Midnight Special, Jeff Nichols

Jeff Nichols n’a pas encore quarante ans et il n’a que quatre long-métrages à son actif, mais il est déjà l’un des cinéastes les plus remarquables du moment. Probablement parce qu’à chaque fois, il suit sa propre voie et impose son originalité absolue, avec des films qui ne ressemblent à aucun autre. C’était le cas pour Take Shelter, un drame familial à la lisière entre fin du monde et folie ; c’était aussi le cas avec Mud – Sur les rives du Mississippi, un récit d’apprentissage au cœur de la nature ; c’est à nouveau le cas pour Midnight Special. Cette fois, le réalisateur se penche du côté de la science-fiction, genre difficile s’il en est, surtout avec un petit budget. Mais c’est sans compter sur l’intelligence de Jeff Nichols, qui déploie son récit avec une aura de mystère qui ne disparaît jamais et qui signe une œuvre encore une fois atypique. Ne ratez sous aucun prétexte cette science-fiction très éloignée des sentiers battus, mais qu’il faut découvrir sans lire la moindre ligne à son sujet…

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La meilleure idée de Midnight Special est peut-être d’avancer masqué. Il commence en effet extrêmement loin de la science-fiction où l’on pouvait l’attendre, et au cœur d’un petit drame qui semble très mesuré. En l’occurrence, Jeff Nichols ouvre son film autour de la disparition d’un enfant, et d’une alerte lancée comme toujours par les médias. La première séquence se déroule là où, on le comprend immédiatement, Alton se trouve avec deux hommes que l’on imagine être ses ravisseurs. Sauf qu’au lieu du kidnapping attendu, on découvre que le garçon d’une dizaine d’années se laisse faire volontiers, il semble même tout à fait à sa place. À ce stade, on ne sait encore rien de plus et c’est très progressivement que le scénario livre ses clés, une à une. On découvre ainsi que l’un des deux hommes qui accompagnent l’enfant, Roy, est le père et qu’ils fuient le Ranch, une secte qui considère qu’Alton est un envoyé divin et qu’il est le seul à pouvoir les sauver de l’apocalypse. On a déjà un effet de surprise, puisqu’en fait d’enlèvement, on a la course-poursuite d’un père qui essaie de sauver son enfant. Mais on est encore loin de tout savoir, et Midnight Special multiplie les révélations, en particulier autour du garçon au cœur de tous les enjeux. On découvre au détour d’une séquence qu’il a des pouvoirs qui peuvent être destructeurs. On voit que son père et Lucas, un ami d’enfance venu en aide, sont prêts à tout pour aller à un endroit précis, sans que l’on ne sache encore pourquoi. Le gouvernement américain se joint lui aussi rapidement à la course-poursuite, avec des hordes d’agents du FBI et même un agent de la NSA envoyé pour comprendre comment Alton peut obtenir des secrets militaires supposés indéchiffrables. Le réalisateur parle de poupées russes inversées, et il faut reconnaitre que c’est une bonne image : sur près de deux heures, le film n’arrête pas de rebondir et d’agrandir son horizon, passant d’une actualité locale autour d’un enlèvement à une affaire nationale et même à de la science-fiction pure et dure.

MIDNIGHT SPECIAL

Cette structure vers un film de plus en plus ample se retrouve à tous les niveaux. Il y a l’intrigue qui évolue de l’enlèvement à la découverte d’une autre réalité, bien sûr, mais pas seulement. Midnight Special commence aussi avec une poignée de personnages, mais en inclut de plus en plus, avec l’arrivée de cet agent de la NSA, puis de Sarah, que le scénario n’identifie jamais formellement comme la mère. Le rythme, lui aussi, évolue et le la fin est assez intense, proche d’un thriller hollywoodien, même si Jeff Nichols n’avance jamais trop vite et prend toujours le temps de poser son intrigue. Mais c’est l’ensemble qui se découvre comme un gigantesque puzzle : on ne commence avec quasiment aucune pièce, mais on les récupère peu à peu et on finit par reconstituer ce qui pourrait être un film de science-fiction très conventionnel, tout ça à partir d’un garçon bizarre, avec ses lunettes de piscine sur les yeux et son air triste. Néanmoins, dans cette architecture plus complexe qu’au premier abord, il reste un élément central très fort : la relation entre un père et son fils. C’est un thème récurrent chez Jeff Nichols d’ailleurs, on le retrouve dans toutes ses réalisations et ici encore, avec une intimité d’une sincérité rare. Il faut saluer le travail de Michael Shannon, trop rare et parfait dans le rôle du père, mais aussi celui de Jayden Lieberher. Ce jeune acteur s’était déjà fait repérer avec St. Vincent, il est excellent dans le rôle d’Alton et parvient sans forcer à instituer un vrai malaise par son sérieux, sa tristesse et son sens des responsabilités. Au fond, c’est le seul personnage à savoir ce qui se passe vraiment et à comprendre, probablement très tôt, son destin. Ce côté tragique est très bien rendu et assez déchirant, avec en point d’orgue une séquence où le père et l’enfant assistent ensemble à un lever du soleil : on retrouve cette manière de filmer la nature héritée de Terrence Malick, les deux acteurs sont en harmonie et cette scène est bouleversante. Beaucoup plus que le final, qui en montre peut-être un petit peu trop, même si le réalisateur a l’intelligence de ne pas trop en dire et même à la toute fin, de laisser planer le mystère1.

MIDNIGHT SPECIAL

Midnight Special est un film de science-fiction qui ne ressemble à aucun autre et qui vient apporter un nouveau souffle au genre. Avec sa sensibilité, mais aussi avec sa manière de réaliser des films atypiques, Jeff Nichols renouvelle l’exercice grâce, en particulier, à une bonne dose de mystère. C’est précisément en jouant sur nos attentes et en limitant le nombre d’informations données dans un premier temps, que le long-métrage est aussi réussi. Course-poursuite haletante, fantastique latent, menace sectaire ou gouvernementale, Midnight Special a plus d’un tour dans son sac pour nous surprendre, et c’est une réussite complète. À découvrir, sans hésiter !


  1. Voit-on le futur, une réalité parallèle ou littéralement un monde invisible, construit au-dessus du nôtre ? Le scénario donne quelques clés, mais aucune réponse toute faite.