Les chèvres du Pentagone, Grant Heslov

Les chèvres du Pentagone, ce fut d’abord une bande-annonce désopilante, pleine d’humour absurde si britannique et d’une brochette de stars assez impressionnante. Le premier film de Grant Heslov, pote de Clooney, est une belle réussite, à condition d’apprécier le n’importe quoi nourri au LSD.

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Bob Wilton est un journaliste raté. Il travaille pour un médiocre journal local et sa femme le quitte pour son rédacteur en chef. Pour leur prouver que c’est un homme, mais aussi pour donner un peu de sens à sa médiocre vie, il part pour l’Irak où la guerre fait rage. Alors qu’il attend en vain une accréditation pour entrer sur le sol irakien, il rencontre Lyn Cassady qui se présente comme un super soldat doté de super pouvoirs paranormaux. Les deux partent alors en Irak et vont vivre quelques jours de folie pendant lesquels Lyn raconte son histoire et celle du groupe de militaires qui, autour de Bill Django, ont essayé de passer à travers les murs ou encore de tuer un animal — la fameuse chèvre du titre — à distance, d’un simple regard.

On l’aura compris, Les Chèvres du Pentagone délire totalement et son scénario semble avoir été écrit sous acides. Le personnage de Lyn est l’un des principal moteur humoristique du film et cet ancien soldat persuadé d’avoir des pouvoirs de médiums est pour le moins haut en couleurs. Le décalage entre ce qu’il prétend être, un super soldat doté de super pouvoirs, et ce qu’il est vraiment, un naïf inconscient et maladroit, fonctionne parfaitement. La fin, dopée au LSD, est à mourir de rire et on est littéralement emporté par l’enthousiasme des personnages. De même, tous les flashbacks qui racontent le détour new age de Bill, puis l’adaptation de ce mode de vie à l’intérieur de l’armée américaine, en pleine guerre froide, sont également géniaux. Il faut le voir distribuer à des militaires aussi estomaqués que nous des fleurs pour promouvoir la paix et les activités paranormales, ou voir ces mêmes soldats adresser une prière à la terre et au soleil. Les supérieurs hiérarchiques acceptent l’expérience pour ne pas laisser la voie libre aux Russes, qui se sont lancés dans le paranormal pensant que les Américains s’étaient lancés dans le paranormal.

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Mais Les chèvres du Pentagone n’est pas qu’une comédie potache sur la guerre. C’est aussi un film qui en dit long sur notre société et sur la guerre en Irak. La philosophie de départ de ces soldats est l’héritière directe de la pensée qui émerge à la fin des années 1960 et se développe dans la décennie suivante : après le traumatisme de la guerre du Vietnam, une partie de la population américaine refuse la guerre et expérimente la vie en communion avec la nature et en communauté. L’armée, contre-modèle ultime de ces idées, intègre pourtant ces dernières et offre une sorte d’utopie réalisée, comme si effectivement l’armée pouvait apporter la paix et le bonheur sur terre. Mais la réalité reprend vite ses droits et le groupe disparaît notamment à cause de la drogue, nécessaire pour en accepter les idées un peu, disons, atypiques. À la fin du film, on découvre que les idées principales de ce groupe sont en fait toujours utilisées par l’armée, mais cette fois dans le cadre d’une sous-traitance à une entreprise privée. Voilà qui est significatif de l’air du temps.

Le film est aussi, de manière totalement inattendue, assez juste sur la guerre en Irak. Il montre le trafic des otages qui concerne aussi les Irakiens eux-mêmes, les destructions de la guerre, mais aussi les désastres de l’utilisation de milices privées. À un moment du film, on assiste ainsi à la fusillade entre deux milices opposées pour la conquête du marché irakien, fusillade qui fait 12 blessés, dont des Irakiens qui se trouvaient là par hasard. Le film prend position à plusieurs reprises, mais toujours de manière très discrète et intelligente. Il s’oppose aussi clairement à la torture moderne basée sur l’écoute continue de musique et les flashs lumineux1.

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Les chèvres du Pentagone n’est néanmoins pas un film sérieux sur la guerre, qu’on se le dise. Non, cela reste une comédie très efficace, à condition d’être sensible à l’humour anglais, au nonsense si typique. Un des grands ressorts comiques du film est de jouer sur l’effet de surprise : un officier de l’armée américaine qui se met à courir vers un mur, une bombe qui explose brusquement sous une voiture, un accident improbable en plein milieu du désert… tout est bon pour surprendre et faire rire. Tout le film semble dirigé par un fil conducteur imprévisible, naviguant en roue libre avec ses acteurs selon une logique qui lui est propre et qu’il serait inutile de chercher à comprendre. À l’image de la fin, pied de nez au politiquement correct qui dit, pour faire simple, que si l’on prenait un peu plus de LSD, on se ferait beaucoup moins la guerre. Cela peut paraître simpliste — ça l’est —, mais c’est surtout très amusant.

Avouons-le, le film tient surtout grâce à ses acteurs, bien plus que grâce à Grant Heslov qui n’apparaît pas ici comme un grand réalisateur. Mais que ce soit George Clooney, identifiable entre mille par la voix et excellent en ancien soldat dans son monde, ou Ewan McGregor ici excellent en reporter à qui rien ne réussit, tous les acteurs sont bons, même la chèvre. On sent de leur part un grand plaisir à jouer ensemble, ce qui est à double tranchant : j’ai trouvé ce plaisir assez partagé dans l’ensemble, même si le film, bien que court, laisse entrevoir quelques longueurs ici ou là.

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Les chèvres du Pentagone, ou d’Irak, m’ont beaucoup amusé. Il est vrai que je suis particulièrement friand d’absurde à l’anglaise et j’ai été comblé avec ce film de Grant Heslov. Le scénario comme la réalisation ne sont pas forcément très soignés, mais il faut passer outre et se laisser porter par cette histoire loufoque2. C’est alors un grand bonheur…

Bonheur qui n’est pas partagé sur Internet, c’est le moins que l’on puisse dire. Les avis sont au mieux partagés, comme chez Rob ou chez Critikat qui n’a vu qu’un « film paresseux et repu » sans l’audace jugée nécessaire. Tous deux regrettent que le film ne soit pas un M.A.S.H. moderne, et effectivement il est beaucoup plus sage. Avis plus positif chez Filmosphère.


  1. A Road To Guantanamo avait très bien montré cette torture psychologique moins visible, mais tout aussi (voire plus) efficace et destructrice que la torture à l’ancienne. 
  2. Au vu des réactions de la salle, je crois que ça n’est pas le cas de la majorité des spectateurs. D’ailleurs, le film marche mal, malgré la présence sur l’affiche de grandes stars.