Luther, Neil Cross (BBC)

La BBC s’est faite connaître dans le monde des séries avec Sherlock, une relecture modernisée des enquêtes imaginée par Sir Arthur Conan Doyle, une réussite totale portée par un Benedict Cumberbatch en grande forme. La même année, en 2010 donc, la chaîne britannique lançait une autre série policière sur les épaules d’un autre acteur. Avec Luther, Neil Cross essaie de revisiter le genre souvent vieillot de la série policière en créant un inspecteur aussi génial qu’instable, un homme capable de comprendre tous les serial-killers, quitte à les imiter un petit peu trop parfois. Produit par Idris Elba, interprété par Idris Elba, le projet est ambitieux et il ne manque pas d’arguments, il faut le reconnaître. Mais malgré tout, Luther ne fonctionne jamais vraiment et reste beaucoup trop anecdotique. La faute, sans doute, à des épisodes trop répétitifs, mais aussi à des personnages qui peinent à exister pleinement. Déception.

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Toute la promesse de Luther repose sur son personnage principal, l’inspecteur-chef John Luther. Ce spécialiste des crimes en série a la réputation de déchiffrer la psychologie de n’importe quel meurtrier et d’obtenir d’excellents résultats pour dénicher et accuser les coupables. Pourtant, Neil Cross commence la série avec, dès le premier épisode, une faiblesse du policier qui, face à un tueur d’enfants accroché au vide, ne fait pas vraiment son travail. Pour obtenir une réponse, il préfère laisser le malheureux suspendu et même quand il obtient ce qu’il veut, il le laisse jusqu’au moment où il tombe. Cette séquence est présentée comme un flashback, on comprend en effet que la série débute quelques semaines plus tard, quand John Luther reprend son travail. D’emblée, le héros apparaît comme psychologiquement fragile, ce qui est une excellente idée. Il s’est reposé après l’incident, mais on sent bien qu’il est toujours aussi instable et il en a lui-même conscience : quand le sergent Justin Ripley se présente pour être son coéquipier, il lui conseille de refuser le poste et de travailler avec quelqu’un d’autre. Idris Elba est immédiatement excellent et l’acteur habite déjà ce personnage, ce sera d’ailleurs une constante au fil des saisons. Il ne fait guère de doute que Luther est autant « sa » série que celle de son créateur et on imagine qu’il a été impliqué à tous les niveaux. Des points positifs donc, et pourtant… pourtant, Neil Cross ne semble pas vraiment savoir ce qu’il doit faire de ce policier délabré. Dès le premier épisode, il résout une affaire avec une facilité déconcertante et toute la série entre dans une routine qui devient vite pénible.

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C’est peut-être le plus gros défaut de la création de la BBC, du moins pour tous ceux qui espèrent autre chose qu’une banale série policière. Luther esquisse bien une trame de fond, il y a bien quelques personnages récurrents, comme le sergent Ripley, la femme de Luther dans la première saison, et puis Alice que l’on découvre très rapidement et qui revient ensuite en permanence. Mais rien n’y fait, les scénaristes ne savent pas construire des personnages crédibles et passionnants, comme avait su le faire Sherlock pour rester dans le même genre et avec la même chaîne. On pourrait multiplier les exemples, mais évoquons uniquement le cas d’Alice Morgan, une sociopathe que John rencontre au début de la première saison, et avec laquelle il se lie, bien malgré lui, d’amitié. L’idée est intéressante, surtout dans l’optique de présenter un policier toujours borderline, le voir fricoter avec une criminelle était une bonne piste. Hélas, ce n’est pas le jeu parfait de Ruth Wilson qui change le fait que son personnage ne sait pas à grand-chose, si ce n’est à offrir des excuses faciles pour faire avancer l’intrigue ou débloquer une enquête. Le grain de folie escompté — quand on la découvre, on pense fort à Utopia qui regorge de personnages aussi forts — n’arrive jamais et c’est bien le problème de toute la série. Malgré ses faiblesses, John Luther comprend toujours avec une facilité déconcertante ce qui se passe. Et même si Luther essaie parfois de varier les plaisirs ou de doubler les intrigues avec cette accusation en interne, on reste beaucoup trop sur un schéma vu et revu : un homme viole et/ou tue de jeunes femmes sans défense. Quel plaisir pourrait-on trouver à revoir ces schémas convenus que l’on a déjà croisé des centaines de fois ? Où est la modernité dans un projet aussi banal et convenu, qui multiplie en plus les incohérences1 ?

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Luther promettait beaucoup, mais à l’arrivée, la série avance bon nombre de bonnes idées… mais surtout des idées. On voit bien comment Neil Cross aurait pu proposer une œuvre puissante et qui tiendrait en haleine d’un bout à l’autre, mais ce n’est pas le cas et les bons éléments ne suffisent pas à faire une bonne œuvre. Idris Elba est très bien dans le rôle principal, mais ce rôle n’est pas très bien écrit, et c’est un problème. Face à un schéma qui se répète inlassablement d’épisode en épisode, face à des enquêtes trop similaires et qui sont trop souvent résolues avec une facilité déconcertante, bref, face à tous ces défauts, on se lasse. Luther n’est qu’une série policière de plus, à réserver aux vrais amateurs du genre.


  1. John Luther a la manie de systématiquement se trouver au bon endroit et au bon moment, ou bien au mauvais endroit et au mauvais moment. Combien de fois tombe-t-il « par hasard » sur le meurtrier ? Ou alors combien de fois se retrouve-t-il seul et combien de fois la police arrive-t-elle précisément après l’action ? Tant de coïncidences deviennent vite lourdes, en plus de nuire à la crédibilité de l’ensemble.