Mords-moi sans hésitation, Jason Friedberg et Aaron Seltzer

Le phénomène Twilight est aussi énorme qu’incompréhensible pour une large partie du public insensible aux charmes d’Edward (ou Jacob, c’est selon) ou plus largement à l’esprit de la série, plus proche de l’eau de rose que du blockbuster bourrin. Mais Twilight génère aussi souvent une vague de tensions, voire d’agressivité, comme si ses opposants ressentaient aussi le besoin de détruire la romance de Bella. Mords-moi sans hésitation se situe très précisément dans cette mouvance : parodie mordante, c’est le cas de le dire, de Twilight, le film attaque là où cela fait mal, pour notre plus grand plaisir. Si Jason Friedberg et Aaron Seltzer, spécialistes de la parodie de films à succès, se laissent parfois aller à la facilité un peu grossière, Mords-moi sans hésitation se révèle assez efficace et drôle.

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Twilight, les films (je n’ai jamais lu les livres, donc je ne m’en réfère qu’aux adaptations), sont faciles à caricaturer. Les angles ne manquent pas, entre les deux bellâtres qui s’opposent pour la belle, jouée par une actrice capable de faire environ deux ou trois expressions. Edward et Jacob ne sont d’ailleurs pas tellement mieux, le premier prenant toujours un air « mystérieux » (comprenez qu’il est très pâle et distant) quand le second montre à la moindre occasion son torse sculpté, qu’il vente ou qu’il neige. Le style même des films, le plus souvent avec des couleurs désaturées et une propension à filmer les bois sauvages des États-Unis, est aussi très marqué et peut rapidement agacer. Bref, une série de tics qui constituent indéniablement un style, mais qui sont aussi autant de points d’entrée pour qui veut se moquer. On a ainsi vu se multiplier les parodies sur Internet et on attendait avec impatience le premier film qui se lancerait sur ce créneau.

Mords-moi sans hésitation est ce film. Basé grosso modo sur les deux premiers tomes/films de Twilight, le film du duo Jason Friedberg et Aaron Seltzer concentre en 80 minutes tous les points remarquables de la série, les tournant systématiquement en ridicule. L’effet est connu, mais toujours aussi efficace. Le grand principe du film est de prendre au pied de la lettre ce que les films mettaient en scène de manière plus subtile. Le plus évident dans ce changement concerne évidemment le sexe : toujours sous-jacent, jamais explicité dans l’original, il devient ici central, explicite et assez vulgaire. Bella n’hésite ainsi jamais à faire des avances sans équivoque auprès d’Edward puis de Jacob, elle pense au sexe, elle n’attend que ça et devient même dominatrice vêtue de cuir le temps d’une scène. De son côté, le père de Bella a une poupée gonflable qui compense l’absence de sa femme, partie vivre avec Tiger Woods. Alors que le vampire effleure à peine la jeune fille dans Twilight, les deux tourtereaux vont beaucoup plus loin dans Mords-moi sans hésitation et, comme l’affiche le dit bien, ça finit au pieu… Autre différence fondamentale avec l’original, la parodie n’hésite pas à afficher de la chair et du sang : Twilight étonne par sa très grande sécheresse dans le domaine, à tel point que les vampires meurent en cendre sèche, mais ne saignent jamais. Ici, on saigne, et on saigne même en geyser comme lorsque Bella se coupe le doigt avec le papier de son cadeau. Quand on tue un vampire, on lui arrache des membres sanguinolents bouffés par les loups-garous. Sans être vraiment dans le gore, la chair manque de réalisme pour cela, on est clairement bien éloigné de la version propre et nette de Twilight. Le sexe et le sang, voilà bien les deux sujets présents en permanence, mais toujours de manière implicite, dans la saga. Les expliciter est une excellente idée pour une parodie, tant on peut trouver la pudibonderie de Twilight exaspérante et totalement hypocrite.

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Difficile d’évoquer tous les ressorts comiques de Mords-moi sans hésitation. L’outrance est évidemment constante et met bien en valeur le ridicule des situations : quand Jacob a le torse plein de poils et des griffes sur ses doigts, ou quand les violons s’activent dès lors qu’il se passe vaguement quelque chose entre les amoureux, ou encore quand la caméra ralentit pendant un vol plané extraordinairement long entre vampires… autant d’utilisations d’un élément présent dans les films originaux, mais tellement accentués qu’il en devient ridicule. Un autre biais est la banalisation de ce qui est censé être fantastique : on voit ainsi Edward porter sa douce et tendre à toute allure dans la forêt, avant de découvrir qu’il roule en Segway. Les chutes sont fréquentes également : l’attaque des trois méchants vampires est ridiculisée quand la victime leur demande s’ils sont les Black Eyed Peas. C’est aussi Jacob qui présente son contrat stipulant qu’il doit montrer son torse dès qu’il passe plus d’une minute à l’écran, parmi les dizaines de cas présents dans le film. Mords-moi sans hésitation est indéniablement efficace, on rit souvent de bon cœur tant la parodie fait mouche. Mieux vaut avoir vu les originaux d’ailleurs, l’intérêt en soi du film étant sinon très limité. Par ailleurs, si certains éléments sont drôles et bien vus, Mords-moi sans hésitation est aussi lourd et vulgaire par moment, sans être drôle. On comprend mal l’intérêt de l’Asiatique maltraité, par exemple. Les deux réalisateurs ont participé à de nombreuses parodies, dont la célèbre série des Scary Movie et on retrouve ici les mêmes travers : c’est souvent drôle, mais pas toujours. À l’heure des bilans, je trouve néanmoins le film plutôt efficace et bien vu.

Mords-moi sans hésitation s’inspire très largement de Twilight épisodes 1 et 2 et la parodie pousse le mimétisme très loin. Certaines scènes ont été reconstituées minutieusement tant dans le décor que dans le placement des acteurs, et c’est vraiment réussi. À tel point que l’on est parfois troublé : est-ce toujours la caricature ou a-t-on une scène du film ? Jason Friedberg et Aaron Seltzer ont fait un boulot assez impressionnant de reconstitution qui place le film dans une ambiance très familière, un état très efficace pour mieux détourner la scène au profit de la parodie. Le mimétisme est allé jusqu’aux acteurs : certains sont vraiment très proches de leurs originaux, avec une mention spéciale à l’actrice qui interprète la caricature de Bella. La ressemblance n’est pas vraiment physique, mais elle imite vraiment très bien ses mimiques et on retrouve vraiment la Bella que l’on connaît. Edward n’est pas trop mauvais non plus et les tablettes de chocolat du faux Jacob sont fidèles à l’original. Parodie oblige, le film ne brille pas par son style original, mais il s’avère efficace, suffisamment pour constituer un univers parallèle ressemblant, à défaut d’être identique.

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La parodie est un genre difficile qui oblige à jouer les équilibristes. L’original doit servir en permanence de point de référence que la parodie modifie, sans trop s’éloigner pour ne pas devenir autre chose, sans rester trop proche pour ne pas être qu’un plagiat. La surenchère est l’arme principale de la parodie, avec le risque d’en faire trop, de devenir ridicule et de lasser. Mords-moi sans hésitation réussit globalement à faire rire, à condition d’avoir vu Twilight, mais de ne pas en être fan absolu. Plein de mauvaise foi, le film de Jason Friedberg et Aaron Seltzer est efficace, même s’il n’évite pas toujours le piège d’en faire trop et de perdre alors son humour. Avec Twilight, la parodie était facile, mais elle atteint parfaitement sa cible et c’est bien là l’essentiel.