Adaptation d’un roman partiellement autobiographique de Hunter S. Thompson, Las Vegas Parano raconte l’histoire d’une plongée cauchemardesque dans la drogue, mais c’est aussi un film qui paraît avoir été créé sous l’effet de la drogue. C’est le pari de Terry Gilliam et à cet égard, c’est réussi : son long-métrage est complètement barré, souvent incompréhensible, toujours très coloré et rapide. C’est un cocktail étrange et essayer de suivre précisément l’intrigue et ses personnages est rapidement vain, même si on peut suivre l’idée générale assez facilement. On comprend sans peine pourquoi Las Vegas Parano a été un échec à sa sortie et pourquoi il est devenu culte par la suite dans certaines cultures. C’est un long-métrage étrange, pas totalement réussi et un peu long, mais pas dénué d’intérêt non plus et porté par un Johnny Depp en pleine forme. Une expérience à faire, une fois dans sa vie.
Le long-métrage n’essaie pas de simplifier son approche et il plonge au contraire les spectateurs au cœur de l’action et de la drogue. La toute première scène se déroule à bord d’une décapotable rouge, quelque part dans le désert entre Los Angeles et Las Vegas. À son bord, le journaliste Raoul Duke et son avocat, maître Gonzo, tous deux déjà bien attaqués par une utilisation sans retenue des drogues. En théorie, ils vont dans la ville des casinos pour couvrir un évènement sportif, une course de motos dans le désert. En réalité, ils s’y rendent avec la ferme intention de tester toutes les drogues connues et ils ont d’ailleurs un large échantillon dans le coffre de leur voiture. Sans prévenir, Las Vegas Parano impose dès les premières minutes son rythme effréné et ses délires absurdes : au volant de la voiture, Raoul est manifestement déjà bien attaqué, il conduit n’importe comment et se met à voir des chauve-souris. Il laisse la main à son coéquipier qui n’est pas vraiment dans un meilleur état de lui, puis ils s’arrêtent pour prendre un auto-stoppeur (interprété par un Tobey Maguire méconnaissable) qui fuit dans les minutes qui suivent face aux accès de folie dont il est témoin. Le rythme est effréné, c’est bruyant, on ne comprend pas tout et Terry Gilliam manipule en permanence ses images pour donner l’impression que l’on est autant sous l’effet des psychotropes que les personnages principaux. La mise en scène du film est ainsi toujours marquée par des manipulations de l’image et chaque drogue est associée à un traitement différent. En fonction des cas, le réalisateur manipule les couleurs, déforme la géométrie ou bouge ses caméras d’une certaine manière. Dans tous les cas, le spectateur a aussi le sentiment d’être sous l’emprise de la drogue, et en plus de vivre plusieurs expériences différentes à la suite.
C’est indéniablement un point fort : Las Vegas Parano parvient à montrer les effets, non pas de la drogue en général, mais de plusieurs drogues différentes. Pendant près de deux heures, Terry Gilliam offre une expérience non-stop de manipulation d’images et le spectateur est plongé dans un univers jamais tout à fait normal. Il y a bien une scène ou deux où les personnages sont quasiment sobres et où la mise en scène est plus sobre, mais la majeure partie du film est totalement frappée. C’est enivrant et peut-être aussi un petit peu fatiguant : l’expérience n’est pas de tout repos et le film a un côté hystérique qui peut user prématurément, surtout si on le regarde sans consommer les mêmes drogues que les personnages. Ces derniers sont par ailleurs parfaitement interprétés, avec une mention spéciale pour Johnny Depp, que le romancier a rencontré pendant le casting et qu’il tenait à voir interpréter son rôle. De fait, l’acteur est excellent dans ce rôle assez dingue et il est toujours crédible, ce qui n’était pas gagné a priori. À ses côtés, Benicio Del Toro a un jeu volontairement insupportable et l’acteur est souvent méconnaissable. Le duo fait correctement le travail et le film tient largement sur leurs épaules, même s’ils ne parviennent pas vraiment à nous intéresser au-delà de la curiosité technique. C’est un peu le problème de Las Vegas Parano, c’est une exploration intéressante des effets des drogue, le témoignage d’une époque aussi et quelques séquences vraiment impressionnantes, parfois à la limite du supportable. Tout ceci est très bien, mais le film ne parvient jamais tout à fait à passionner ses spectateurs pour les deux personnages et on suit l’intrigue avec une curiosité polie davantage que par passion. Pour le dire autrement, Terry Gilliam signe une expérience intéressante intellectuellement, mais ce n’est pas une histoire que l’on a vraiment envie de revoir.
Le cinéaste est connu pour ses expérimentations parfois radicales et il le prouve largement avec Las Vegas Parano. La mise en scène sous influence des drogues est très convaincante, les deux acteurs principaux sont très bien et plusieurs séquences sont très réalistes et par moment presque insupportables. Tout ceci est très bien, mais Terry Gilliam ne dépasse pas vraiment le stade de l’expérience intéressante et bien réalisée. Las Vegas Parano mérite d’être vu au moins une fois, par curiosité, mais pas nécessairement plus.