-M- à Brest Arena (4 avril 2019)

Matthieu Chedid redevient -M- sur scène pour une tournée dans toute la France. L’artiste vient défendre son dernier album, Lettre Infinie, qui est sorti en début d’année, et aussi une carrière longue de plus de vingt ans. Le spectacle qui en ressort est plus atypique qu’escompté, c’est pratiquement un retour aux sources que nous propre -M-, comme s’il devait à nouveau présenter ses premiers morceaux, seul avec sa guitare et ses machines à sample. Un aspect plus intimiste que par le passé… du moins sur le papier. Le résultat est à l’image de tous les concerts de Matthieu Chedid : énorme, festif, dingue et incroyablement généreux. La dernière tournée de -M- est assez surprenante, mais elle mérite amplement le détour : si vous en avez l’opportunité, ne passez pas à côté sous aucun prétexte…

La famille Chedid regorge de musiciens et Matthieu ne cesse de la mettre en avant, à l’image de la première partie offerte à Nash, alias Anna Chedid, sa petite sœur. Une ouverture très calme, elle est seule derrière son piano pour présenter des chansons de son premier album et les nouveautés de celui qui sortira dans quelques mois. Il y a quelques amateurs dans la salle et l’artiste a été à la bonne école, elle sait réchauffer un petit peu l’ambiance comme le ferait son frère. Malgré tout, la grande salle brestoise reste encore timide pendant toute cette partie qui reste assez court, une bonne quinzaine de minutes et trois ou quatre morceaux au compteur. Et quand c’est au tour de -M- de monter sur scène, on s’attend à trouver une mise en scène très visuelle et un groupe au complet — au minimum un duo basse/batterie qui a toujours accompagné le chanteur jusque-là — et… non. À la place, le chanteur seul devant un grand drap, avec une guitare entre les mains pour interpréter « Une seule corde », l’un des morceaux de son album. Un choix très symbolique évidemment, puisqu’il raconte la première découverte de la guitare, instrument fétiche de celui qui est un guitariste avant d’être un chanteur et touche à tout. Là encore, on s’attend à une introduction tranquille avant l’explosion, comme à l’époque du Tour de -M- où Vincent Ségal commençait seul sur scène avec son violoncelle. Rien de tel en 2019, puisque Matthieu Chedid enchaîne avec ses plus vieux titres, toujours seul à la guitare devant sa grande toile.

« Le Baptême », « Je dis aime » ou encore « Mama Sam »… des classiques que la salle connaît et tout le monde accompagne volontiers, alors que l’ambiance commence à se réchauffer. Ce concert a beau commencer de manière minimaliste, quasiment sans aucune mise en scène — si ce n’est la projection sur la toile du chanteur — et avec presque uniquement une guitare et un morceau de batterie, on retrouve bien déjà le talent de cet homme qui parvient à électriser une salle entière avec si peu de moyens. Cette séquence ressemble presque à une deuxième première partie, elle n’est composée quasiment que de vieux titres et non des plus récents et l’immense toile cache forcément quelque chose. Après une petite demi-heure, -M- sort de scène, les lumières s’éteignent complètement et quand elles se rallument, on découvre logiquement une toute autre scène. La toile cachait bien une installation sophistiquée, avec un grand écran au fond dans lequel se découpe le logo de -M-. Cet écran peut même se découper, une idée que l’on a déjà croisée dans plusieurs autres spectacles du chanteur. Rien de très surprenant dans tout cela, mais ce qui l’est plus, c’est qu’il n’y a toujours personne pour accompagner Matthieu Chedid. Ni batteur, ni bassiste, ni personne derrière des platines ou un clavier… il n’y a toujours qu’un seul homme sur cette grande scène. Le premier morceau est le même que sur l’album, « Lettre infinie » et on enchaîne ensuite sur les autres titres sans que personne d’autre ne monte sur scène. Ce n’est pas une erreur : ce spectacle va être assuré par -M- seul, sans personne à ses côtés.

