Et si l’Allemagne et le Japon avaient gagné la Seconde guerre mondiale ? Cette question est probablement celle qui a déclenché le plus de réflexions et d’uchronies, ce genre qui imagine ce qui aurait pu se passer si l’on changeait un fait historique. Adapté d’un roman du même nom de Philip K. Dick, c’est le point de départ de The Man in the High Castle, la première série originale commandée par Amazon Video. C’est une excellente idée et l’univers imaginé par le romancier a été encore enrichi par Frank Spotnitz, si bien que les deux premières saisons donnent parfois le tournis. C’est toujours un bon signe, quand on découvre progressivement un univers et il reste encore beaucoup à comprendre dans The Man in the High Castle. Quel dommage, dès lors, que la narration souffre si souvent de raccourcis faciles et tombe même parfois dans le cliché scénaristique. La reconstitution est aussi excellente que l’ambiance très sombre, mais Amazon passe à côté d’une grande série à force de multiplier les erreurs.
Dès son générique d’ouverture, The Man in the High Castle dresse un état des lieux sous la forme d’une carte des États-Unis. C’est là que l’action se déroule majoritairement et ce n’est pas le pays tel qu’on le connaît aujourd’hui, ou qu’on le connaissait dans les années 1960 qui servent de cadre à la série. À la place d’un pays uni sous la bannière étoilée, un État occupé en trois zones : depuis l’est, le Grand Reich de Hitler s’étend largement à l’intérieur des terres, tandis que la côte ouest est occupée par les Japonais. Entre les deux, une zone neutre où personne ne dirige vraiment. Voilà l’idée de base, les États-Unis ont perdu la Seconde guerre mondiale, c’est l’Allemagne qui a obtenu en premier la bombe nucléaire et ils l’ont envoyée sur Washington, rasant la capitale et obligeant le pays à céder. Depuis cette victoire, la vie continue, mais sous l’occupation des deux puissances et Frank Spotnitz commence sa série en présentant la vie dans les trois zones et la résistance qui survit tant bien que mal. Joe Blake est un nazi infiltré dans la résistance quand il rencontre Juliana Crain, une femme ordinaire jetée dans la résistance suite à la mort de sa sœur qui y participait auparavant. The Man in the High Castle suit également des dignitaires de part et d’autre pour montrer que, parallèlement à la lutte des résistants, le conflit gronde entre les deux alliés, avec certains nazis qui voudraient écraser les Japonais pour contrôler toute l’Amérique du Nord. Les premiers épisodes frappent d’emblée par leur richesse et par la profondeur de l’univers. Le travail sur la logique de cette réalité alternative a été mené avec beaucoup de sérieux et tout semble extrêmement naturel, preuve que les scénaristes ont très bien travaillé sur ce point. Les décors sont parfois un petit peu faiblards, la faute à des effets numériques de qualité médiocre, mais tous les plans en studio sont excellents. Le soin apporté est sensible et on doit saluer la cohérence du projet, tant à l’image que sur le fond.
Mieux encore, la première saison commence avec l’idée très gênante que les citoyens acceptent majoritairement leur situation. Qu’au fond, la victoire de l’Allemagne nazie est dans l’ordre naturel des choses et que les États-Unis sont mieux lotis sous la domination de Hitler et des SS. Cette idée trouve un écho troublant avec l’actualité et The Man in the High Castle amène à se poser des questions pénibles : qu’aurait-on fait à la place de John Smith, haut-gradé dans l’appareil nazi ? Aurait-on été vraiment du côté des résistants ? Frank Spotnitz se garde bien de glorifier ces derniers d’ailleurs, il les présente au contraire comme une bande mal organisée et parfois cruelle, à tel point que l’on ne sait pas bien où situer le mal et le bien. C’est le point fort de la série… du moins au départ. Quelque part entre la fin de la première saison et la deuxième, l’ambiance change du tout au tout et on entre dans une confrontation plus classique et un petit peu décevante entre mauvais nazis et gentils résistants. C’est un petit peu dommage, même si la série a quelques idées pour compenser, avec notamment une dose de fantastique qui s’installe vite. The Man in the High Castle n’a pas encore donné toutes ses réponses et il y a même bien plus de questions ouvertes — il faut bien en garder pour la suite et notamment la troisième saison, d’ores et déjà commandée par Amazon —, mais il est vrai que le côté politique du projet en pâtit un petit peu. Il était sans doute possible de maintenir les deux en parallèle, mais ce changement est symptomatique d’un problème plus profond dans la série.
L’univers est cohérent et très bien représenté et dans la catégorie des uchronies, The Man in the High Castle restera sans aucun doute comme un exemple mémorable. Ces qualités indéniables ne compensent pas totalement des faiblesses persistantes et qui apparaissent très vite, peut-être pas dans le pilote d’un bon niveau, mais dès les épisodes suivants. L’intrigue est trop souvent menée avec désinvolture et les scénaristes tombent bien trop souvent dans des facilités gênantes, voire dans des clichés grossiers. Combien de fois, un personnage agit de façon totalement irrationnelle, uniquement parce que c’est une façon facile d’amener le récit à un point donné ? Le script n’essaie même pas de trouver une justification, il nous présente ce fait sans explications et les spectateurs doivent l’accepter sans discuter. On pourrait multiplier les exemples où un personnage agit sans raison, en dépit de toute cohérence par rapport à ce que l’on sait, ou ce que l’on nous dit de lui, mais il y a tellement d’occurrences que l’on ne saurait par quoi commencer. The Man in the High Castle multiplie les coïncidences étranges, certains personnages disparaissent brutalement sans explications, d’autres changent d’avis en un clin d’œil… bref, l’écriture des personnages est bien trop souvent médiocre. Sans de bons personnages, une série ne peut espérer atteindre de sommets et Frank Spotnitz le prouve à nouveau : on se désintéresse un petit peu de cet univers pourtant intéressant et riche, faute de personnages passionnants. Les acteurs sont en général corrects, c’est plutôt l’écriture qui pose problème… espérons que la série redresse le tir par la suite.
La première série d’Amazon Video est frustrante. D’un côté, The Man in the High Castle construit une uchronie de qualité et propose un univers riche comme seules les séries peuvent le faire grâce à leur longueur. Malheureusement, cet écrin de qualité est un petit peu gâché par des personnages mal écrits et surtout par des situations trop souvent caricaturales. Sans compter que la création de Frank Spotnitz tombe un petit peu dans la facilité avec une opposition bien trop classique entre les nazis et les autres dans sa deuxième saison. On a bien envie de retrouver cette Amérique déchirée malgré tout et on attend avec impatience la troisième saison, en espérant que The Man in the High Castle construise enfin des personnages aussi réussis que son univers.