Million Dollar Baby, Clint Eastwood

Million Dollar Baby appartient à la grande famille des films de boxe, un genre que le cinéma américain affectionne particulièrement. Clint Eastwood s’en empare pour son vingt-sixième long-métrage, mais il choisit un angle plutôt original pour le faire. Plutôt que de se concentrer sur la gloire et le déclin d’un joueur célèbre, il préfère raconter l’histoire d’une femme qui ne rêve que de boxe, mais qui a toujours été incapable de mener à bien son rêve jusque-là. Le réalisateur ne se contente pas de rester derrière les caméras, il joue aussi dans ce film qui suit une structure traditionnelle pour mieux surprendre avec un final à couper le souffle. Million Dollar Baby est sans conteste l’un des meilleurs films de Clint Eastwood, une œuvre parfaitement construite portée par des personnages passionnantes. Une réussite éclatante !

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Clint Eastwood joue un personnage comme lui seul en est capable : Frankie Dunn est un entraîneur de boxe brisé par la vie. Reconnu par ses pairs, notamment pour sa capacité à soigner n’importe quelle blessure sur ses joueurs, il n’a jamais connu la gloire escomptée. Les années sont passées et l’ont laissé avec ses remords, sa culpabilité et un isolement toujours plus grand. Quand Million Dollar Baby commence, c’est un vieil homme grognon qui s’est enfermé dans une coquille épaisse construite après le rejet de sa fille. On ne sait rien sur cet évènement et c’est très bien ainsi : on comprend simplement que la fille de Frankie refuse tout contact avec son père, au point de renvoyer systématiquement les lettres qu’il lui écrit chaque semaine. Il vit désormais seul et n’a comme seul ami que Eddie, dit « Scrap » (Morgan Freeman, impeccable), ancien boxeur qu’il a entraîné bien des années auparavant et qui sert désormais d’homme à tout faire dans la salle d’entraînement de Frankie. Le scénario commence d’ailleurs par présenter ces deux hommes comme un vieux couple qui passe son temps à tourner en rond et à se disputer. Mais ils ne peuvent pas se séparer, unis par une amitié forte et aussi par les regrets de l’entraîneur qui n’a pas voulu interrompre le dernier combat de son poulain au prix de son œil. Depuis, il est devenu prudent, sans doute trop. Au départ, Frankie entraîne un boxeur prometteur et on voit que le vieil homme n’a pas perdu de ses capacités d’entraîneur. Ce qu’il a perdu en revanche, c’est le courage et l’envie de prendre des risques et ce boxeur finit par le quitter en faveur d’un autre entraîneur qui lui offre sa première victoire nationale. En quelques minutes, Million Dollar Baby dresse ainsi le portrait d’un homme qui vit dans le passé et préfère passer à côté de sa vie plutôt que de prendre le moindre risque. C’est un portrait pathétique, mais qui est aussi touchant et il fallait bien tout le talent d’acteur de Clint Eastwood pour offrir une prestation aussi réussie. On l’a déjà vu dans ce type de rôle, mais force est de constater qu’il maîtrise cette partition et qu’il la restitue brillamment.

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La vie de Frankie, que l’on sent rangée depuis bien trop longtemps, va être bousculée par l’arrivée dans la salle de sport de Maggie Fitzgerald. Cette femme assez frêle détonne au milieu des autres boxeurs, mais d’emblée on sent sa détermination. Depuis toute petite, elle rêve de boxe, mais elle a dépassé la trentaine sans jamais pouvoir concrétiser ce rêve, jusqu’à ce jour où elle a économisé assez pour s’offrir six mois dans le club de Frankie. Autant dire que le premier contact avec l’entraîneur est froid : Clint Eastwood incarne un homme misogyne qui considère que le simple fait d’aider une femme à boxer est une abomination — et on ne parle même pas d’entraînement en bonne et due forme. Million Dollar Baby suit alors une voie attendue, mais qui fait à nouveau ses preuves : Maggie s’entête, vient s’entraîner tous les jours et le vieil homme finit par céder. Quand il perd son boxeur, il n’a plus rien du tout et il accepte de mauvaise grace d’aider cette femme qui a probablement l’âge de sa fille. D’ailleurs, il finit par la prendre sous son aile comme si c’était sa fille et Maggie, déçue par sa famille qui préfère se rendre dans un parc d’attractions plutôt que de la voir quand elle en a vraiment besoin, trouve en Frankie un nouveau père pour remplacer le sien, mort quand elle était jeune. Clint Eastwood ne choisit par la voie de la surprise sur ce point, tout comme sur le parcours de la boxeuse : Million Dollar Baby est organisé sur un mode pyramidal, comme tant de films du genre. Une fois vraiment entraînée, Maggie enchaîne les victoires avec une facilité déconcertante, puisque la plupart de ses matchs ne durent qu’une poignée de secondes. Son ascension est fulgurante et on s’attend à un retournement de situation. Le long-métrage ne déçoit pas, mais le fait avec une grosse surprise qui l’oriente vers une toute autre direction. On ne s’attend pas à une telle fin, et c’est tant mieux : Clint Eastwood trouve, avec cette idée, une conclusion poignante qui élève le film à un tout autre niveau. Hillary Swank, sacrée d’un Oscar bien mérité, est parfaite dans ce rôle difficile.

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Avec Million Dollar Baby, Clint Eastwood est sur tous les fronts : outre la réalisation et l’un des rôles principaux, il est aussi producteur et même compositeur de la bande originale. C’est une position centrale dangereuse, mais le réalisateur est aussi bon que l’acteur et le résultat est une réussite totale. Clint Eastwood a rassemblé ce qu’il sait faire de mieux pour créer une œuvre puissante et poignante, dans un registre différent du western qui l’a fait connaître.