Un autre chanteur se serait sans doute contenter d’une série de samples pré-enregistrés pour accompagner sa voix et son instrument fétiche, la guitare en occurrence. Évidemment, rien de tel pour -M- qui a opté pour une voie assez folle : tout ce qu’il peut sampler lui-même sur scène, il le fait avec des dizaines de pédales à ses pieds. Et pour tout le reste, il a des automates. Au lieu d’un batteur derrière sa batterie, il a créé deux robots qui se chargent de la batterie, une série d’automates qui enchaînent les séquences et créent le rythme indispensable à la majorité des chansons. C’est assez incroyable de voir ces sortes de boîtes à rythme analogiques et cela fonctionne vraiment bien, même si le côté très mécanique de la batterie s’entend. D’ailleurs, une vraie batterie est utilisée à deux reprises par Matthieu Chedid, le temps de deux séquences d’improvisation, preuve qu’une machine ne remplacera jamais le doigté et le sens du rythme d’un humain. Même chose avec un piano robotisé, et un synthétiseur programmé à distance. Mais pour la majorité des morceaux, c’est assez bluffant et la mise en scène souligne ces automates en les affichant sur les grands écrans à plusieurs reprises. Même s’il n’y a qu’une seule personne sur la scène, cette tournée a nécessité un travail assez impressionnant et 200 personnes, comme l’explique -M- pendant le spectacle. C’est à la fois le concert d’un seul homme qui doit se débrouiller avec des samples, et une énorme tournée avec tout ce que cela implique. Un grand petit spectacle comme le résume le chanteur, qui ne lésine pas ses efforts, qui multiplie les rappels et n’hésite pas à passer deux heures et demi sur scène.

Malgré tout cet attirail sur scène, le concert reste mené par un seul homme face à quelques milliers de personnes. La mise en scène comble un petit peu le vide, et -M- a encore une fois fourni un accessoire à tous les membres du public, cette fois une paire de lunettes en forme de M, avec des verres adaptés à la 3D. Le relief est utilisé à deux reprises pendant le concert, mais la technologie rudimentaire — un verre bleu et un rouge — ne fonctionne pas très bien, surtout si l’on est décentré par rapport à la scène. À dire vrai, c’est surtout une idée géniale pour faire parler du concert, puisque toute la salle multiplie les selfies en portant les lunettes. Et à dire vrai aussi, la mise en scène souvent sophistiquée, avec des jeux de caméras et les M qui se multiplient s’efface souvent devant l’artiste seul et ses morceaux. -M- n’a jamais peur d’apparaître seul avec ses instruments, sur la scène et même au beau milieu du public. Le temps de quelques morceaux, il se retrouve ainsi sur un piano au centre de la fosse, à chanter ses morceaux avec une proximité rare à son niveau. Plus tard, il traverse la fosse avec sa guitare et monte même dans les gradins, il s’assied à côté d’une mamie, puis laisse un gamin jouer quelques accords avec le guitare. La magie opère à plein, si bien que l’on oublie les expérimentations scéniques et les machines étranges, il ne reste bien vite que la musique et les participations de plus en plus enthousiastes du public. On commence avec la pluie simulée par toute la salle et comme à la grande époque, le concert finit en une boîte de nuit géante avec « Machistador ». Cet autre classique indémodable finit de lever et inciter tout le monde dans Brest Arena à danser, y compris sur scène pour certains.

Qui d’autre que -M- pourrait faire danser une salle entière en étant seul sur scène, accompagné d’une guitare et de quelques samplers ? Plus de vingt ans après son premier album, Matthieu Chedid se dévoile toujours autant sur scène et alors même qu’il s’approche doucement de la cinquantaine, il n’a pas perdu de sa fougue et son bonheur en concert est manifeste. Même si sa complicité avec Vincent Ségal et Cyril Atef des premières tournées peut manquer, ce nouveau spectacle est bien la preuve qu’il n’a besoin de personne pour interpréter ses morceaux et inciter toute une salle à les chanter avec lui. C’est une cure de bonne humeur et on ressort de concert après plus de trois heures le sourire aux lèvres.