Imperturbable, Woody Allen poursuit son travail, traversant désormais l’Océan Atlantique d’une année sur l’autre. Ainsi, après un retour réussi aux États-Unis l’an dernier avec Blue Jasmine, le cinéaste new-yorkais revient en Europe, et plus particulièrement en France, pour sa production annuelle. Magic in the Moonlight se déroule dans le sud du Pays, sur la Côte-d’Azur, mais fort heureusement, Woody Allen semble en avoir fini avec les problèmes financiers. En tout cas, le format carte postale assez déplaisant sur certains de ses projets européens n’est plus qu’un mauvais souvenir et cette fois, il a un vrai projet original à faire valoir, et une histoire originale à raconter. En nous emmenant dans les années 1930, au cœur d’une bourgeoisie pleine de doute face à une medium qui semble dotée de véritables dons de voyance, Magic in the Moonlight constitue un très bon divertissement, drôle, pas vraiment surprenant, mais très efficace. Un bon cru, dans la série des Woody Allen légers !
La famille Catledge est sous l’emprise d’une jeune medium américaine. Cette famille bourgeoise anglaise possède une immense propriété sur la Côte d’Azur dans les années 1930 et cette jeune femme, nommée Sophie Baker, a convaincu la mère de famille, récemment devenue veuve, mais aussi le fils de la famille qui est persuadé de l’aimer et qui veut l’épouser. Stanley Crawford, plus connu à l’époque sous son nom de scène, le magicien chinois Wei Ling Soo, déteste plus que tout les arnaques et il ne peut résister à l’invitation de l’un de ses amis à venir l’aider démasquer la fausse voyante. Oui, mais voilà : en arrivant sur place, il ne peut constater, effaré, que la demoiselle, en plus d’être vraiment charmante, en sait plus qu’elle ne devrait, sur son compte. Serait-elle vraiment voyante ? Woody Allen construit son dernier film autour de cette question et surtout des doutes qui naissent dans l’esprit de plus en plus embrumé de son personnage principal. Après une carrière aussi longue et riche, le réalisateur ne perd plus son temps et Magic in the Moonlight est d’une rapidité et surtout d’une efficacité exemplaire pour introduire le personnage de Stanley. Prestidigitateur de talent sur scène, il est aussi un homme détestable qui n’a aucun mot gentil pour les gens qui l’entourent, que ce soit sur le plan professionnel ou sur le plan personnel. En quelques plans très brefs, le cinéaste prend un malin plaisir à montrer à quel point sa vie peut être triste, vide ou fausse. Même sa relation avec sa future femme, basée uniquement sur la raison pure, est désespérante : on comprend bien que cet homme est profondément malheureux, et qu’il n’a pas besoin de grand chose pour changer.
Woody Allen ne cherche pas à surprendre avec Magic in the Moonlight et donc, sans surprise, cette étincelle qui vient changer Stanley, c’est bien Sophie Baker, la medium qu’il est censé venir détruire. Dès le départ, il est déstabilisé par sa capacité à deviner plus qu’il ne veut bien l’admettre, à comprendre au moins sa grande tristesse, sa solitude et au fond, même si elle ne ne sait pas tout de lui, elle le le comprend vite mieux que personne. L’essentiel du récit se construit ainsi autour de cette relation qui n’est censée qu’être professionnelle, mais qui prend vite d’autres atours, même si c’est d’abord dans un seul sens. On n’en dira pas plus pour préserver les quelques zones de suspenses entretenues par le scénario écrit par Woody Allen, même si, encore une fois, le long-métrage ne cherche pas à surprendre dans les grandes lignes. Ce n’est pas son ambition, et c’est très bien ainsi : on suit son déroulement, amusé, et même si on doute parfois de telle ou telle péripétie, on sait bien que l’on finira par retomber sur ses pieds. Dans l’intervalle, Magic in the Moonlight est une comédie sociale mordante souvent très drôle : quand le fils de la famille Catledge déclare sa flemme à coups de sérénades à l’ukulélé, c’est même vraiment tordant. On peut constater avec plaisir que le réalisateur n’a pas perdu de son humour noir et son humour est toujours aussi efficace, un bon point, incontestablement. L’une des meilleures scènes consiste d’ailleurs en un retournement de situation et alors que l’on pouvait croire que, l’âge aidant, il allait se tourner vers la religion, Woody Allen retrouve brutalement toute sa verve et se venge avec un bon coup — symbolique — dans le derrière — métaphorique — de toute forme de religion ou même de croyance.
Magic in the Moonlight est loin des plus grands chefs-d’œuvre du cinéaste, c’est vrai, mais il n’en a probablement pas la prétention non plus. Woody Allen s’est certainement fait plaisir en écrivant et en réalisant ce récit au cœur des années 1930 et au cœur de la Côte d’Azur, un récit qui brasse quelques-uns de ses sujets phares, autour de la religion, de la vie après la mort, mais aussi de la famille et de l’argent. C’est un divertissement réussi, drôle et porté par deux excellents acteurs : Colin Firth est excellent dans ce rôle de magicien insupportable qui ne pouvait que tomber amoureux, tandis qu’Emma Stone est parfaite dans son rôle de medium faussement innocente. Magic in the Moonlight n’est peut-être pas un grand film, mais c’est l’occasion de passer un très bon moment, et c’est déjà très bien !