Leave No Trace, Debra Granik

Sept ans après Winter’s Bone, drame indépendant passionnant à défaut d’être très réjouissant, Debra Granik revient derrière les caméras pour une nouvelle fiction qui, sur le papier, semble n’être qu’une redite. Dans ses deux longs-métrages, la réalisatrice met en scène une jeune adolescente au cœur de la nature et au sein d’une Amérique profonde, souvent au fond des grandes forêts nord-américaines. Pour autant, Leave No Trace n’a pas grand-chose à voir avec son prédécesseur. C’est un drame, certes, mais cette adaptation d’un roman de Peter Rock ne tombe pas dans la noirceur absolue. Son récit tout en subtilité est même lumineux par endroits, et c’est à nouveau une réussite, une œuvre simple et juste qui mérite d’être vue.

Leave No Trace pourrait être un film post-apocalyptique si l’on en juge à ses premières minutes. Dans le calme d’une grande forêt, un père et sa fille vivent dans la nature, avec trois rien. Une tente, une bâche pour se protéger de la pluie et récupérer de l’eau, quelques accessoires accumulés au fil des années… et pas une âme à l’horizon. Pour un peu, on pourrait croire que Debra Granik évoque un monde où l’humanité a quasiment disparu, un univers post-nucléaire, ou bien encore un film de zombies. Et puis du bruit se fait entendre, une tronçonneuse au lointain et on découvre que le duo vit en fait au cœur d’un parc national américain, non loin de Portland, Oregon. Petit à petit, on découvre leur situation, le père et son stress post-traumatique hérité de son service dans l’armée, la mère morte il y a des années de cela et leur choix de vivre dans la nature, avec le strict minimum. Contrairement à la situation catastrophique de Winter’s Bone, le duo est heureux dans cette forêt touffue où ils trouvent de quoi manger, tout en faisant des passages en ville de temps en temps pour compléter. Une situation qui semble idyllique, puisque les deux personnages sont manifestement heureux, mais qui ne dure pas. Elle est en effet très rapidement interrompue quand les autorités découvrent leur présence. Vivre dans un parc national est interdit et ils doivent décamper et changer de vie.

Cette vie dans la nature ne correspond à aucune situation connue dans notre société. Ce père et sa fille sont considérés comme des SDF aux yeux des autorités et ce n’est pas une situation imaginable, surtout pour une adolescente qui devrait avoir un toit sur sa tête et une école où aller tous les jours. Même si les tests qu’on leur fait faire montrent qu’elle n’a aucune lacune et qu’elle est même en avance par rapport aux enfants de son âge, même si le duo semble parfaitement heureux, la situation ne peut pas durer. Leave No Trace ne tombe pas dans la facilité avec une réponse extrême et une situation qui tomberait dans la caricature. Le père et sa fille sont bien traités et les institutions font tout ce qu’elles peuvent pour trouver une situation qui leur conviendrait. Ils sont ainsi envoyés à la campagne, dans une grande ferme tranquille où ils pourront loger, le père pour travailler sur place, la fille pour aller à l’école du coin. C’est bien, mais ce n’est pas une réponse satisfaisante après des années de liberté absolue et le duo repart vite. Le scénario avance quasiment comme dans un road-trip, avec une série de rencontres et de personnes qui aident à chaque fois les personnages. Il n’y a aucun méchant, tout le monde est accueillant et prêt à aider dans ce coin des États-Unis. Le ton est nettement plus apaisé et Debra Grazik fait évoluer le récit sans tomber dans la caricature. Est-ce que ses personnages pourront trouver une place qui leur convient ? Quelle formule pourrait aller à la fille autant qu’à son père ? Sans révéler la fin, disons simplement que la réponse n’est pas aussi simple qu’on pouvait l’imaginer. Leave No Trace est très bien écrit jusqu’au bout et il n’y a aucune fausse note.

Le long-métrage de Debra Grazik doit beaucoup au roman qu’il adapte, évidemment, mais la réalisatrice a également su gérer parfaitement le passage du papier au grand écran. Leave No Trace adopte quasiment le point de vue d’un documentaire, les caméras sont au plus près des personnages et au cœur de cette nature luxuriante, mais pas toujours accueillante. Et puis il faut saluer le travail des acteurs, Ben Foster dans le rôle du père et surtout Thomasin McKenzie dans celui de la fille. Cette dernière offre un jeu extrêmement naturel et bien posé et la réussite du film lui doit beaucoup. Leave No Trace reste une œuvre assez simple, mais d’une justesse remarquable qui justifie la séance.