Marguerite, Xavier Giannoli

Inspiré d’une histoire vraie, le dernier long-métrage de Xavier Giannoli réinvente en fait l’histoire de Florence Foster Jenkins, surprenante soprano américaine qui a chanté faux toute sa vie, ce que son entourage s’était bien gardé de révéler. Avec Marguerite, le réalisateur conserve cette idée, mais la déplace dans la France des années 1920. Une adaptation libre donc, en attendant le biopic américaine prévu pour l’année prochaine1, pour un résultat réjouissant. Drôle et triste à la fois, ce drame est porté par son actrice principale qui n’a jamais été aussi bonne qu’ici. S’il ne fallait qu’une raison de voir Marguerite, Catherine Frot la fournit amplement. À découvrir !

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Marguerite commence de la façon la plus sérieuse qui soit, avec une scène entourée de mystère. On découvre un immense château et une fête organisée par l’aristocratie et la grande bourgeoisie des années 1920. C’est pour une bonne cause, les orphelins de la Première Guerre mondiale, et il ne fait guère de doute que l’argent n’est pas un problème ici. Au programme, un concert et des chanteurs et chanteuses lyriques qui donnent les plus grands airs d’opéra. Xavier Giannoli suit une jeune chanteuse venue en remplacement de dernière minute, on découvre aussi un journaliste qui s’incruste dans ce concert privé… mais ce ne sont que des personnages secondaires. La vraie héroïne, annoncée par le titre, n’est pas encore à l’écran, même si elle est l’objet de toutes les conversations. La scène est vue strictement par le point de vue de cette jeune chanteuse qui ignore tout de la propriétaire des lieux, mais qui nous laisse attendre une prestation exceptionnelle. Quand elle se présente enfin pour son numéro, tout le monde applaudit respectueusement, le célèbre air de la Reine de la Nuit de La Flûte Enchantée se fait entendre et… c’est le drame. Quand Marguerite commence à chanter, on découvre avec autant de stupeur que le personnage que l’on suivait jusque-là qu’elle ne sait pas chanter. L’héroïne de Marguerite chante faux et cet air sublime et techniquement très exigeant est massacré par sa voix. Mais tout le monde semble trouver cela normal et les applaudissements vont bon train : en une séquence, Xavier Giannoli nous a présenté ce personnage qui ne sait pas chanter et son entourage hypocrite qui ne veut pas lui dire. Il y a son mari qui simule une panne pour arriver le plus tard possible, mais qui ne dit jamais rien. Il y a ses amis qui ne disent rien et qui continuent de venir aux concerts privés pour rester près de son immense fortune. Et il y a le fidèle serviteur qui fait tout pour sa maîtresse adulée n’apprenne jamais la vérité, payant grassement tous ceux qui émettent des doutes pour les réduire au silence.

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Le film de Xavier Giannoli peut être très drôle et, surtout si on ne connait pas vraiment l’histoire du modèle qui a inspiré le scénario de Marguerite, la première séquence est vraiment hilarante. Toutefois, le cinéaste est malin et on n’en reste pas à ce côté comique. Sous les rires, les larmes et le film est aussi très triste, avec un final que l’on se gardera bien de dévoiler, mais qui tient plus de la tragédie classique que de la comédie. Car, si personne n’ose rien dire, c’est peut-être en effet à cause de l’immense fortune de Marguerite, mais c’est loin d’être la seule raison et ce n’est probablement pas la première. Tous les personnages qui gravitent autour de cette femme ne dépendent pas de son argent, à commencer par son mari qui profite sans mal de la fortune depuis des années. D’ailleurs, la cantatrice adule cet homme qui n’a jamais trouvé comment aimé celle qu’il a épousé à l’origine pour des raisons financières. Mais puisqu’il est marié, il n’a pas à se soucier pour l’argent à cette époque où les femmes dépendent encore complètement de leurs époux. Non, s’il ne lui a jamais rien dit, c’est plus par lâcheté : il a toujours préféré la solution de facilité avec un mensonge qui évite de révéler les sujets qui fâchent. Elle chante mal ? La bonne affaire, elle le fait dans le cercle privé ou dans des concerts entre-soi où l’on juge, mais on juge en silence. Tout le monde, c’est que Marguerite décide de chanter dans une vraie salle, face à un vrai public. Mais au lieu de lui dire la vérité, ce mari préfère s’en tenir à son mensonge et peut-être qu’au-delà de la lâcheté, il y a aussi la réaction candide de sa femme qui le retient. Le personnage principal de Marguerite est en effet une femme d’une cinquantaine d’années, mais qui, par bien des aspects, rappelle plutôt une enfant. Elle est d’une naïveté folle, se laisse entraîner très facilement et sa candeur bloque la majorité de ses interlocuteurs. Elle se donne du mal pour apprendre à chanter, elle travaille dur et elle est extrêmement heureuse de le faire : comment avouer la vérité à une telle personne ? Même son professeur de chant qui voudrait plus que tout se débarrasser d’elle ne parvient pas à lui dire ce qu’il pense vraiment. Tous ces personnages qui gravitent autour d’elle sont dans une position inconfortable et le film ne les juge pas trop durement.

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Si cette histoire passionnante tient la route, c’est d’abord grâce à la performance de Catherine Frot. C’est bien simple, l’actrice a trouvé ici son grand rôle, elle est parfaite pour incarner cette femme naïve qui ignore qu’elle chante faux et qui n’est heureuse qu’en chantant. Son interprétation est très drôle quand elle chante, mais aussi très touchante et on finit par s’identifier à son personnage. Au fond, l’héroïne de Marguerite n’est pas seulement ridicule, ce serait trop réducteur de s’arrêter à ce niveau de lecture. Comme finit par le noter son mari, sa façon de tout donner pour sa passion, de ne vivre que pour elle, est aussi une très belle chose que l’on peut saluer. Qu’importe, dès lors, si elle chante faux : son bonheur est nécessairement lié au chant. Xavier Giannoli a parfaitement représenté cette dualité, entre le ridicule du chant et la pureté presque intimidante du personnage et de sa passion. En ce sens, Marguerite est une belle réussite.


  1. Réalisé par Stephen Frears, ce biopic mettrait en scène Meryl Streep dans le rôle principal. Voilà qui promet.