Lost, Jeffrey Liebern, J.J. Abrams et Damon Lindelof (ABC)

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Immense succès lors de sa diffusion initiale, du pilote à l’épilogue, Lost est devenue instantanément une série culte. Plus que par ses personnages, ou même son intrigue de base finalement, l’œuvre de Jeffrey Lieben, J.J. Abrams et Damon Lindelof reste dans les mémoires et dans les annales pour sa mythologie. C’est J.J. Abrams, associé au projet sur le tard, qui insuffle un vent de fantastique sur une base d’histoire d’accident sur une île déserte qui était la piste de base pour la chaîne ABC. Le point de départ est ainsi assez classique, même si le pilote le plus coûteux de l’histoire de la télévision à l’époque est déjà très impressionnant, avec un crash d’avion d’un réalisme étonnant. Néanmoins, Lost construit à partir de cet appareil échoué sur une plage tropicale, et à partir d’une poignée de survivants miraculés, une intrigue à mi-chemin entre la science-fiction et le paranormal qui frappe par sa complexité et sa cohérence. À l’heure des bilans, c’est bien cette trame de fond autour de la mystérieuse île qui fait de cette série un classique, malgré quelques défauts sur le parcours. Cent-vingt épisodes haletants, à découvrir en connaissant le moins possible sur Lost pour mieux les apprécier…

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Lost commence par un accident d’avion et surtout par ce qui s’apparente à un miracle : alors que le vol Oceanic 815 entre Sydney et Los Angeles circule au-dessus du Pacifique, une explosion casse l’appareil en trois parties et provoque sa chute. En théorie, personne ne survit à un tel évènement, mais on retrouve une quarantaine de passagers sur une plage, au milieu des débris. Comment est-ce possible ? Ce n’est pas encore l’enjeu, puisque le pilote et les premiers épisodes se concentrent sur les survivants et leur organisation pour survivre en attendant les secours. On s’en doute bien, il ne faut pas s’attendre à un départ rapide de l’île, au cœur de l’intrigue d’un bout à l’autre de la série. En revanche, les trois créateurs introduisent très vite un élément encore vague, mais qui deviendra vite fondamental : le fantastique. En effet, dès le tout premier épisode, les miraculés entendent des bruits mystérieux depuis la jungle qui borde la plage où ils ont atterrit et un petit peu plus tard, on voit le pilote de l’avion attrapé par une sorte de bestiole. On n’en sait pas plus, mais déjà Lost parvient à happer l’attention avec une force remarquable. On comprend instantanément qu’il y a beaucoup plus à découvrir et que l’intrigue ne va pas se résumer à un crash d’avion. Tout au long de la première saison, les scénaristes ajoutent des éléments qui enrichissent nos attentes, comme ce message qui tourne en boucle depuis 16 ans et qui évoque un récit d’apocalypse, la présence d’autres personnes sur place, ou encore la découverte de plusieurs éléments sur l’île : un navire du XIXe siècle sur les terres, un bunker, etc. Cette saison initiale reste toutefois centrée sur ces rescapés et leur sauvetage potentiel et elle se termine d’ailleurs par le départ d’un radeau, avec l’espoir de trouver de l’aide. Mais ce n’est que le début et Lost construit à partir de là une intrigue d’une richesse folle.

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Tenter de résumer toutes les ramifications de l’univers imaginé par J.J. Abrams et ses acolytes serait un petit peu vain. Quand on termine Lost, on a emmagasiné une somme d’informations qui donne le vertige, car on finit par découvrir tous les secrets de l’île, tout en voyageant dans le temps entre plusieurs époques, sans parler de cette fin qui tend au métaphysique. La grande force des scénaristes est d’avoir dilué toute cette information en donnant quelques éléments seulement dans chaque épisode. Au début de la deuxième saison, par exemple, on découvre la DHARMA initiative, une expédition scientifique qui a étudié l’île dans les années 1970 et qui a laissé de nombreuses constructions, désormais à l’abandon. Ces décors à la fois nostalgiques — on retrouve bien l’amour du cinéaste pour cette époque, avec ses ordinateurs antiques et sa musique — et abandonnés sont excellents en guise de moteurs du suspense, avec une aura de mystère toujours parfaitement entretenue. Il faut saluer le soin de ses créateurs et reconnaître que cette série est extrêmement bien écrite et surtout pensée à la perfection. Tout est parfaitement à sa place dans la station où il faut presser un bouton toutes les 108 minutes, mais aussi dans toutes les autres installations qui seront découvertes. Les vidéos du docteur Chang sont elles aussi très mystérieuses, d’autant que l’on n’a souvent que des extraits et les spectateurs sont, autant que les personnages, dans le flou le plus total. Et encore, ce n’est que le début : Lost réserve encore bien des surprises, avec la lutte entre Benjamin Linus et Charles Widmore pour conquérir l’île, la fin de DHARMA, mais aussi ses débuts, à l’occasion de flashbacks et de voyages dans le temps. Plus tard, on apprendra aussi l’origine du mystérieux Jacob qui dirige « les Autres » et progressivement, le mythe se met en place. Une encyclopédie n’est certainement pas de trop pour cette série et même une fois que l’on a terminé, on peut encore se plonger et découvrir des dizaines, voire des centaines, de détails qui n’étaient pas évidents la première fois.

