Le voyage temporel… un sujet majeur de la science-fiction qui semble à la mode cette année. Après Men In Black 3, ce sujet qui amène avec lui son lot d’incohérences et de logique mise à mal est de retour dans un nouveau film. Looper attaque de front ce sujet et annonce la couleur dès l’affiche et son slogan : « Affrontez votre futur ». Rian Johnson imagine un futur proche et dystopique où le voyage dans le temps sert à la mafia pour éliminer tous ceux qui la gênent sans laisser de trace. De quoi élaborer un scénario complexe et passionnant à la fois, porté par une mise en scène originale, pleine de références et de genres différents. Un film réjouissant pour tous les amateurs de paradoxes temporels…
Dans un futur proche qu’une trentaine d’années seulement séparent de notre présent, Joe est un « looper ». Embauché par la mafia, il fait office de tueur à gages d’un genre un peu particulier. Ses victimes apparaissent à heure fixe, dans un lieu donné, et il n’a plus qu’à appuyer sur la gâchette pour faire le job. Il faut dire qu’elles viennent du futur, envoyées par une machine qui permet de remonter le temps de 30 ans. Les voyages dans le temps ont été interdits aussi vite qu’ils ont été inventés, quelques années après les années 2040 dans lesquelles se déroule notre histoire. Cette interdiction n’a pas empêché la mafia qui règne en maître dans les années 2070 de l’utiliser pour se débarrasser des corps de ses ennemis. La victime est placée vivante dans la machine à remonter le temps, elle apparait devant un looper qui l’a tue et s’en débarrasse sans peine. Tout va pour le mieux pour Joe, jusqu’au jour où sa victime n’est autre que… lui-même, trente ans après. Désemparé, il ne tue pas son futur, ce qui déséquilibre la logique temporelle. Un même être ne peut pas rester à deux stades de sa vie en un même lieu et la mafia va tout faire pour tuer ces deux versions de Joe…
Looper établit un univers de science-fiction très proche du nôtre, mais en même temps totalement différent. À une trentaine d’années de notre présent, il nous est très familier, mais les choses ont mal tourné. Rian Johnson n’a besoin que d’une poignée de plans et quelques détails pour établir sa dystopie : les voitures par exemple sont identiques aux nôtres, mais elles ont été modifiées de manière artisanale pour ne plus utiliser de l’essence. Rien n’a changé en apparence, mais on comprend qu’un évènement terrible a bouleversé l’équilibre du monde. L’État semble avoir totalement disparu, c’est la mafia qui contrôle tout désormais avec ses hommes armés de gros pistolets qui font la loi. Les looper sont sous les ordres de la mafia et ils vivent bien, bien mieux que la majorité de la population : Joe a sa propre voiture, elle semble même assez neuve et il économise pour se payer un nouveau départ, en France. C’est ainsi un système de castes qui est mis en place, de manière assez classique, dans une ambiance qui rappelle assez celle de L’Armée des 12 Singes, parmi d’autres. Looper introduit la notion de voyage dans le temps et donc un second futur. Si l’action se déroule intégralement vers 2040, le scénario fait souvent référence aux années 2070 : la mafia d’alors a pris encore plus de contrôle sur la société et elle utilise le voyage temporel pour se débarrasser de ses victimes. Entre les deux époques, la communication est minimale : on ne peut que remonter en arrière de trente ans, pas voyager d’un point à l’autre. La mafia envoie un corps, il disparaît de leur présent (2070) pour être expédié trente ans en arrière (2040) et Joe tue l’individu. Tout semble simple, mais Rian Johnson prend un malin plaisir à complexifier considérablement son histoire.
Premier paradoxe temporel relevé dans Looper, Joe doit affronter et même tuer son propre futur. Rian Johsnon parvient à intégrer ce paradoxe à la logique de son film et à le rendre in fine parfaitement logique. Une bonne idée est de connecter présent et futur en liant de manière physique les deux êtres : si le Joe de 2040 perd un bras, le Joe de 2070 en perd lui aussi un ; si le premier meurt, le second disparaît. Tout semble ainsi fait pour ne pas perdre les spectateurs dans les traditionnelles boucles temporelles et autres univers parallèles et le scénario de Rian Johnson est à cet égard assez simple… du moins jusqu’au final qui donne un bon coup de pied dans la fourmilière et remet en cause toutes nos certitudes. Sans compter que Looper ajoute un autre niveau encore avec l’histoire du maître de pluie du futur que le Joe des années 2070 entend éliminer dans les années 2040. C’est un tout autre faisceau qui commence alors, bien éloigné, en apparence du moins, de l’histoire des deux Joe. Cela faisait longtemps que l’on n’avait pas vu scénario aussi complexe à Hollywood, ce qui est plutôt réjouissant. Celui de ce film est parfaitement manié, entre le confort de la linéarité du temps et les incohérences du voyage temporel. Rien Johnson aurait pu aller plus loin encore, mais Looper semble au total bien dosé, suffisamment manipulateur et fourbe pour troubler le spectateur, mais pas suffisamment pour le perdre. On retrouve ici par certains aspects le cinéma de Christopher Nolan : difficile d’en dire plus sans détailler des points clés de l’intrigue, mais les amateurs devraient être servis.
Si Looper est complexe par son scénario, il l’est aussi sur le plan formel. Dans le même esprit qu’un Quentin Tarantino, Rian Johnson joue en permanence avec les genres pour construire son propre genre, une sorte d’hybrides entre tous. Ce nouveau long-métrage hésite en permanence entre science-fiction traditionnelle, action pure, le fantastique ou encore le film de gangsters, voire film noir par moments. On découvre vite qu’il faut s’attendre à tout dans Looper et le cinéaste prend effectivement toutes les libertés, utilisant notamment son montage comme un outil de mise scène très fort. Les ellipses sont nombreuses, tandis que Rian Johnson multiplie les effets cinématographiques pour obtenir une réalisation outrancière très efficace. Les effets spéciaux restent en revanche assez rares, ce qui n’est pas plus mal pour le réalisme de l’univers. Tout est parfaitement crédible dans Looper, à l’image des voitures modifiées pour l’après-pétrole que l’on avait déjà évoqué, ou même des appareils électroniques sans écran qui ne semblent pas du tout farfelus. Un travail tout particulier a été porté sur la bande sonore et le film fait plus appel à ce sens que la moyenne, des coups de feu puissants aux petits détails sonores. L’ensemble est presque enivrant et on se laisse porter par le film qui passe d’ailleurs très rapidement. Le cinéaste peut aussi compter sur son duo d’acteurs principaux : Bruce Willis est juste et parfait, mais c’est surtout Joseph Gordon-Levitt qui impressionne dans ce rôle de jeune Joe. Il est censé être Bruce Willis avec trente ans de moins et si la ressemblance physique n’y est pas, son jeu est suffisamment proche de celui de la star pour que ce soit crédible. La réussite de Looper doit incontestablement beaucoup à ce duo improbable, mais qui fonctionne vraiment bien.
Belle surprise que ce Looper : la science-fiction est un genre assez malmené dans les salles, mais Rian Johnson s’en sort extrêmement bien avec ce film qui joue sur les paradoxes temporels, mais qui ne se résume pas à un puzzle pour l’esprit. Comme toute dystopie, il pose des questions plus générales sur cette société gérée exclusivement par la mafia, sans en oublier son histoire de base. Long-métrage original et complexe, mais pas inutilement complexe, Looper est un film réjouissant à une époque où tous les blockbusters finissent par se ressembler. À découvrir…