Modern Family est l’archétype de la sitcom familiale, mais avec l’idée originale du faux documentaire. On suit le quotidien une famille au sens large, trois couples avec leurs enfants, mais tout est pensé à la manière d’un documentaire, avec notamment des séquences où chaque personnage peut s’exprimer face à la caméra. Une idée intéressante qui a convaincu ABC de lancer la série, mais Christopher Lloyd et Steven Levitan n’ont pas tenu pendant onze ans sur cet unique concept. Si Modern Family garde ce dispositif jusqu’au bout, on comprend vite que c’est quasiment une excuse et le cœur de la série est ailleurs, dans ces trois familles que l’on apprend à connaître et dans ces personnages que l’on voit vieillir et grandir. Plus faiblarde sur la fin et avec une ultime saison qui peut tout à fait être oubliée, cette sitcom reste par ailleurs une excellente comédie, pertinente et drôle.
Trois familles autour du socle des Pritchett, le père Jay et sa famille ainsi que ses deux enfants Claire et Mitchell et leur famille respective : Modern Family se construit autour d’un noyau dur d’une douzaine de personnages. Les créateurs de la sitcom ont placé leur histoire dans la banlieue de Los Angeles, au sein de la classe moyenne aisée, parfaite représentative de l’archétype de la famille américaine WASP. Mais puisque c’est une famille moderne, il y a Gloria, la nouvelle épouse colombienne de Jay, et il y a Cameron, le mari de Mitchell. C’est la point de départ en tout cas et même si la série portée par ABC est loin d’être un modèle de représentativité, il faut saluer l’effort sur ce segment populaire. Le couple de gays constitue une famille comme une autre, avec une petite fille tout juste adoptée dans le pilote et les mêmes problèmes que les deux autres familles. On aurait apprécié une représentation moins homogène et toujours caricaturale de l’homosexualité, mais c’est une mise en avant appréciée malgré tout et Christopher Lloyd et Steven Levitan ont contribué à la normalisation de l’homoparentalité dans la culture populaire. Et même si Mitchell et surtout Cam tombent régulièrement dans les clichés faciles, leurs personnages bénéficient d’une écriture aussi fouillée que tous les autres. Modern Family n’échappe pas à la règle qui veut que les séries ne tiennent que si leurs personnages sont suffisamment crédibles et intéressants, et c’est bien le cas ici. En onze saisons, on a amplement le temps d’apprendre à connaître ces trois familles et ce drôle de sentiment finit par naître, où l’on pourrait avoir le sentiment par moment d’appartenir à cette grande famille. Les enfants grandissent et s’affirment, les adultes vieillissent et évoluent et les scénaristes ont su maintenir un intérêt constant presque jusqu’au bout. Presque, car il faut bien reconnaître une baisse de régime sur la fin et tout particulièrement sur la onzième saison qui perd le sens de l’humour essentiel dans la série.
Les créateurs de Modern Family n’ont pas choisi la voie la plus difficile en optant pour une sitcom comique. Dès le départ, on s’amuse de la maladresse de Phil, de l’accent de Gloria, du désir de contrôle maladif de Claire, de la maturité précoce de Manny ou encore de la bêtise de Haley. C’est un humour assez grinçant par endroits, même s’il est toujours bienveillant malgré tout, on reste chez ABC et donc Disney. Il n’y a jamais d’engueulade qui ne se termine par une réconciliation, pas une moquerie réellement sérieuse et tout le monde y a droit, ce n’est pas un acharnement personnel. À l’intérieur de ces règles bien conventionnelles, le scénario trouve quand même la place pour faire rire sur des sujets variés et avec beaucoup d’efficacité. C’est un point fort qui ressort dès les premiers épisodes : cette sitcom est très drôle et elle maintient ce bon niveau sans faiblir sur toute la longueur. Encore une fois, on peut oublier la saison finale dans ce constat, mais il reste dix saisons, soit plus de 200 épisodes qui reposent tous sur un humour particulièrement réussi. La difficulté supplémentaire vient du nombre anormalement élevé de personnages principaux, mais les créateurs de Modern Family ont su trouver une place équitable pour tout le monde. Tous les parents et tous les enfants ont leur moment de gloire presque dans chaque épisode, et même s’ils sont tous dans une case assez bien définie, ils ont aussi de la place pour évoluer. Claire ne reste pas une mère au foyer, elle dirige par la suite une entreprise, pour prendre l’exemple le plus significatif, mais c’est aussi vrai dans une moindre mesure pour tous les personnages. C’est l’élément le plus important pour que la série tienne la distance sans lasser et on comprend sans peine pourquoi l’engouement n’a pas faibli sur la dizaine d’années de sa diffusion.
La recette n’est pas originale, mais Modern Family a su l’exploiter au mieux. L’idée du faux documentaire est amusante et très bien utilisée jusqu’au bout, avec des sessions face à la caméra pour les couples ou des personnages seuls qui sont autant d’occasions de médire. Mais cette idée ne change pas fondamentalement le fait qu’il s’agit d’une sitcom familiale qui pourrait être similaire à tant d’autres. Si elle parvient à sortir du lot, c’est bien parce qu’elle est plus réussie que la moyenne et ABC a trouvé le bon filon avec la création de Christopher Lloyd et Steven Levitan. Un classique à ne pas rater si vous appréciez le genre.