Match Point, Woody Allen

Faute de financement, Woody Allen quitte les États-Unis pour tourner Match Point. Il ne le sait sans doute pas encore, mais son trente-sixième long-métrage ouvre une séquence européenne qui s’est poursuivie sans interruption pendant quatre ans et autant de films jusqu’à Whatever Works et même au-delà. En attendant, c’est la BBC qui finance le cinéaste new-yorkais et Match Point doit se dérouler en Grande-Bretagne, avec des acteurs anglais. Woody Allen qui a aussi écrit le scénario l’adapte en un rien de temps et traverse l’Atlantique pour tourner ce film. On pourrait crier à l’opportunisme, mais le réalisateur profite de cette contrainte et signe, avec Match Point, son meilleur film depuis des années et même l’un de ses meilleurs films tout court. Avec ce drame amoureux dans la haute société britannique, il brasse ses sujets de prédilection et raconte une histoire passionnante avec une intensité rare. Une réussite totale !

Match point woody allen

Le tennis lui a donné son titre, il était logique que Match Point commence avec ce sport. Le film ouvre dans un club que l’on sent d’emblée comme étant très select et on découvre Chris, ancien tennisman professionnel qui souhaite se reconvertir en prof de tennis. Fidèle à son habitude, Woody Allen ne s’appesantit pas sur les présentations et avance vite : son personnage rencontre ainsi très rapidement Tom. Issu de la haute société, riche à ne plus savoir que faire, il se lie vite d’amitié avec son jeune prof de tennis et l’invite rapidement dans sa famille. Le scénario ne laisse aucune place au doute : son héros est un jeune venu de nulle part qui veut absolument réussir en gravissant l’échelle de la société et qui est prêt à tout pour y parvenir. Cela tombe bien, Chloe, la sœur de Tom, tombe amoureuse de lui. Il n’a quasiment rien à faire et le voici promu beau-frère de Tom et aux petits soins de son beau-père qui lui trouve une bonne place dans son entreprise, achète au couple un splendide appartement avec une vue à couper le souffle sur la Tamise et inonde son gendre d’argent. Le héros de Match Point a ainsi obtenu en quelques années tout ce qu’il désirait et il n’a plus qu’à offrir à sa femme ce qu’elle désire le plus — un enfant — pour vivre une vie rangée et « parfaite ». Tout irait en effet pour le mieux, à un détail près : il n’aime pas sa femme, il en aime une autre. Woody Allen construit son film autour d’un triangle amoureux : Chris a épousé Chloe par opportunisme plus que par amour, mais il tombe amoureux de Nola, une Américaine fiancée à Tom quand Match Point commence. Là encore, le film avance vite, mais on sent immédiatement le coup de foudre et les personnages ne résistent pas longtemps à la pression de la société. Pendant deux heures, le long-métrage joue sur la confrontation des deux couples, avant de basculer brutalement dans un autre genre dans une ultime partie pleine de surprises

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Woody Allen n’a pas son pareil pour dépeindre des classes sociales et surtout pour s’en moquer. Dans Match Point, il s’en prend à la haute société londonienne, celle qui est devenue richissime par la finance de la City. La localisation dans le temps et dans l’espace ne compte pas vraiment, le film devait d’ailleurs à l’origine se dérouler dans les belles banlieues new-yorkaises. Au fond, peu importe : le cinéaste s’amuse à détruire les façades des vies parfaites de ces hommes et femmes qui semblent tout avoir, mais qui sont totalement malheureux. Chris n’est heureux qu’en présence de Nola, la seule femme qu’il aime vraiment, celle qu’il aurait dû épouser s’il n’avait pas été aussi ambitieux. Le réalisateur sait être acerbe quand il faut et son portrait de ce jeune parvenu fait froid dans le dos : il est prêt à tout pour réussir, vraiment à tout, quitte à épouser une femme qu’il n’aime pas, quitte à troquer sa passion depuis tout petit pour une vie de bureau sans intérêt, quitte à aller jusqu’au bout pour sauver son mariage quand il est menacé. Son désir de réussite sociale dépasse tout, aveugle tout le reste et c’est un personnage effrayant, mais très réussi : saluons d’ailleurs le travail du trop rare Jonathan Rhys Meyers, parfaitement dans le ton de son rôle. Match Point évoque aussi une histoire d’amour aussi forte qu’impossible entre Chris et Nola : Scarlett Johannson est elle aussi très juste dans son rôle de femme fatale au fond très fragile. Des personnages très bien écrits qui participent au plaisir du film, tandis que Woody Allen s’amuse malicieusement avec les attentes de ses spectateurs. Quand une intrigue presque policière se met en place, le réalisateur revient sur le thème de la chance qui ouvrait déjà le long-métrage, pour l’utiliser régulièrement jusqu’à la toute fin. Une belle façon de jouer sur les nerfs des spectateurs qui s’attendent à ce que quelque chose arrive.

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Match Point est une réussite éclatante et totale. Ses personnages ne sont pas forcément très originaux, pas plus que la situation de départ, mais Woody Allen n’a pas son pareil pour les variations et celle-ci tombe parfaitement juste. On suit avec plaisir l’ascension de Chris, tout en sachant très bien qu’elle peut s’interrompre à tout moment et on craint pour sa chute. Le cinéaste joue avec nos attentes tout en offrant un regard sans concession et souvent assez dur de cette haute société londonienne. Match Point est aussi un drame amoureux extrêmement réussi, bref un film particulièrement riche et remarquablement écrit. À voir et à revoir sans hésiter…