The Lost City of Z, James Gray

Le destin de Percy Fawcett est fascinant : ce militaire britannique devient presque par accident un explorateur de la jungle amazonienne au début du XXe siècle. Contre l’avis de tous ses pairs, il est persuadé de l’existence d’une cité perdue plus ancienne que les villes européennes au cœur de la forêt. Il a consacré sa vie à essayer de la trouver, mais il disparaît mystérieusement autour de 1925 et son corps n’a jamais été trouvé, ouvrant la voie à de multiples théories souvent totalement folles. Dès la sortie d’un roman qui lui est consacré en 2009, James Gray achète les droits sur cette histoire étonnante, un classique de l’exploration de la grande époque. Le projet a nécessité plusieurs années à être monté, notamment parce que l’histoire n’est pas évidente à raconter. Au fond, The Lost City of Z est le récit d’une série d’échecs à une époque où des pans entiers de la mappemonde restaient entièrement vierges. C’est une aventure au cœur d’un environnement hostile, mais le long-métrage de James Gray n’a pas grand-chose à voir avec un Indiana Jones. Le cinéaste propose au contraire une lente plongée dans l’enfer pour ces Britanniques qui pensaient tout savoir et le résultat est une fresque de près de 2h30, certes, mais une fresque intime inclassable. Une œuvre étonnante, à voir sur grand écran.

Loin des dangers de la jungle bolivienne, The Lost City of Z commence au Royaume-Uni, où le major Percy Fawcett est un militaire malheureux. Stationné en Irlande, il ne peut pas progresser à cause de la réputation laissée par son père, joueur alcoolique. Pour redorer son blason, il est prêt à accepter n’importe quelle mission susceptible de lui apporter une médaille et la gloire. C’est pourquoi ce jeune père de famille ne refuse pas la mission proposée par la Royal Geographical Society : partir en Amérique du Sud pour tenter de définir la frontière entre Bolivie et Brésil, deux États en guerre pour les formidables ressources qui se trouvent dans la forêt amazonienne. C’est une mission très dangereuse et elle prendra plusieurs années, mais le militaire l’accepte et il lance alors ce qui va occuper tout le reste de sa vie. James Gray prend son temps pour poser ces bases, il montre longuement le quotidien frustré de son personnage en Grande-Bretagne, puis cette première expédition. La civilisation disparaît très vite alors qu’il s’enfonce dans le cœur du pays en suivant le Rio Verde en quête de sa source. On est en 1906 et les moyens sont très limités : ils n’ont qu’un radeau de fortune pour remonter le fleuve et ils ne sont pas du tout préparés à ce qui les attend. Entre les attaques d’Indiens et les piranhas qui pullulent dans l’eau. C’est un monde étrange et violent que ces Britanniques doivent affronter et The Lost City of Z montre très bien à quel point ils ne sont pas équipés. Dès cette première expédition, ils perdent toutes leurs vivres et sont persuadés qu’ils vont mourir de faim : ils sont incapables de considérer la richesse incroyable qui les entoure. Même lorsqu’ils croisent une tribu indienne et qu’ils voient comment ils se nourrissent, ils n’essaient pas de les suivre, ils s’entêtent avec leurs vivres importées d’Europe. James Gray confronte constamment les préjugés de ces hommes persuadés qu’ils sont dans un désert vert sans vie ni civilisation avec la réalité du terrain, riche et complexe. L’aveuglement de ces explorateurs est certainement l’un des aspects les plus fascinants du long-métrage.

En suivant le fleuve au cœur du pays, Percy Fawcett suit le chemin par excellence de l’explorateur européen et The Lost City of Z suit également le même schéma qu’un Apocalypse Now… du moins en apparence. Il y a un petit côté plongée dans la folie ici aussi, mais c’est davantage une fausse piste. James Gray ne se contente pas de suivre un genre défini avec son sixième film, il réalise une œuvre inclassable qui hésite constamment entre plusieurs genres. Déjà, le scénario n’est pas aussi simple qu’on pouvait l’imaginer, car l’explorateur multiplie les allers et retours entre l’Amazonie et l’Angleterre. La Première Guerre mondiale vient même mettre en pause ses désirs d’exploration pendant quelques années et il découvre alors l’enfer des tranchées, bien pire sans doute que celui de la jungle — ce dessin de l’Amazonie apparaît alors comme un morceau de paradis. Plus que la cité perdue que son personnage essaie constamment de trouver, essuyant échecs et moqueries de la part de toute la communauté scientifique, le sujet qui intéresse avant tout le cinéaste est bien plus terre à terre, plus classique en apparence. The Lost City of Z raconte l’histoire d’un homme qui abandonne sa famille et qui cherche toujours à s’en éloigner et à repartir. Alors même que sa famille s’enrichit à chacun de ses retours, il ne sent plus vraiment chez lui en Europe et il veut repartir le plus rapidement possible. Quand il est dans la jungle, sa femme et ses enfants l’obsèdent et il essaie tant bien que mal d’exorciser leur présence en brûlant leurs lettres. C’est un homme qui se cherche que nous montre James Gray, davantage qu’un homme qui cherche quelque chose. D’ailleurs, on ne voit jamais la fameuse cité et la fin reste ouverte pour préserver le mystère qui entoure la disparition de l’explorateur. C’est aussi le signe que cet objectif importe moins que le chemin qui y mène. L’idée pas vraiment originale, certes, mais le réalisateur la présente avec beaucoup de justesse et d’intensité.

L’histoire de base était fascinante, les interprètes sont excellents (Charlie Hunnam est parfait dans le rôle principal) et The Lost City of Z peut aussi compter sur sa réalisation lente et soignée pour imposer un rythme et une ambiance. James Gray s’éloigne pour la première fois de New York, mais il filme la jungle avec une image souvent sublime, presque toujours dans l’obscurité. L’ensemble est une œuvre étrange qui ne se laisse pas facilement réduire à un seul genre. C’est aussi film assez long et lent, qui se savoure de préférence dans l’obscurité d’une salle et sur un grand écran pour mieux apprécier sa photographie. Avec The Lost City of Z, James Gray sort encore plus de sa zone de confort et c’est une vraie réussite.