Après Matrix et son immense succès, les sœurs Wachowski signent pour tourner deux suites et former une trilogie. Plutôt que de prendre leur temps en étalant la réalisation sur plusieurs années, elles tournent les deux longs-métrages en une seule traite, le temps d’un tournage probablement épique de 270 jours. On comprend bien pourquoi quand on découvre l’énorme cliff-hanger à la fin de Matrix Reloaded, mais ce choix a un inconvénient qui a posé énormément dans la réussite de la saga : il n’offre aucun recul et aucune chance de corriger le tir entre les deux films. Matrix Revolutions sort également en 2003, quelques mois seulement après son prédécesseur, et il hérite des mêmes défauts. Oubliant la finesse philosophique du premier volet, il tombe au contraire dans le blockbuster banal et même, cette fois, dans la caricature grossière et sans aucun intérêt. Plus encore que pour le long-métrage central, les Wachowski semblent avoir perdu de vue ce qui faisait l’intérêt de leur univers au profit d’un film d’action bourrin, long et parfois même idiot. Matrix Revolutions n’a plus grand-chose à voir avec son illustre prédécesseur et il n’est pas très intéressant.
Matrix Reloaded se terminait sur la crainte d’une blessure grave, voire pire, pour le héros. Une manière un petit peu caricaturale de laisser les spectateurs dans l’expectative et surtout de créer une attente pour la suite. Ce n’est pas comme si on s’inquiétait vraiment pour Neo toutefois et Matrix Revolutions ne perd pas de temps à entretenir ce faux suspense et on reprend très exactement où l’on s’était arrêté, en pleine guerre entre humains et robots. Au départ, Neo est bloqué dans la matrice sans y être relié physiquement depuis le monde réel et les autres personnages partent à sa recherche. Ensuite, le groupe se sépare en deux : Neo et Trinity vont affronter les machines au cœur de leur ville, tandis que le reste de l’humanité libre essaie tant bien que mal de défendre Zion. Le tout sur fond de virus, puisque l’agent Smith a contaminé toute la matrice avec ses clones. L’affiche promet une fin et tous les éléments sont en place pour offrir un final épique et c’est ce que les Wachowski comptent bien faire. Hélas, leur réalisation rappelle bien cette vérité : ce n’est pas parce que l’on voit grand que le résultat est proportionnellement aussi bon. Les deux cinéastes ont indéniablement vu grand, avec une attaque monstrueuse contre Zion, qui reste à l’écran pendant plusieurs dizaines minutes et qui compte plusieurs phases. On en prend plein la vue et on devrait être bluffés, mais on retient surtout des effets numériques de qualité médiocre et une tendance à tout faire en trop qui devient vite lassante. Il y a trop de tout, trop de robots, trop de morts, trop de rebondissements sans intérêt. Ce n’était jamais vraiment le cas dans Matrix Reloaded, mais ce final est parfois très ennuyeux, et ce n’est pas la quête de Neo qui vient améliorer les choses. On sait très bien que celui que l’on nous présente comme l’élu va sauver la situation, si bien que l’on sait à l’avance que sa quête va aboutir. Et cette quête, justement, consiste à un nouveau combat contre l’agent Smith démultiplié, oui, comme dans le film précédent. Pour varier les plaisirs, Matrix Revolution imagine une nouvelle mise en scène et le décor, dans la nuit verte et sous la pluie, est effectivement assez impressionnant. La scène elle-même, hélas, ne l’est pas vraiment, la faute à un côté déjà-vu — persistant dans ce film qui copiait quelques minutes auparavant l’attaque du lobby de Matrix… — et une surenchère qui finit par lasser. Les deux personnages ressemblent à deux super-héros, guère plus, et on se demande bien où est passé l’esprit de l’original, sa finesse et son intelligence. On pourrait vraiment croire que les studios ont voulu exploiter une licence juteuse en demandant au premier venu de réaliser un blockbuster décérébré, mais non, ce sont bien les créatrices originales de la saga qui sont aux manettes. Décevant.
Que peut-on sauver de ce troisième volet ? Pas grand-chose malheureusement, à la fois parce qu’il n’y a pas beaucoup de nouveautés et que l’on a déjà vu plusieurs fois les combats à la Matrix, le passage de la matrice au monde réel ou même les machines. Et ce qui est nouveau, c’est une bataille épique entre machines et humains, mais si énorme qu’elle en devient plus ridicule qu’impressionnante. Matrix Revolutions aurait sans doute mérité un petit temps de réflexion supplémentaire et le recul après Matrix Reloaded pour juger de ce qui fonctionnait et ne fonctionnait pas. En étalant la production, les Wachowski auraient peut-être eu le temps d’améliorer leur conclusion et de ne pas tomber dans la facilité ainsi. En l’état, ce troisième volet mérite d’être vu une fois pour apprendre comment l’histoire se termine, mais guère plus.