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Toute cette masse reste toujours parfaitement digeste grâce à un équilibre minutieux des révélations tout au long des six saisons. Lost fonctionne énormément sur la base de la dissimulation et du mensonge, à la fois entre les personnages qui n’arrêtent pas de mentir ou d’oublier d’évoquer une découverte majeure aux autres, mais aussi à l’intérieur même du scénario. On découvre dès les premiers épisodes de la première saison la fumée noire, le fameux monstre qui terrifie les personnages, mais on ne comprend pas vraiment son identité avant les derniers épisodes de la dernière saison. De nombreux éléments essentiels et toutes les explications sur les mystères de l’îles sont ainsi repoussés constamment, une bonne idée pour éviter de perdre les spectateurs… mais c’est aussi la limite de la série. Outre l’histoire des survivants sur l’île, on suit aussi leur histoire avant de monter dans l’avion du vol Océanic 815. C’est une autre caractéristique fondamentale de Lost, un autre moteur majeur : les flashbacks, ou bien les flash-forwards et même, terme inventé pour la série, des flash-sideways sur la fin. Dans les premières saisons, on découvre très progressivement le passé de chaque survivant et surtout on voit qu’ils étaient tous liés les uns aux autres, et qu’ils ne sont pas là par hasard. Par la suite, on découvre le futur de six personnages, seuls sauvés suite à un concours de circonstance assez fou1. Dans la dernière saison, les séquences à côté ne sont ni du passé, ni du futur, mais ce qui ressemble à un univers parallèle, avant que l’on comprenne dans l’ultime épisode ce qu’il en est2. Pour organiser cette masse d’informations, les scénaristes ont associé chaque épisode à un personnage et on se concentre sur son histoire. Malheureusement, c’est un petit peu trop systématique et quand le personnage n’est pas très intéressant — et c’est le cas de la majorité des survivants, au fond —, on s’ennuie ferme face à ce qui s’apparente à un épisode de remplissage. Fort heureusement, ce sentiment reste assez rare et Lost a suffisamment de matière pour remplir 120 épisodes… et probablement plus encore. Néanmoins, il faut reconnaître que la série s’étire parfois un petit peu en longueur, alors que ce n’était pas nécessaire. Et puis, proposer 108 épisodes seulement aurait eu plus de sens !

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Au rang des défauts, on pourrait aussi pointer du doigt une morale parfois un petit peu lourde, entre bien et mal, mais on chipote. En sortant de Lost, on reste soufflé par l’originalité de cet univers, mais aussi par sa maîtrise qui fait que l’on ne se sent jamais perdu. On voit bien que J.J. Abrams, Damon Lindelof et Jeffrey Liebern savaient où ils voulaient aller dès le départ et qu’ils ont déployé une histoire cohérente de bout en bout. Le résultat est comme un puzzle que l’on reconstitue lentement, mais sûrement, et le plaisir du spectateur est aussi d’essayer de deviner l’image d’ensemble parmi toutes les possibilités que l’on peut imaginer. Ce travail intellectuel réjouissant prend quelque peu le pas sur le reste et à cet égard, Lost n’est pas vraiment une série de personnages. On retiendra bien quelques noms, comme celui de John Locke, de Sawyer ou de Hugo côté survivants, ou bien celui de Benjamin Linus en face, mais la série ne brille pas tant par ses personnages que par son intrigue. Et ce n’est pas un défaut, tant la mythologie déployée est passionnante et fascinante. À l’heure du bilan, on peut bien critiquer tel ou tel point, mais le constat demeure : Lost est incontestablement l’une des meilleures séries télévisées à ce jour, probablement la meilleure dans le genre puzzle fantastique. Un classique !

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  1. Au passage, il faut noter l’excellent cliff-hanger de la saison 3, qui passe sans prévenir du passé au futur dans ses séquences parallèles. On croit voir le passé de Jack, alors que c’est son futur, une fois de retour au monde réel. Une des meilleures idées du scénario ! 
  2. Une vue du purgatoire ou du paradis, où tous les personnages se retrouvent après leur mort et tentent de faire le bien en partant du principe que l’accident initial n’a pas eu lieu. On pense pendant toute la saison que c’est une réalité parallèle (et bien ennuyeuse), mais on comprend dans le final ce qu’il en est… bien vu.