The Lobster, Yórgos Lánthimos

« Une histoire d’amour » annonce son affiche, mais c’est une vision bien réductrice de The Lobster. Certes, le long-métrage du Grec Yorgos Lanthimos contient une histoire d’amour, mais l’y réduire serait vraiment injuste, tant cette œuvre étrange est plus complète… et complexe aussi. Non pas que le Prix du Jury 2015 soit vraiment compliqué à comprendre, mais il appartient à cette catégorie d’œuvres qui reposent sur un univers si particulier qu’il faut un effort pour entrer dans l’histoire et la suivre normalement. The Lobster mérite pourtant de faire cet effort, car la récompense est à la hauteur, surtout si on apprécie l’humour noir et absurde à l’anglaise. Pour mieux en profiter, mieux vaut aussi en connaître le moins possible et découvrir le travail de Yorgos Lanthimos sans préjugé.

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Si vous aimez être déboussolé, vous serez servi. The Lobster commence sans aucune explication et plonge les spectateurs dans un contexte totalement étrange qu’ils ne peuvent pas comprendre. La toute première scène, déjà, est complètement mystérieuse et le restera jusqu’au bout : on voit une femme seule dans une voiture, sous la pluie ; elle sort, se dirige vers un groupe de trois ânes, sort une arme, tire sur l’un des animaux et repart sans dire un mot. Yorgos Lanthimos ne cherche pas à passer un message, il est inutile de chercher à comprendre cette séquence inaugurale, même si on finit par comprendre ce qui se passe probablement : son rôle est d’abord et avant tout de nous habituer à l’absurde qui sera la marque de fabrique de l’œuvre. Pendant près de deux heures, il faut oublier tout ce que l’on croit savoir et se laisser porter par une histoire des plus étranges. Même quand David, le personnage principal, entre en scène alors qu’il est accueilli dans une clinique, on ne sait rien et on ne comprend rien. Toute la première partie de The Lobster est parfaite précisément pour cette raison : le scénario ne dévoile ses informations qu’au compte-goutte et on est totalement dans le noir et perdu la majorité du temps. Un problème ? Absolument pas, au contraire : on ne comprend rien à cette situation totalement absurde où des adultes consentants acceptent de souffrir et faire souffrir, avant probablement de finir transformé en animal, sauf bien sur s’ils trouvent l’âme sœur avant un temps imparti. Le nombre de scènes loufoques donne le vertige et il n’y a rien à jeter de cette première partie en huis clos dans l’hôtel, de l’entretien d’arrivée où le héros doit déterminer sa sexualité au choix de l’animal, en passant par les cours gênants sur l’avantage de vivre à deux, ou encore par ces séquences de chasse qui surviennent à n’importe quel moment. The Lobster joue alors la carte de l’absurde au maximum et si vous aimez le nonsense si britannique, vous serez aux anges.

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Ce flou complet n’est pas permanent toutefois et le film de Yorgos Lanthimos finit par sortir de sa clinique. On en apprend alors plus sur son univers et on découvre que l’on a en fait affaire à de la science-fiction dystopique assez classique, où la société a décidé que tout le monde devait vivre en couple. Les contrevenants en sont réduits à vivre comme des animaux dans la forêt, loin de la civilisation. Ou alors, ils sont envoyés dans des établissements comme celui où est David au début et, soit ils trouvent quelqu’un, soit ils sont vraiment transformés en animal. The Lobster perd alors un petit peu de cette intense absurdité des débuts et devient plus conventionnel… même si le long-métrage reste totalement barré au regard de toutes les moyennes actuelles. Ne soyons pas injustement difficile : tout le film est absurde et la situation générale, d’une cruauté infinie, n’a jamais vraiment de sens. À cet égard, le film de Yorgos Lanthimos conserve toute sa singularité et ne cherche pas à offrir un sens à tout ce qu’il montre, comme en témoigne la séquence finale, coupée abruptement sans raison. Et même si le film aurait été plus fort en restant sur le huis clos initial, il aurait été aussi plus gratuit. Alors qu’en l’état, il agit comme une critique féroce de notre société, prête à tout pour que l’on ne vive pas seul. En un sens, The Lobster pousse le concept du speed-dating et des sites de rencontre à l’extrême : que se passerait-il si la société interdisait le célibat ? Pas seulement la société, mais le pouvoir politique qui interdirait à une personne de se déplacer seule, sous peine d’être arrêtée. C’est absurde, évidemment, mais c’est aussi une manière de pointer du doigt les pressions sociales qui nous poussent à trouver quelqu’un à tout prix. Même si, in fine, il ne faut probablement pas trop lire entre les lignes : le cinéaste est trop amateur de l’absurde pur et simple pour ajouter un sous-texte à tout ce qu’il fait et son film est sans doute largement gratuit.

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Très surprenant, The Lobster est un film qui pourra rebuter tous ceux qui cherchent à tout comprendre et à rationaliser toute situation. Il faut se laisser porter, accepter d’être complètement perdu pendant toute la première partie et de n’avoir plus tard que des explications partielles. Tout peut arriver chez Yorgos Lanthimos et tout arrive parfois : certaines idées sont poussées à leur paroxysme, à tel point que l’on peut être déstabilisé, voire carrément gêné par des situations. C’est normal et c’est même le signe que le film est réussi et que ses interprètes sont à la hauteur, à commencer par Colin Farrell qui est excellent dans le rôle principal. L’acteur dévoile un jeu très subtil que l’on ne soupçonnait pas et la réussite de The Lobster lui doit beaucoup. Une œuvre étrange et rafraîchissante, à découvrir !