Matrix Reloaded, Lana et Lilly Wachowski

Le succès de Matrix a été tel qu’une suite était inévitable. Cela tombe bien, les sœurs Wachowski avaient une trilogie en tête en lançant le projet et les studios leur donnent le feu vert pour continuer. Matrix Reloaded et Matrix Revolution, les deux suites, sont tournées en même temps et elles sortent à quelques mois d’intervalle, quatre ans après le premier volet. Sur le papier, toutes les conditions étaient réunies pour créer une trilogie épique, dans la lignée du premier long-métrage. À l’écran, le résultat est bien différent : même si on retrouve la dystopie basée sur l’affrontement entre humains et robots au cœur de la saga, l’ambiance a tellement changé que l’on a du mal à croire que ce sont les mêmes cinéastes derrière les deux films. Matrix Reloaded est avant tout un blockbuster d’action bien réalisé, mais très banal et qui souffre de plusieurs défauts. Les Wachowski avaient placé la barre si haut avec Matrix que la déception est inévitable…

La différence entre les deux films est évidente dès la toute première séquence, qui place à nouveau Trinity au centre de l’action. Dans Matrix, le personnage était présentée avec une aura de mystère, comme une combattante hors pair que plusieurs policiers armés ne pourraient en aucun cas appréhender. La scène faisait monter le suspense jusqu’à la brève explosion de violence qui permettait aussi de montrer pour la première fois le style de combat imaginé pour la saga, entre sauts et courses sur les murs, mais aussi les agents et la communication entre le matrice et le monde réel. Les Wachowski semblent chercher le même effet au début de Matrix Reloaded, sauf que les réalisatrices semblent avoir oublié — ou mal compris — ce qui faisait le succès de la séquence dans leur précédent film. Toute subtilité est annihilée, à la place on assiste à une scène d’action assez grossière qui commence par une explosion énorme et qui enchaîne ensuite plusieurs minutes d’action interrompue. Certes, tous les codes de Matrix sont repris dans cette scène, de la couleur verdâtre qui trahit la matrice aux ralentis en bullet-time, en passant par le même style de combat. Néanmoins, cette séquence n’a pas du tout le même effet que dans le film original, déjà parce qu’elle manque de subtilité sur le fond, mais aussi parce qu’elle exploite tellement les effets spéciaux numériques des années 2000 qu’elle ressemble davantage à un film d’animation. C’est l’un des défauts de cette suite, l’utilisation systématique des effets spéciaux numériques a vieilli prématurément le film. Là où Matrix reste encore aujourd’hui techniquement très impressionnant, le poids des années se fait déjà sentir sur cette suite et c’est particulièrement criant dans certaines séquences d’action, dont celle qui ouvre Matrix Reloaded. Le passage au numérique a aussi libéré la réalisation, puisque tout était désormais possible. C’est notamment le cas pour le bullet-time qui est entièrement généré par des ordinateurs, ce qui offre aux Wachowski les moyens de réaliser leurs rêves les plus fous. Cela devrait être une bonne chose, mais c’est en fait un piège qui les détourne constamment de leurs bonnes idées.

Avec autant de moyens à disposition, les Wachowski se sont perdus et Matrix Reloaded aurait sans doute été bien meilleur avec les mêmes contraintes que pour le premier film. Tout est permis dans cette suite, mais il y a beaucoup de choses qui n’ont pas de sens du tout, et même certaines scènes qui tombent dans le ridicule. Par exemple, l’idée que l’agent Smith puisse se multiplier est excellente, mais fallait-il vraiment transformer la scène de combat dans la rue en une sorte de gag où Neo affronte seul des centaines d’agents transformés en quilles ? L’un des défauts récurrents du long-métrage est d’en faire trop et de gâcher un point de départ qui est souvent très bon. C’est le cas de la majorité des scènes de combat, qui sont souvent extrêmement bien réalisées… jusqu’au moment où elles tombent dans le n’importe quoi. La séquence sur l’autoroute est un bon exemple, c’est une très belle course-poursuite, impressionnante à souhait, mais qui est probablement trop longue et qui va trop loin, notamment lorsque Neo arrive tel Superman. L’effet bullet-time manque aussi souvent de subtilités et les Wachowski tombent elles-mêmes dans une forme d’auto-caricature, très certainement parce que la technologie permettait d’en mettre partout. L’autre gros défaut du film, c’est sa bande-originale qui tombe bien trop régulièrement dans la caricature un petit peu lourde. L’utilisation de la techno pour les séquences de combat, en particulier, a un côté cheap assez déplaisant. Tout n’est pas à jeter pour autant et Matrix Reloaded ajoute quelques scènes et informations importantes. L’univers si riche est toujours bien là et on prend plaisir à en découvrir d’autres aspects. Même si le film souffre alors d’un problème de rythme, avec quelques longueurs notamment à Zion, et aussi de choix pas toujours avisés. L’inspiration antique est évidente dans le dernier bastion humain, elle est aussi facile et rappelle peut-être un petit peu trop Star Trek. Néanmoins, les révélations apportées par l’architecte ajoutent de la profondeur et le film reste une brique importante à la saga.

Au fond, Matrix Reloaded aurait pu être un film aussi passionnant et excellent que le premier s’il n’était pas autant plombé par sa surenchère de moyens. On y revient à l’heure des bilans, et pour cause : on ne peut pas dire que cette suite n’a rien à voir avec Matrix, elle s’inscrit dans le même univers et la même lignée. Mais les Wachowski semblent avoir perdus de vue les subtilités des débuts, toute la complexité philosophique qui a fait la réputation du volet précédent. À la place, ils offrent un grand spectacle dans l’ensemble efficace, il faut le reconnaître, mais aussi très banal. Sous cette banalité, on retrouve bien la richesse de la saga, mais elle semble comme enfouie, presque méconnaissable. Et c’est bien dommage…