Manchester by the Sea, Kenneth Lonergan

Manchester by the Sea n’est pas un film très remarquable a priori. Loin des histoires complètement folles que le cinéma invente régulièrement, Kenneth Lonergan a imaginé un récit beaucoup plus proche de nous, un drame familial très classique, on pourrait même dire banal. En imaginant la mort d’un homme qui force son frère à revenir dans une ville où il a laissé tant de mauvais souvenirs, le scénario semble très commun, mais ce serait une erreur de passer à côté pour autant. Rares sont les œuvres qui visent aussi juste que ce Manchester by the Sea, un drame terriblement réaliste, porté par des interprétations précises et bouleversantes. Un « chef-d’œuvre » ont même osé les critiques citées par l’affiche et sans aller jusque-là, par sa simplicité, Kenneth Lonergan offre un grand moment de cinéma à ne pas rater.

Lee a sans doute grandi à Manchester by the Sea, une toute petite commune côtière à l’Est des États-Unis. En tout cas, il y a passé une partie de sa vie d’adulte avec son frère, Joe. Tous deux sont pères de famille, Joe est pêcheur et il est respecté par la communauté, son petit frère est fêtard et plus turbulent, mais leur vie est globalement heureuse, même si sa belle-sœur est rongée par l’alcoolémie. Tout bascule suite à un accident domestique, mais Kenneth Lonergan se garde bien de le révéler immédiatement. Au départ, le réalisateur n’explique pas pourquoi son personnage principal est parti brutalement de la bourgade pour faire un travail de misère à Boston. On sait juste qu’il haït profondément la ville et qu’il faut bien la mort de son frère et son neveu resté seul pour le forcer à revenir. Manchester by the Sea commence ainsi auréolé de mystère, même s’il ne faut pas s’attendre à un thriller naturellement. Disons plutôt que le drame est révélé progressivement, par une série de flash-backs, des souvenirs de Lee essentiellement alors qu’il repense à son frère décédé. On comprend petit à petit son aversion et le drame horrible qu’il a vécu, sans jamais tomber dans le sensationnel. Et encore moins dans le misérabilisme, qui n’est manifestement pas la tasse de thé de Kenneth Lonergan. C’est en prenant son temps et tout en douceur que le cinéaste fait avancer son histoire, pour un long-métrage qui dépasse les deux heures sans être trop long pour autant. La justesse et la précision sont deux qualités au cœur du projet, et elles s’appliquent aussi au rythme du film, au montage et à sa mise en scène.

Le jeu des acteurs est lui aussi d’une justesse remarquable, c’est même certainement la plus grande réussite de Manchester by the Sea et sans doute l’un des meilleurs rôles pour chaque acteur. Commençons par le plus important, Casey Affleck, qui s’illustre à nouveau par sa capacité à transmettre des émotions. L’acteur n’en fait jamais trop, il travaille avec un jeu plutôt limité, mais il tombe toujours juste, que ce soit pour montrer la colère, la tristesse ou la dépression. Le rôle de Lee n’était pas simple à porter, ne serait-ce que pour montrer l’évolution du personnage entre séquences heureuses du passé et le présent. Même s’il y a cette évolution, son interprétation est toujours marquée par une tristesse que l’on sent profonde, même quand il est encore un père et un mari, représentant modèle de l’Américain moyen. Il est toujours excellent en tout cas et parvient à émouvoir, notamment lors de cette scène déchirante dans le commissariat de police… belle performance. À ses côtés, il faut aussi saluer le travail de Michelle Williams qui interprète sa femme et aussi celui du jeune Lucas Hedges dans le rôle de Patrick, le neveu. Cet adolescent tend à avoir les mêmes réactions violentes que son oncle, mais le scénario finement écrit et l’acteur très juste parviennent à éviter tous les clichés et à offrir un très bel aperçu du travail de deuil. De bons acteurs, un bon scénario : Kenneth Lonergan donne vie au cinéma à une famille réaliste qui aurait pu être la sienne. Ce qui explique sûrement pourquoi le long-métrage parvient autant à toucher, même si l’on n’a rien de commun avec ces personnages.

De la patience et de la précision : Manchester by the Sea n’est pas un film impressionnant au premier abord. Il impressionne toutefois par la puissance émotionnelle qu’il dégage, sans jamais tomber dans la facilité et dans le drame lacrymal. Bien au contraire, Kenneth Lonergan dresse des portraits et des situations d’une justesse admirable et c’est en cela que son long-métrage est une réussite. Toucher à l’universel en évoquant un cas particulier, c’est l’une des choses les plus difficiles à réussir et c’est ce qu’a si bien fait Manchester by the Sea : à voir.