Sorti tout droit de l’imagination fertile de Guillermo del Toro, Le Labyrinthe de Pan est peut-être la représentation la plus moderne du conte fantastique traditionnelle. La plus adulte, aussi, car si le long-métrage est plein de fées et autres créatures merveilleuses, le film marque d’abord par sa noirceur totale, tandis que son bestiaire ne tend pas vers le mignon habituel, mais plutôt vers les monstres très réalistes et impressionnants. Le cinéaste ne signe vraiment pas un film pour enfants et son conte est très riche, par l’association créée avec la Seconde guerre mondiale. Dans ce maquis espagnol, les résistants s’en prennent à l’armée menée par un capitaine cruel et c’est cette terrible réalité que le personnage principal, un enfant naturellement, veut fuir. Le Labyrinthe de Pan est une franche réussite, à la fois pour ses créatures si réussies que pour son histoire originale, entre réalité historique et fantastique. Un excellent film, qui a très bien vieilli.
Le Labyrinthe de Pan commence alors que Ofelia arrive avec sa mère enceinte de son demi-frère, dans une grande maison isolée dans la forêt. Elles viennent de la ville pour rejoindre le Capitaine Vidal, un haut-gradé de l’armée espagnole qui a épousé Carmen après la mort de son premier mari. D’emblée, Guillermo del Toro nous fait bien sentir qu’Ofelia n’a pas envie de suivre sa mère loin de la ville où elles habitaient jusque-là. La jeune fille est plongée dans des livres et dans des histoires fantastiques qui lui permettent de s’échapper d’un quotidien difficile. On est alors en 1944 et la guerre touche à sa fin, mais les tensions sont encore quotidiennes entre l’armée de Franco et les résistants, souvent associés à l’URSS communiste. Le cinéaste ne choisit pas ce contexte historique comme un simple décor à l’arrière-plan, c’est au contraire un élément central dans son film. Le Labyrinthe de Pan n’est pas qu’un conte fantastique, c’est aussi un film historique bien documenté sur la fin de la Seconde guerre mondiale dans les forêts espagnoles et Guillermo del Toro ne nous épargne rien. Combats, sabotages de train, rationnement et torture : la réalité présentée par le film est loin d’être rose et symboliquement, la photographie opte alors exclusivement pour des tons froids, quand ils ne sont pas bleutés. Le scénario est assez dur, autant sur le fond que sur la forme, et on imagine bien ce que doit ressentir cette jeune fille qui n’a même pas dix ans et qui rêve en permanence de contes de fée. Quand l’occasion se présente et qu’elle découvre un univers sous-terrain plein de magie, elle n’hésite pas et y fonce la tête la première, ne serait-ce que pour échapper à son quotidien.
S’agit-il simplement d’un rêve éveillé, une défense pour échapper à la réalité, ou bien d’une réalité tangible et fantastique ? Le Labyrinthe de Pan ne répond judicieusement jamais à cette question, notamment parce que seule Ofelia voit les créatures merveilleuses qui composent cet univers, mais qui remontent aussi à la surface de temps en temps pour l’attirer. On pourrait croire qu’il ne s’agit que du délire de la jeune fille, mais Guillermo del Toro donne suffisamment d’indices pour nous faire douter. À commencer par ce labyrinthe, celui qui a donné son titre au film, qui est bien réel et qui permet effectivement à l’héroïne de s’échapper lorsque les murs s’ouvrent uniquement pour elle. Et puis s’il ne s’agissait que d’un rêve éveillé qui lui permet de se protéger du réel, pourquoi ce monde fantastique est-il aussi dangereux ? Car on n’est pas dans le conte gentillet ici, Le Labyrinthe de Pan propose au contraire une vision inquiétante, et parfois même effrayante. Le faune qui accueille Ofelia est déjà étrangement antipathique, on ne lui fait pas confiance et on comprend les réticences de la fillette. Mais ce n’est rien en comparaison de la mythique créature du festin, avec ses yeux positionnés dans ses mains : c’est une créature digne d’un film d’horreur et en la matière, elle est très réussie. On reconnaît bien là le goût du réalisateur pour les bestioles intrigantes, un goût qu’il avait déjà cultivé avec Hellboy et qu’il continue d’entretenir avec sa nouvelle série The Strain. On sent bien que ce long-métrage manque de moyens pour multiplier ces créatures — dans le script original, un dragon était aussi de la partie — et on pourrait regretter de ne pas en voir plus, mais il faut aussi reconnaître que celles que l’on a sont très convaincantes. Et puis Guillermo del Toro a trouvé ainsi un très bon équilibre entre les deux univers, multipliant les points de contact — les clés, le buffet… Le film montre bien que les deux univers sont interconnectés et l’ensemble est d’une logique parfaite.
Que ce soit sa technique infaillible, sa bande-originale réussie composée entièrement autour d’une seule mélodie, ses créatures impressionnantes ou encore sa vision de la guerre en Espagne, Le Labyrinthe de Pan séduit sur tous les points. Guillermo del Toro ne cherche pas le spectaculaire à tout prix, il va au contraire trouver de la poésie quelque part entre l’horreur de la guerre et les créatures d’horreur du monde fantastique. Le parcours d’Ofelia, son héroïne, est très beau à suivre et le film est même assez touchant quand il se termine. C’est une belle réussite donc, un long-métrage atypique qui ne se résume pas en un mot, mais qui reste en mémoire longtemps après l’avoir vu. Plusieurs années après sa sortie, Le Labyrinthe de Pan reste un grand moment de cinéma, à (re)découvrir !