit ainsi ces hommes et ces femmes dans leur quotidien, les enfants, les anniversaires… tout semble normal et brusquement, l’écran devient noir, on entend des coups de feu, et c’est un nouvel enterrement. L’effet est saisissant et on se met à redouter à chaque instant le coup de feu fatal. Les héros mêmes du film tombent régulièrement, que ce soit une jeune femme enceinte qui n’avait rien demandé, ou effectivement un jeune actif.

La Vida Loca n’est pas un film gai, c’est au contraire un documentaire très sec sur des meurtriers qui tuent sans raison et qui meurent avec une régularité à en donner la chair de poule. En voyant ce film, on se demande comment des hommes et des femmes peuvent vivre dans ces conditions. Et on sort de la salle avec le sentiment pénible qu’un homme pourtant manifestement pas hostile à ceux qu’il a filmés (après tout, il les rend humains) est mort pour les mêmes raisons stupides que ces derniers…