Maléfique, Robert Stromberg

Les relectures de contes sont à la mode au cinéma : après trois versions de Blanche-Neige en 2012 et 2013, après La Belle et la Bête en début d’année, c’est La Belle au bois dormant qui est adapté. Comme ses prédécesseurs, la formule ne change pas : passant du conte ou du dessin animé au long-métrage en prise de vue réelle, ces œuvres sont revues pour plus de réalisme. Dans le cas du long-métrage de Robert Stromberg, Disney propose non seulement une modernisation de sa première version, mais aussi une relecture en profondeur, centrée non plus autour de la princesse Aurore, mais de la sorcière. Maléfique raconte l’histoire de cette dernière, une idée originale et très bien vue… au moins sur le papier. Plein de promesses, ce blockbuster déçoit autant sur la forme attendue que sur le fond, attendu et décevant. Angelina Jolie a beau faire ce qu’elle peut, elle ne sauve pas un film mal écrit et mal réalisé.

Malefique disney

À sa sortie, à la fin des années 1950, La Belle au bois dormant avait surpris le public par sa noirceur. Même si le seizième classique Disney ne manquait pas de naïveté et d’humour léger destiné aux enfants, il imposait aussi un personnage vraiment terrifiant avec la sorcière Maléfique qui incarnait le mal absolu, inexpliqué. Dans le dessin animé déjà, c’était le personnage le plus intéressant et lui accorder un film entier n’était pas une idée stupide. D’autant que le projet de cette version est de nuancer sa méchanceté, en en faisant un personnage d’abord gentil. On découvre ainsi dans Maléfique une bonne fée qui vit joyeusement dans un univers de héroïc-fantasy qui est assez étrange. Robert Stromberg, spécialiste des effets spéciaux sur bon nombre de blockbusters avant de passer à la réalisation ici, filme une série de scènes qui aurait pu sortir d’une adaptation de J.R.R. Tolkien. Un choix surprenant, mais pas autant que le contraste entre ce personnage censé être une gentille fée, mais qui se traine des cornes et des griffes et surtout un nom de méchant1 : d’emblée, la cohérence du projet est mise à mal. Et ce n’est que le début : si on reconnaît que l’idée de revoir complètement le conte autour d’un personnage qui n’est plus uniquement mauvais était une bonne idée, force est de constater à l’écran que beaucoup d’éléments du conte traditionnel ne fonctionnent plus. On pourrait multiplier les exemples, mais prenons une scène en particulier, un moment clé du conte : le baptême d’Aurore. Chez les auteurs du XIXe siècle, comme dans la version Disney, il reste une fée pour contrecarrer le mauvais sort de Maléfique et transformer la mort en un sommeil éternel qui pourra être rompu avec un baiser d’amour. Dans Maléfique, c’est la sorcière qui fait ce sort, par pitié pour le père de l’enfant qu’elle a aimé dans sa jeunesse. Sauf qu’avant cela, on a bien eu trois fées et seulement deux sorts : à quoi sert la dernière ?

Malefique angelina jolie

Il ne s’agit que d’un détail évidemment, et on pourrait aisément passer outre, si le film n’était pas confit, du début à la fin, de ces erreurs et incohérences. Maléfique se veut plus réaliste, mais il apparaît paradoxalement comme beaucoup moins crédible que le dessin animé réalisé par Clyde Geronimo. Il y a des détails, et puis il y a des problèmes de fond : en faisant de Maléfique un personnage gentil, les scénaristes ne font en fait que reporter le manichéisme et c’est le père qui devient le personnage mauvais. Le plus gros problème du film toutefois, c’est qu’il suggère beaucoup, mais ne montre rien : on peut comprendre les intentions, remarquer les bouleversements psychologiques du personnage principal… mais on ne voit rien à l’écran. Robert Stromberg se contente de rendre compte d’un changement, sans lui donner de corps, sans offrir aux spectateurs l’opportunité de le comprendre par eux-mêmes. L’évolution est offerte sur un plateau et on doit prendre acte du fait qu’un personnage jusque-là gentil devient méchant, ou vice-versa. C’est frustrant et on finit par ne plus adhérer du tout au film, qui, faute plus grave encore, n’est même pas satisfaisant sur le plan visuel. On aurait pu attendre d’une réalisation signée d’un technicien que la technique soit irréprochable, mais il n’en est rien. Sans même parler de mise en scène — un concept totalement étranger —, les effets spéciaux sont au mieux acceptables, parfois médiocres. Les fées, encore elles, sont particulièrement ratées, mais on ne dira pas beaucoup mieux de l’univers féérique, kitsch au possible et souvent très moche. Même les ailes d’Angelina Jolie semblent artificielles (mais sans doute pas autant que son personnage) et on a vu beaucoup mieux au cinéma.

Malefique elle fanning

Quand un blockbuster n’est ni spectaculaire, ni fun, ni passionnant à suivre, il ne reste plus grand-chose. Maléfique parfait sur une bonne idée et Disney aurait pu offrir au célèbre conte une relecture plus noire très réussie, mais au lieu de cela, Robert Stromberg ne nous offre qu’une vision assez paresseuse. Une touche de héroïc-fantasy par ici, un peu de noirceur par là : le traitement appliqué ici ne suffit pas à faire un bon film, et on ne peut s’empêcher à tous les autres longs-métrages qui ressemblent à celui-ci. Maléfique est décevant, comme quasiment tous les longs-métrages inspirés de conte. La formule serait-elle mauvaise ?


  1. Pourquoi diable avoir gardé le nom de Maléfique tout au long du film ? Les scénaristes ont-ils seulement ouvert un dictionnaire pour vérifier le sens de ce mot ? Sans se prétendre scénariste à Hollywood, on peut aisément penser à une dizaine de pistes possibles justifiant un changement de nom ou d’état, sans remettre en cause l’ensemble du film…